Si le travail d’un employé peut être effectué plus efficacement en utilisant des outils permettant de gagner en productivité, qu’est-ce qu’implique la théorie du salaire équitable ?
Le concept de « salaire équitable », ou de « salaire honnête », existe depuis des siècles. Il remonte au moins au Moyen Âge et repose sur l’idée que les marchandises doivent être vendues à un « juste prix » suffisant pour verser « un salaire raisonnable permettant aux artisans et aux marchands de vivre dignement ».
A notre époque, on utilise fréquemment le terme de « salaire de subsistance » pour évoquer l’idée d’un salaire équitable. Mais quel que soit le terme utilisé, cette notion peut se résumer à l’idée selon laquelle un employeur doit verser à ses travailleurs un salaire suffisant pour couvrir intégralement le coût d’un « niveau de vie décent ».
Comme on pourrait s’en douter, étant donné sa popularité au Moyen Âge, cette idée a aussi longtemps influencé la théologie morale chrétienne. De nombreux chrétiens, en particulier des théologiens catholiques, ont insisté sur le fait que les employeurs sont moralement obligés de payer un « salaire équitable ». En pratique, cela signifie que même si la valeur marchande des fruits du travail d’un employé tombe en dessous de son niveau de salaire, le « bien commun », « l’équité » ou la « justice sociale » dans le langage moderne interdisent à l’employeur de réduire le salaire du travailleur en conséquence. Autrement dit, l’employeur « doit » au travailleur un certain salaire, par souci de justice, même si ce salaire ne reflète pas sa productivité réelle.
Toutefois, lorsqu’on réfléchit à la question de l’automatisation, on s’aperçoit rapidement que la théorie du salaire équitable présente une lacune majeure. En effet, la théorie du salaire équitable implique que si le travail d’un employé peut être effectué plus efficacement en utilisant des outils permettant de gagner en productivité, alors son salaire peut à juste titre être réduit. En fait, il peut être réduit à zéro, puisque le travailleur peut être licencié et remplacé par une machine. Par exemple, si dix ouvriers équipés de pelles peuvent être remplacés par un seul homme équipé d’un bulldozer, alors ces dix ouvriers cessent d’être nécessaires aux travaux réalisés par l’entreprise. L’employeur pourrait donc alors licencier les travailleurs en surnombre et les théoriciens du salaire équitable ne trouveraient rien à y redire.
Même les partisans les plus enthousiastes de l’idée de « salaire équitable » laisseraient l’employeur s’en tirer dans cette affaire. Selon la plupart de ses partisans, pour une raison qui reste inexpliquée, une fois qu’un travailleur est licencié, l’employeur n’a plus la responsabilité morale de lui fournir un revenu suffisant. Sa subsistance devient alors la responsabilité soit de l’Etat au travers de programmes sociaux, soit d’associations caritatives. Ainsi, il apparaît clairement que la théorie du salaire équitable est contradictoire et incohérente. Elle affirme que l’employeur ne doit un « salaire de subsistance » qu’aux employés qui n’ont pas encore été remplacés par une technologie permettant de gagner en productivité. C’est une distinction plutôt étrange. En supposant que les principes à la base de la théorie du salaire équitable soient corrects, il n’y a aucune raison de conclure que les travailleurs remplacés par des machines perdraient soudainement leur « droit » à un salaire décent.
Il n’y a pas de différence qualitative entre une réduction de salaire et un licenciement
Les théoriciens du salaire équitable pourraient tenter de différencier les licenciements et les réductions de salaire en arguant que dans le cas de licenciements, la théorie du salaire équitable ne s’applique plus parce que l’employé concerné n’est plus obligé de se rendre au travail. Cet argument n’est pas valide puisqu’aucun travailleur n’est jamais « forcé » de se présenter au travail. Tous les travailleurs, à l’exception bien sûr des esclaves et des soldats qui risquent d’être fusillés pour « désertion », sont libres de démissionner et de chercher un autre emploi à tout moment s’ils le désirent.
La seule véritable différence entre un employé licencié et un employé percevant un salaire jugé « trop bas », c’est que celui qui a été licencié ne peut plus se rendre au travail même s’il le souhaite. Il est obligé de chercher un autre emploi. Le salarié « mal payé », en revanche, conserve la possibilité de chercher un autre travail ou de continuer à percevoir son salaire en restant dans l’entreprise où il se trouve actuellement. Ainsi, c’est bien l’employé continuant de percevoir un salaire qui bénéficie de la situation la plus confortable, puisqu’il conserve le choix entre un plusieurs options. L’employé licencié quant à lui n’a plus qu’une seule possibilité, chercher un nouveau travail.
Pourtant, si on en croit les acrobaties mentales étranges de la théorie du salaire équitable, l’employeur n’aurait de responsabilités qu’à l’égard du travailleur recevant un salaire.
L’une des raisons pour lesquelles la théorie du salaire équitable n’a pas de réponse à ce paradoxe est qu’il serait évidemment désastreux de prétendre que les employeurs doivent également verser un salaire aux employés dont l’activité a été rendu obsolète par l’innovation technologique. En réalité, la plupart des innovations ayant un impact sur l’emploi et les processus de fabrication conduisent à un chômage de courte durée et poussent les travailleurs à se reconvertir dans un autre secteur. Il est couramment admis que ces innovations augmentent le niveau de vie du plus grand nombre en réduisant les coûts de production. Au-delà de l’impact à court terme, les travailleurs concernés peuvent suivre une formation et trouver un nouvel emploi. C’est ainsi que les choses fonctionnent depuis des millénaires. Pourtant, la théorie du salaire équitable, si elle était poussée jusqu’à sa conclusion logique, impliquerait que remplacer les travailleurs par des machines agricoles, des bulldozers ou des robots plus efficaces irait à l’encontre du bien commun ou de la justice sociale, car ces innovations réduisent les besoins en main-d’œuvre dans certains secteurs, entrainant une réduction des salaires en dessous du « salaire équitable ». Autrement dit, si la théorie du salaire équitable était réellement mise en œuvre jusqu’au bout, cela conduirait à maintenir l’humanité à un niveau minimal de subsistance, la condamnant à survivre avec pour seuls outils des bâtons et des pierres.
La théorie du salaire équitable apparait encore plus incohérente lorsqu’on tient compte du fait que l’innovation et l’automatisation ne sont pas les seules raisons légitimes pour lesquelles un employeur peut vouloir licencier un travailleur. Il existe de nombreuses autres situations possibles et même les partisans d’un salaire équitable peuvent comprendre qu’il est absurde d’exiger que l’employeur continu dans ces situations de verser un « salaire décent ».
Par exemple, un chef d’entreprise pourrait décider de faire évoluer son activité afin de réduire son besoin en main-d’œuvre. Il pourrait transformer un restaurant traditionnel en restaurant avec buffet, évitant ainsi de devoir employer des serveurs et des hôtesses. Ce restaurateur devrait-il être obligé de payer un « salaire équitable » à ses anciens employés, désormais inutiles ? Une telle suggestion est clairement absurde. Pourtant, si ce même chef d’entreprise décidait à la place de réduire leurs salaires afin de réduire les coûts tout en conservant le service traditionnel à table, les partisans du « salaire équitable » s’empresseraient de dire qu’il « doit » à ses employés un salaire plus élevé. Alors que si ce restaurateur décidait de licencier purement et simplement son équipe d’hôtesses et de serveurs, il ne pourrait pas être accusé de leur verser des salaires trop bas.
De la même manière, les employés d’une entreprise pourraient se retrouver rapidement privés de salaire si le dirigeant décidait de prendre sa retraite et de fermer sa société. Pourtant, le « bien commun » ne nous dit-il pas qu’un chef d’entreprise âgé ou ayant pris sa retraite aurait toujours l’obligation morale de ne pas laisser les revenus de ses employés tomber en dessous du niveau du « salaire de subsistance » ? Aucune personne censée n’affirmerait quelque chose d’aussi absurde. Pourtant, les théoriciens du salaire équitable ne parviennent pas à fournir une raison convaincante pour expliquer que des salaires « trop bas » seraient inacceptables, mais que licencier des dizaines de travailleurs pour permettre au propriétaire d’une entreprise de prendre sa retraite serait parfaitement acceptable.
Les premières innovations permettant d’augmenter la productivité remontent à l’aube de l’humanité
Ce débat n’est pas propre à l’ère moderne. Les premières innovations permettant de gagner en productivité remontent à l’aube de l’humanité. De la première hache de pierre aux hauts fourneaux médiévaux en passant par les usines automobiles modernes, les êtres humains ont toujours cherché des moyens de produire davantage, plus rapidement et avec moins de main-d’œuvre, ce qui implique souvent que la réalisation d’une tache spécifique nécessite un moins grand nombre de travailleurs.
Cette tendance continue de s’accélérer aujourd’hui avec l’essor de l’intelligence artificielle et la conception de robots industriels de plus en plus complexes capables de construire des voitures ou même de préparer des repas avec une supervision humaine de plus en plus réduite. La société Amazon a de plus en plus recours à des robots pour déplacer les marchandises dans ses entrepôts. Les chaines de restauration rapide auront bientôt recours à des robots dans leurs cuisines. Et même le secteur des services commence à utiliser des robots, par exemple dans certains hôtels pour livrer les repas dans les chambres des clients.
Maintenant que nous vivons à l’ère de l’automatisation et de vagues d’innovations toujours plus rapides, je m’attends à ce que les partisans du salaire équitable ignorent complètement la question et demandent à la place que le contribuable supporte le coût d’un nouveau « revenu de base universel » afin que les travailleurs puissent percevoir un « salaire équitable » sans même devoir occuper un emploi. Une telle revendication semble être l’aboutissement naturel de l’idée de « salaire équitable ».
Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.
1 commentaire
Le progrès est une supercherie managériale. Il est la promesse en contrepartie de sacrifices qui n’est jamais réalisée ou un peu réalisée (scanner, médecine) par rapport à la contrainte consenti : sa liberté !
Je dis un peu car tout cela est évidemment transitoire. Mais comme c’est une transition qui a lieu à bas bruit sur plusieurs générations, a une échelle de temps presque incompréhensible pour un individu et donc la société qui n’est qu’une somme d’individus, celles qui en ont réellement profité sont déjà du passé.
La supercherie du progrès repose sur l’idée qu’il y a comme des crans d’arrêt. On atteint un niveau de progrès et en travaillant plus on s’élève dans les niveaux de progrès sans possibilité de retour en arrière.
Or tout le progrès repose sur des stocks finis (d’autant plus que le capitalisme à besoin de croissance démographique), sur la richesse en matières premières de notre ilot : la terre !
Nous espérons donc que progresser rapidement nous permettra d’atteindre au graal qui seul pourrait prétendre à nous avoir fait passer le stade de simples chasseurs cueilleurs… de matériaux (pétrole, manganèse, cuivre etc… que nous cueillons dans des concentrations raisonnables, ça ne durera pas!).
Donc nous sommes dans une course effrénée, exponentielle (ça ne progresse pas si vite au début, une exponentielle) sur le mode « ça passe ou ça casse ».
Soit nous arrivons à reproduire effectivement le mode d’extraction de l’énergie du soleil et à synthétiser les matériaux (la seule fusion ne suffira pas), soit nous échouons et nous nous battrons pour les derniers tas de matière exploitable (les mines les plus riches ont déjà été exploitées) avant de retourner sinon au néolithique probablement à l’antiquité…
Le progrès entame le capital ressources naturelles exploitables. Quand il n’y en aura plus, plus de progrès mais plus de moyen de soutenir l’état de progrès atteint.
Qu’est ce que vous ne comprenez pas dans ces éléments pourtant assez basiques ?
Vous croyez au progrès ! c’est votre religion !
La raison, les lumières de l’esprit indiquent que sous la forme actuel, il n’est pas durable et pire il mène à la guerre nucléaire pour les dernières ressources vitales.