10 ans après Lehman Brothers, les banques centrales renoncent à normaliser leurs politiques monétaires tout en prétendant que tout va pour le mieux.
Voilà un peu plus de 10 ans que la grande crise financière a commencé. Dix ans que les gouvernements et les banques centrales des plus grandes économies continuent de jouer les apprentis sorciers en poussant toujours plus loin la cavalerie budgétaire et monétaire.
Dix années supplémentaires de « créditisme » – pour reprendre un terme souvent employé par Simone Wapler – ont donné jour à un monde truffé de bulles financières, alors même que l’état des banques européennes est beaucoup moins reluisant que voudrait nous le faire croire la BCE avec ses stress tests.
Certains banquiers fêtaient le déclenchement du plus grand plan de sauvetage financé par le contribuable, pourtant seule la répression financière permettait au système de perdurer. Notre épargne est insultée par les taux négatifs, les retraites sont rognées et nos impôts augmentent.
20 août 2018 : D’anciens banquiers de Lehman Brothers célèbrent les 10 ans de l’effondrement lors d’une soirée secrète
La situation est-elle sous contrôle ?
Officiellement, la situation est sous contrôle. On note cependant de menus écueils.
Tout d’abord, les grandes institutions financières internationales commencent à s’émouvoir des quelque 244 000 Mds $ de dette globale (estimation de l’IIF à l’issue du troisième trimestre 2018) qui sapent sérieusement l’économie et qui rendent le système financier de plus en plus instable.
Ensuite, on ne peut pas dire que les principales banques centrales aient été particulièrement rassurantes en ce début d’année.
Nous avons eu tour à tour la volte-face de la Fed annonçant qu’elle pouvait « se permettre d’être patiente » avant de remonter à nouveau ses taux (9 janvier), l’injection de la Banque de Chine de plus de 1 000 Mds de yuans dans son système financier la semaine du 14 janvier, un montant qui dépasse les records de la crise de 2008 (« trois fois rien », ironisait Simone Wapler ; « la PBOC, c’est la Fed sur stéroïdes ! », commentait Bruno Bertez), et enfin la BCE avec Mario Draghi qui se dégonflait le 24 janvier, expliquant qu’un « stimulus monétaire important reste nécessaire » et que « la BCE reste prête à utiliser tous les instruments nécessaires » pour atteindre ses objectifs.
Nos grands planificateurs monétaires continuent de se montrer rassurants, tout en reproduisant tout ce qui n’a pas marché.
Pensez-vous qu’une économie saine a besoin d’injections à répétition de massives quantités de liquidités ? Moi non.
Il est très vraisemblable qu’une nouvelle crise nous attende au coin du bois, n’en déplaise à nos banquiers centraux (je fais ici référence à ceux qui sont en exercice, et non à ceux qui sont à la retraite et libres de leur parole).
2019 = 2007 ?
Reste à savoir dans quelle mesure la situation actuelle est comparable à celle de 2007.
Comme l’explique Natixis dans une note du 17 octobre :
« La croissance de la période 2002-2008 s’est achevée dans une crise financière majeure, causée par le durcissement de la politique monétaire alors que les taux d’endettement et les prix des actifs étaient très élevés. […]
[En moyenne, dans les pays de l’OCDE,] les facteurs de danger de la période récente [2010-2018] sont :
- la croissance potentielle faible ;
- le niveau élevé de l’endettement public ;
- les taux d’intérêt très faibles ;
- la hausse rapide des cours boursiers.
Mais à l’inverse il y a désendettement du secteur privé, inflation faible, faible hausse des prix des matières premières et des prix de l’immobilier. »
Il s’agit d’un constat global. Chaque économie a bien sûr ses spécificités.
Dans une note du 25 janvier dernier, Natixis tranchait : l’un dans l’autre, « la situation est aujourd’hui bien plus favorable qu’en 2007 : désendettement du secteur privé, renforcement des banques, taux d’intérêt et paiements d’intérêts bas, profitabilité forte, prix du pétrole pas très élevé ».
Ce constat est loin d’être unanimement partagé. D’autres commentateurs jugent au contraire que la période actuelle est plus dangereuse que celle qui a débouché sur la crise de 2007-2008.
En réalité, la situation actuelle est pire qu’en 2007
Au mois de septembre, Daniel Tourre profitait de l’avertissement lancé par Dominique Strauss-Kahn (notre monde est « moins bien préparé » qu’en 2007 pour affronter une nouvelle crise financière) pour rappeler quelques fondamentaux.
Nassim Taleb est lui aussi en désaccord avec Natixis.
Nassim Taleb explique pourquoi l’économie est plus fragile aujourd’hui qu’elle ne l’était en 2007
Les forces destructrices referont surface alors que le poids de la dette est encore supérieur
Invité sur le plateau de Bloomberg News à l’issue du shocktober et déguisé en cygne noir à l’occasion d’Halloween, Nassim Taleb a commencé par rappeler que si la dette n’est plus concentrée sur un unique secteur comme c’était le cas en 2007 (l’immobilier américain), son niveau à l’échelle mondiale ne cesse de grimper et sa dangerosité de s’amplifier.
Les banques centrales sont certes parvenues à maintenir la stabilité du système financier, mais cela s’est fait en contrariant les forces destructrices, lesquelles ont vocation à refaire surface : « Mettez de la novocaïne sur un cancer, que se passe-t-il ? Le patient va aller mieux, il va se sentir mieux, mais à un moment donné, vous allez payer un prix plus élevé », explique-t-il. Pas de free lunch, en somme.
Comme nous l’avons déjà vu, on doit essentiellement cette accumulation de dette aux gouvernements et aux entreprises.
En cas de remontrée des taux, Taleb explique que les premiers pourraient « être entraînés dans une spirale. Dans mon esprit, cela se produit lorsque les gouvernements doivent emprunter de plus en plus pour payer les intérêts de la dette, comme dans un schéma de Madoff. A la minute où vous entrez dans cette phase, il n’y a plus rien de sain d’un point de vue économique. »
[NDLR : Notre collaborateur et analyste financier, Oliver Delamarche, partage les sombres pressentiment de Taleb. Découvrez ici ses 13 présages pour 2019 et comment les mettre à profit.]
De la périphérie au cœur de l’économie mondiale
À la différence des crises des années 1980, qui se déclenchaient en périphérie du système économique, une crise de la dette pourrait aujourd’hui « frapper le cœur » [de l’économie mondiale].
Selon Taleb, on commence déjà à distinguer les premiers signes de stress sur le marché immobilier américain, ce qui pourrait bien se révéler la première phase d’une réaction en chaîne :
« Le premier couperet tombera probablement sur l’immobilier. Les immeubles haut de gamme ont déjà chuté dans le monde entier, les gens l’ont remarqué mais ils n’en parlent pas… ce sera l’immobilier haut de gamme d’abord, puis le reste. »
Pas plus que l’immobilier, les actions n’aiment des taux d’intérêt en hausse, c’est donc sur la bourse que le couperet a vocation à s’abattre ensuite. Et Taleb de rappeler que « ce que nous voyons aujourd’hui [la baisse du mois d’octobre] ne représente rien ».
Taleb invite les banquiers centraux et les gouvernements à faire un stock de cierges
Taleb termine en évoquant le scénario « miracle » qui pourrait sauver l’économie américaine d’un désendettement extrêmement douloureux :
« Ce dont nous avons besoin, ce qui nous sauverait miraculeusement, c’est une croissance réelle, sans dette. Une croissance réelle nous sauvera peut-être miraculeusement… Et une sorte d’inflation qui ne causerait peut-être pas trop d’instabilité des prix… mais nous n’avons jamais vu cela. À moins d’avoir ces deux phénomènes-là, nous sommes foutus. »
Comme vous l’avez compris, les mots importants de ce dernier extrait sont « miraculeusement » et « n’avons jamais vu cela ».
Comment ne pas partager l’avis de Taleb ?
Dans les années 1970, les gouvernements et les banques centrales recouraient à l’inflation pour repousser les limites du système. Une fois ce mauvais génie sorti de sa boîte, il devenait incontrôlable et il était très difficile de l’y reléguer.
A notre époque, nos dirigeants repoussent les limites du système en créant du crédit qui gonfle les prix sur les marchés financiers, créant au passage toute une kyrielle de bulles, lesquelles finissent fatalement par éclater. D’une crise à l’autre, c’est le système financier dans son ensemble qui devient de plus en plus instable.
La prochaine détonation d’envergure fera bien plus de bruit que la crise financière mondiale de 2007-2008.