▪ L’élection présidentielle américaine aura lieu dans quelques jours : prenons quelques instants pour nous concentrer sur les candidats. Pour autant que nous en sachions, tous deux sont intelligents. Mais aucun d’entre eux n’est très réfléchi — du moins pas d’après ce que nous avons vu.
Nous leur accordons le bénéfice du doute, cependant. Un homme réfléchi n’irait pas très loin en politique, et les deux candidats le savent. Ils cacheront probablement leurs doutes, s’ils en ont. Bien entendu, il est plus facile de dissimuler ses pensées quand on n’en a pas — de sorte que nous supposons qu’ils sont exactement ce qu’ils semblent être : des hommes occupés, intelligents, ambitieux avec peu de temps — et d’appréciation — pour la réflexion.
Des pensées honnêtes seraient désastreuses pour leurs carrières. Lorsqu’un homme se porte candidat à la présidence des Etats-Unis, il ne doit pas laisser paraître qu’il a en fait réfléchi aux choses. Réfléchir mène à la complexité… et le public aime que les choses restent simples. Une pensée mène à une autre… puis aux doutes… aux arrière-pensées… ce qui nous amène ensuite, eh oui, à l’humilité… qui finit par mener à l’inaction.
Les électeurs ne veulent rien avoir à voir avec un tel homme. Ils veulent un président qui a le courage de ses idées fausses… et les convictions de son ignorance. Ils veulent un homme qui est persuadé de pouvoir réduire le chômage… augmenter le PIB… dompter les fauves de Wall Street… et ressusciter les morts dans les cimetières de tout le pays.
Un homme réfléchi réalise bien vite que toutes ces promesses sont vaines, voire crétines, mais un bon candidat ne s’abaissera jamais à s’y arrêter. Il vit dans un monde de fiction où chaque promesse de campagne est un fantasme… et chaque problème peut être résolu avec un instrument contondant.
En ce qui concerne M. Obama, nous n’avons pas pu nous faire une idée. Soit nous ne l’avons pas assez vu… soit ce que nous voyons échappe à la mesure. Comme un fantôme sur une balance, il ne semble pas y avoir assez de masse.
▪ Le cas Romney
Alors tournons-nous vers M. Romney… un homme que nous pensons comprendre.
Mitt Romney est le fils d’un homme célèbre et prospère, George Romney. Ce dernier a connu le succès dans la vieille économie des années 50 et 60. C’est-à-dire qu’il fabriquait de vraies choses et les vendait à de vrais gens pour de vrais profits. Il était président d’American Motors, fabricant de la défunte « Rambler », entre autres.
La « Rambler » était une voiture de pacotille. Mais elle était bon marché, et elle vous emmenait là où vous vouliez aller. Il n’y avait là rien de subtil ou de sournois. Elle était ce qu’elle semblait être : un véhicule.
George Romney s’est présenté à la présidence lui aussi. Il est revenu d’un voyage au Vietnam en affirmant qu’il avait subi un « lavage de cerveau » de la part de l’armée. A l’époque, nous pensions que c’était une assez bonne description de ce qui se passait : le Pentagone avait tenté de le convaincre que dépenser des milliers de vies et des milliards de dollars au Vietnam n’était pas la boucherie désastreuse que c’était en réalité.
La presse et les experts, cependant, déclarèrent Romney Père inapte au service de président. Ce qui était remarquable en soi, puisqu’il semble à peine possible que Romney soit encore plus inapte que les autres occupants du Bureau Ovale.
Mitt Romney souhaite suivre les traces de son père — sans le voyage au Vietnam. Il ne risque pas d’être critiqué par l’armée : le budget qu’il envisage comprend une augmentation des dépenses de « sécurité » bien supérieure à celle proposée par son concurrent. Pense-t-il que ce sera bon pour le pays ? Nous ne saurions le dire — mais il pense à coup sûr que ce sera bon pour sa course électorale.
Le jeune Romney est le produit de son époque, tout comme son père. Là où le père faisait de vraies choses, le fils ne faisait que de l’argent. Son économie est celle de la finance, pas de la manufacture. Celle que Keynes lui-même décrivait :
« Les gouvernements peuvent confisquer, en secret, une part importante de la richesse de leurs citoyens. De la sorte, non seulement ils confisquent, mais ils confisquent arbitrairement ; et tandis que le processus appauvrit beaucoup de gens, il en enrichit d’autres… Ceux à qui le système apporte des aubaines […] deviennent des « profiteurs », qui sont l’objet de la haine […]. Le processus d’enrichissement dégénère, se transformant en jeu et en loterie ».
Mitt Romney a gagné la loterie. Sa société, Bain Capital, achetait des entreprises. Ils repeignaient les fenêtres et réaménageaient la cuisine, payant le tout à crédit. Ensuite, ils revendaient ces entreprises sur le marché boursier.
Romney était au bon endroit au bon moment. Grâce aux autorités, la dette totale des marchés du crédit aux Etats-Unis a été multipliée par plus de 30 depuis la fin des années 60 ; en tant que pourcentage du PIB, elle est passée de 150% à 350%. L’industrie manufacturière a décliné… les salaires ont diminué… mais les valeurs américaines ont été multipliées par plus de 12.
La plupart des entreprises revisitées par Bain Capital ont fini par faire moins bien que le marché. Mais quelques-unes ont fait bien mieux — du moins pour Mitt. 10 des 77 entreprises passées en revue par le Wall Street Journal ont fourni des rendements spectaculaires pour Mitt & Co. Malheureusement, Bain les avait enterrées sous un tel tas de dettes qu’elles ont été transformées en zombies. Durant le ralentissement du début des années 2000… nombre d’entre elles ont été incapables de survivre. Quatre ont fait faillite.
Romney affirme que son succès dans le secteur financier prouve qu’il peut aussi avoir du succès dans le secteur public. Il a probablement raison. Les escroqueries abondent dans les deux secteurs. Mais comme nous l’avons dit à notre public à Londres, ce n’est pas parce qu’on peut dévaliser une bijouterie qu’on sait en gérer une.