Commerce, immobilier et même… restauration : jusqu’où osera aller l’Etat pour réparer les dégâts économiques des mesures sanitaires anti-coronavirus ?
Dans notre monde post-Covid, l’intervention étatique ne connaît plus de limite. « L’Etat peut tout » semble être la nouvelle philosophie, et aucun secteur n’est plus hors d’atteinte de la dépense publique.
Nous avions, ces dernières années, vu les instances publiques manipuler les taux d’intérêt des emprunts publics et privés, offrir des milliards d’euros aux entreprises too big to fail, soutenir les cours boursiers ; voici désormais que les Etats s’immiscent dans le dernier pré carré de l’économie réelle.
Quand l’Etat vous invite à déjeuner
Les résidents du Royaume-Uni vont avoir le privilège, cet été, de voir leurs sorties culinaires financées en partie par la Couronne.
Pour dynamiser le secteur de la restauration, Londres va subventionner trois jours par semaine les sorties au restaurant, au pub ou au café, à hauteur de 50% de l’addition et jusqu’à l’équivalent de 11 € par repas.
Le logo de l’opération britannique « Aidez les restaurateurs, sortez dîner »
En pratique, les restaurateurs et cafetiers ont pour consigne de ne facturer que 50% de la note du lundi au mercredi et de se tourner vers le Trésor pour encaisser la différence.
Si les consommateurs se réjouiront sans doute de bénéficier pour une fois directement des injections de liquidités, les contribuables pourront à juste titre s’inquiéter de voir les nouvelles fonctions régaliennes de l’Etat inclure le financement, sans condition de ressources, des sorties gastronomiques.
La mesure de soutien étant inconditionnelle, il ne s’agit même pas de redistribution de richesse mais d’une intervention pure et simple dans des transactions commerciales autrefois conclues naturellement entre acheteurs et vendeurs. La restauration sera désormais un secteur bénéficiant d’aides directes comme s’il s’agissait, comme la culture ou l’élaboration de médicaments pour une maladie orpheline, d’une activité de niche que le seul libre-échange ne permet pas de faire survivre.
Vous vous demandez quelle mouche a piqué le gouvernement de Boris Johnson pour pervertir ainsi son économie de marché ? Sachez que la France n’est pas mieux lotie.
Bruno Le Maire, désormais ministre « de la Relance » (sic), a annoncé il y a quelques jours plancher sur la création de foncières ayant pour mission de mettre à la location des locaux commerciaux à loyer modéré.
Ces foncières locales devraient racheter des murs de boutiques dans les centres-villes au prix du marché et proposer aux commerçants des loyers allégés. L’objectif affiché est de faire baisser la charge du loyer dans les comptes des petits commerces très touchés par les mesures de confinement.
Peu d’éléments chiffrés ont filtré : nous ne savons toujours pas quels barèmes seront appliqués, quelles seront les conditions pour profiter de ces loyers modérés, la durée des mesures… Seul l’objectif de création d’une centaine de foncières sur le territoire métropolitain a été mentionné.
Ici encore, les contribuables sont en droit de se demander pourquoi leurs impôts devraient financer une activité traditionnellement confiée au marché libre. La mesure ne fera cependant pas que des victimes indirectes : les particuliers qui ont eu l’outrecuidance d’investir dans l’immobilier et qui comptaient sur la location de murs commerciaux pour s’assurer des revenus de bon père de famille subiront la mesure de plein fouet.
Devant faire face à la concurrence déloyale de l’Etat aux poches profondes, ils seront contraints d’aligner leurs loyers sur celui des murs subventionnés. Même s’ils veulent jeter l’éponge, la revente de leurs biens sera compliquée : le marché de l’immobilier d’investissement est notoirement dépendant des rendements, et toute baisse des loyers encaissés conduit à un effondrement du prix de vente.
Les sables mouvants de l’intervention étatique
Si nous relevons ces deux mesures au milieu de la marée de dépenses dites de relance, c’est parce qu’elles auront le plus grand mal à rester temporaires.
La liberté de commercer dans un marché libre et non faussé est, comme toutes les autres libertés, fragile. Les mesures d’exception prises dans l’urgence ont tendance à devenir la nouvelle norme et rares sont les dispositifs présentés comme transitoires qui le restent vraiment.
L’expérience du Fond de Solidarité Covid-19 et des mesures de soutien au chômage partiel en sont l’illustration la plus récente. Prévus pour quelques semaines au mois de mars, ils ont été prorogés encore et encore. Dans l’immobilier, nous avions déjà pu observer lors de la tentative de réforme des Allocations personnalisées au logement en 2017 à quel point alléger les dispositifs de soutien est socialement délicat.
Une fois que les acteurs économiques se sont habitués à de l’argent gratuit, le retirer est difficile – pour ne pas dire impossible. Si les commerces prennent l’habitude de voir une partie de leur chiffre d’affaires assuré par l’Etat, ou leur loyer subventionné, tout retour à une économie de marché ne pourra se faire que dans la douleur.
La moindre tentative de normalisation se heurtera au mur du chantage à l’emploi. Les bénéficiaires des aides ne manqueront pas de clamer que fermer le robinet aura des conséquences directes sur leur solidité financière. Et ils auront raison ! Les activités-zombies sont réellement dépendantes des flux monétaires étatiques.
Bienvenue au Pays des Merveilles
Vous aviez grincé des dents en entendant nos géniaux dirigeants claironner que les considérations pécuniaires ne devaient pas limiter l’ambition des politiques de santé publique? Vous rirez jaune en constant que, pour ces fins stratèges, il est envisageable de dénaturer notre économie pour la sauver.
Peu importe, visiblement, que les conséquences immédiates de ces actions soient, justement, la disparition de l’économie de marché qu’ils prétendent protéger. Tels des Gribouille qui se jetteraient à l’eau de peur d’être mouillés par la pluie, nos dirigeants annihilent la capacité des citoyens à commercer librement pour protéger le tissu économique.
Petit à petit, une nouvelle norme s’installe. Des taux bas, voire négatifs ; une épargne punie et pouvant être saisie au moindre coup de Trafalgar pour les finances publiques ; une Théorie monétaire moderne qui prétend que les dépenses enrichissent ; des banques centrales qui fixent les prix des actions et obligations ; voici désormais la nationalisation des échanges commerciaux même les plus triviaux pour maintenir l’illusion d’une économie de marché.
Ces nouveaux excès d’interventionnisme ne sont pas un symptôme dû à une situation sanitaire exceptionnelle mais le résultat d’une tendance de fond débutée il y a plusieurs décennies comme nous le soulignons régulièrement dans ces colonnes.
Au fur et à mesure que les mesures non-conventionnelles (comprendre : contraires à toutes les bonnes pratiques économiques communément admises) s’empilent, il devient de moins en moins probables qu’elles disparaissent un jour.
Le projet de loi de finances rectificative présenté au Conseil des ministres du 10 juin 2020 par Bruno Le Maire évoque un lissage des dépenses dues au Covid-19 dans le temps, « par exemple jusqu’en 2042 ».
Une manière pudique de confirmer que les nouvelles mesures d’urgences sont là pour durer.