« Capitalisation » — le terme qui fait peur, concernant les retraites en France. Pourtant, elle est déjà appliquée dans notre pays, pour certaines professions… et elle fonctionne.
Le système de retraites français est dans l’impasse, avons-nous vu hier – et la solution envisagée par le gouvernement laisse de nombreuses questions sans réponses.
La sagesse aurait été de ne plus tout miser sur la répartition – à ce jour, en France, 98% des retraites proviennent des régimes par répartition – et de mettre en place, comme dans de nombreux pays, un volet par capitalisation – qui ne sert, par conséquent, aujourd’hui en France, que 2% des pensions de retraite.
Actuellement, les actifs gérés par les fonds de pension privés et les fonds de réserve publics représentent 13% du PIB en France. Au Danemark, ceux-ci représentent 199% du PIB, ce qui place ce pays en tête de l’OCDE.
Source : IEM
Tout miser sur la répartition est une particularité française que la réforme Delevoye-Philippe ne fait que renforcer. « Ce faisant », comme le disent Marques et Philippe de l’Institut Molinari (IEM), « elle nous condamne à rester prisonnier d’un jeu à somme nulle désormais classique, avec comme variables d’ajustement la durée d’activité, les taux de cotisation, le niveau des pensions et leur revalorisation ».
Pis, le projet du gouvernement veut démanteler les rares institutions qui « ayant fait preuve de prévoyance et de responsabilité, en ne générant pas de déficit et en constituant une épargne permettant d’améliorer le retour sur investissement des cotisations retraites ».
Parmi eux, on peut citer le Fonds de réserve des retraites (FFR), l’Etablissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP) ou l’AGIRC-ARRCO, ou encore les caisses des professions libérales.
Deux exemples à suivre : la CAVP et l’ERAFP
Lors du dernier colloque organisé par l’ALEPS, Contribuables Associés et l’IREF le 3 décembre dernier et consacré à la réforme des retraites, Monique Durand, présidente de la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP), a expliqué comment fonctionne son institution.
Comme l’a dit Monique Durand :
« La retraite des pharmaciens libéraux est originale et innovante en ce qu’elle comporte une part de capitalisation obligatoire. Le régime de retraite complémentaire obligatoire des pharmaciens libéraux combine en effet répartition et capitalisation ».
Dès 1962, les administrateurs de la CAVP faisaient ce choix, conscients que la démographie de la profession mettait en danger le financement des pensions de retraite. D’ailleurs, en 2021, le ratio cotisant/retraité atteindra 1 pour 1 : il y aura 30 000 pharmaciens actifs pour autant de pensionnés et ayants droits. Optionnel à l’origine, le régime complémentaire par capitalisation a été rendu obligatoire en 2009. Aujourd’hui, il sert 50% des retraites des pharmaciens libéraux.
Ce régime par capitalisation détient sept milliards d’euros d’encours, contre 1,4 milliard pour le régime par répartition. L’ensemble de ces fonds est investi à plus d’un milliard d’euros dans des actions cotées et à plus de 500 millions dans du non coté ; mais aussi dans des obligations (5,5 milliards) et de l’immobilier (750 millions).
C’est pourquoi les pharmaciens libéraux proposent de dupliquer leur système à l’ensemble des professions avec, dit la présidente de la CAVP, « un régime de retraite socle par répartition, adapté aux spécificités des non-salariés au sein du régime universel, et un régime de retraite complémentaire, obligatoire et solidaire, à gouvernance professionnelle, lequel serait géré par capitalisation ».
Un tel modèle, en effet, fait preuve d’une « meilleure soutenabilité tout particulièrement dans le cadre d’une démographie défavorable » ainsi que d’une « meilleure diversification du risque ». Par ailleurs, il est « vertueux au niveau économique, avec un horizon d’investissement d’autant plus long qu’il n’est impacté ni par la portabilité ni par une sortie possible en capital ».
Autre institution menacée, qui fonctionne pourtant avec efficacité, l’Etablissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP), créé par la loi Fillon de 2003. Destiné aux fonctionnaires, l’établissement perçoit des cotisations assises sur les rémunérations accessoires (primes, indemnités, avantages en nature…) non prises en compte dans les régimes de base de la fonction publique. Ces rémunérations sont ensuite transformées en points qui, multipliés par la valeur de service du point, donnent le montant de la prestation additionnelle qui sera perçue à la retraite.
Là où ça devient intéressant, c’est que les sommes collectées par l’ERAFP sont capitalisées et placées. A la fin de l’année 2018, les fonds gérés représentaient près de 30 milliards d’euros répartis de la façon suivante : 56,6% en obligations ; 32,2% en actifs de diversification (actions cotées et non cotées) ; 9,9% en immobilier.
Qu’aurait-il fallu faire ?
Plutôt que de dissoudre ces deux institutions que sont l’ERAFP et la CAVP dans un grand tout nationalisé qui ne fera que gérer la pénurie, le gouvernement ferait mieux de s’appuyer sur ce qui marche, ici en France comme à l’étranger.
C’est ainsi que l’IEM propose un renforcement de l’ERAFP et un élargissement de sa mission. Comme l’écrit Cécile Philippe sur le site Contrepoints, on pourrait « permettre à l’ERAFP de proposer ses prestations au privé, ou susciter la création d’un équivalent par l’AGIRC-ARRCO, pour profiter de ce que le capitalisme a de meilleur : des rendements du capital positifs sur le long terme ».
Bien évidemment, il convient de préserver les régimes des professions libérales dont la plupart est bien gérée, certains étant même des modèles à suivre comme nous l’avons vu.
L’IEM suggère que l’AGIRC-ARRCO reprenne le régime général aujourd’hui défaillant, et que soit créé un pilier capitalisation obligatoire pour les salariés du privé.
Enfin, il ne faut pas oublier d’alléger la fiscalité et les contraintes sur toutes les formes d’épargne retraite, en particulier en supprimant toute fiscalité sur les plus-values fictives correspondant à l’inflation, mais aussi en défiscalisant et désocialisant les versements et produits d’épargne-retraite.
Vous l’aurez compris, ce n’est pas le chemin que prend le gouvernement. Alors, si vous en avez la possibilité, prenez vos précautions, en particulier en suivant nos conseils.