Malgré des annonces triomphales (et beaucoup d’optimisme), un examen approfondi du marché de l’emploi US démontre que la fameuse reprise en « V » n’est qu’un mirage…
Dans un excès d’enthousiasme peu convaincant, NBC a annoncé début mars 2021 que l’emploi salarié avait « bondi » au mois de février aux Etats-Unis.
Plus précisément, le nombre total d’emplois non agricoles (corrigé des variations saisonnières) a augmenté de 379 000 postes d’un mois sur l’autre, largement au-dessus de l’augmentation de 210 000 qui était attendue.
Ces chiffres pourraient paraître excellents au premier abord, mais une analyse plus approfondie suggère que la croissance de l’emploi US est en fait beaucoup plus fragile que ce que les médias prétendent.
De plus, l’examen de la situation de la croissance de l’emploi au cours des derniers mois nous offre un rappel utile du fait que la fameuse reprise en « V » qui nous avait été promise au printemps dernier ne s’est en réalité jamais produite.
Rappelez-vous…
Il faut se souvenir de toutes les discussions qui ont eu lieu l’année dernière autour de la reprise en « V ». C’était à l’époque où on nous assurait qu’un confinement de « deux semaines » — ou peut-être deux mois — pour « ralentir la propagation » du Covid-19 nous apporterait un retour sur investissement inestimable, car les mesures de confinement et de fermeture obligatoire des entreprises permettraient de « vaincre » miraculeusement la maladie.
Le marché de l’emploi et l’économie se redresseraient ensuite de façon spectaculaire, la Fed pourrait mettre fin à ses programmes de soutien à l’économie et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Au mois de juin, CNBC annonçait que « le redémarrage de l’économie suite à la pandémie ressemble sans aucun doute à une reprise en ‘V’ », pointant du doigt les chiffres records de création d’emplois après l’effondrement initial qui avait eu lieu pendant la période de mars à avril.
Fin des bonnes nouvelles…
Mais ensuite, le flux de bonnes nouvelles s’est tout simplement interrompu, en tout cas en ce qui concerne le marché de l’emploi US.
Par exemple, bien que les créations d’emplois au cours du mois de février 2021 puissent paraître impressionnantes, le nombre total d’emplois aux Etats-Unis reste très largement en dessous du niveau auquel il se situait à la même époque l’année dernière.
Au mois de février 2020, avant que les effets du confinement ne commencent à se faire ressentir, l’économie américaine comptait 152 millions d’emplois, un plus haut historique. Or suite au « bond » du mois de février de cette année, l’économie américaine ne comptait toujours que 143 millions d’emplois, soit neuf millions de moins qu’un an plus tôt. Pour dire les choses autrement, le nombre total d’emplois est revenu au niveau auquel il était en 2015.
Oui, les Etats-Unis ont regagné 13 millions d’emplois depuis le plus bas atteint au cœur de la crise au mois d’avril 2020. Mais comme vous pouvez le voir sur le graphique ci-dessus, le nombre total d’emplois stagne depuis novembre dernier et n’a augmenté que de 200 000 postes au cours des quatre derniers mois.
Ce n’est pas exactement ce qu’on pourrait appeler un « bond ». Et cela ne ressemble certainement à une reprise en « V ». Cela ressemble plutôt à une version particulièrement fragile de la « reprise en racine carrée » que certains prédisaient l’année dernière. Excepté que l’extrémité de la queue de cette coche est restée quasiment plate jusqu’à présent.
Une longue agonie
Il faut également compter avec le nombre d’inscriptions au chômage. Les nouvelles demandes d’inscription à l’assurance-chômage se sont maintenues entre 700 000 et 800 000, chaque semaine, au cours des cinq derniers mois. Rien n’indique ici qu’une tendance à la baisse se dessine et la reprise en « V » s’est rapidement transformée en longue agonie après le « redémarrage » anémique qui a eu lieu initialement l’été dernier.
Le nombre total d’allocataires inscrits tend en revanche à se réduire lentement. Il est passé de 5,1 millions au début de l’année à 4,2 millions.
Dans les deux cas, ces chiffres restent à des niveaux caractéristiques d’une situation de récession économique. Lors de la crise économique mondiale de 2008, par exemple, le nombre d’allocataires inscrits au chômage avait atteint à 6,6 millions au plus haut. Ce chiffre s’élevait à environ 1,7 million d’inscrits en 2020 avant que la récession ne frappe.
Les chiffres du chômage se sont également maintenus à un niveau résolument élevé concernant les allocataires inscrits dans le cadre du PUA [Pandemic Unemployment Assistance : programme temporaire d’extension de l’assurance-chômage aux entrepreneurs et travailleurs indépendants ou à temps partiel victimes de la pandémie qui n’y sont normalement pas éligibles, NDLR].
Au début du mois de janvier, le nombre total d’allocataires dans le cadre de ce programme s’est établi à 8,3 millions, poursuivant sur une tendance baissière lente. Au début du mois de mars, ce chiffre avait à peine reculé, à 7,3 millions d’allocataires.
C’est un progrès, mais combiné aux inscrits à l’assurance-chômage classique, cela signifie qu’il y a toujours plus de dix millions d’Américains qui dépendent d’un programme d’assurance-chômage, sous une forme ou sous une autre, ce qui n’est pas vraiment le signe d’une économie robuste.
Une réalité complexe
Le taux de chômage reste également à un niveau particulièrement préoccupant. Le taux de chômage US officiel est tombé à 6,2% au mois de février. C’est sans aucun doute une amélioration par rapport au mois d’avril 2020, lorsqu’il avait atteint un plus haut à 14,8%.
Mais, comme c’est souvent le cas, le taux officiel masque une réalité plus complexe.
Bien que le taux officiel s’établisse à 6,2%, le directeur de la Fed du Minnesota, Neel Kashkari, a admis que « le véritable taux de chômage est proche de 9,5% », comme l’a relayé Heather Long, journaliste économique au Washington Post.
Pourquoi un tel écart ? C’est le résultat de plusieurs facteurs, notamment le déclin du taux de réponse aux enquêtes conduites par le département du Travail, le fait que de nombreux chômeurs ont tout simplement cessé de chercher du travail, ainsi que les ambiguïtés qui existent dans les données collectées concernant le fait de savoir si une personne est ou non au chômage de façon seulement temporaire.
En d’autres termes, le calcul du taux de chômage officiel exclut un grand nombre de personnes qui aimeraient avoir un travail, mais qui se sont découragées et ont cessé de chercher un emploi, ainsi que beaucoup d’autres qui techniquement ne sont au chômage que de façon « temporaire » mais qui, en pratique, restent sans emploi. D’après les chiffres officiels, beaucoup d’entre eux sont simplement « en congé ».
Le président de la Fed, Jerome Powell, a également admis que le taux de chômage était probablement proche de 10% au mois de janvier. Sans surprise, Kashkari a estimé qu’il n’y aurait pas de « décollage » de l’économie avant 2022.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il est clair que les Etats-Unis sont toujours au beau milieu d’une récession en ce qui concerne le marché de l’emploi.
Pourtant, CNBC continue d’affirmer que l’économie est « en pleine effervescence » car les chiffres du PIB sont attendus en forte hausse au cours du premier trimestre de cette année. CNBC a proclamé triomphalement que « la croissance économique au premier trimestre pourrait atteindre 10% », affirmant que l’économie « redémarre sur les chapeaux de roue », prête à battre les anticipations les plus optimistes.
Mais à moins que des changements profonds ne se produisent en ce qui concerne la situation du marché de l’emploi, nous devrons commencer à voir les chiffres du PIB de la même manière que nous observons les cours des actions : comme le reflet d’anticipations optimistes et de la croissance de certains secteurs spécifiques de l’économie, mais qui n’ont pas grand’chose à voir avec la situation financière personnelle et les perspectives d’emploi de millions d’Américains ordinaires.
Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.