Qu’est-ce qu’une monnaie fiduciaire ? Pourquoi son statut est-il aujourd’hui remis en cause ? Et que valent les alternatives, à commencer par les crypto-monnaies ?
Avant de chercher à définir de nouvelles formes d’organisation d’un bon système monétaire, revenons sur le débat qui oppose monnaies fiduciaires et monnaies non fiduciaires.
Un bon système monétaire est entendu comme celui qui met à disposition de l’économie des moyens d’échange et de paiement représentés par une monnaie indépendante et stable – toutes choses dont sont précisément dépourvues les monnaies dites fiduciaires, telles que le dollar et l’euro.
Une appellation devenue largement abusive aujourd’hui, puisque « monnaie fiduciaire » signifie, à l’origine, confiance en celui qui émet ladite monnaie. Quant aux crypto-monnaies, elles sont, pour leur part, encore trop volatiles.
Comment définir les monnaies dites fiduciaires ?
Ces monnaies sont des « créatures » plus ou moins affirmées de l’Etat, quelle que soit la sympathie que l’on éprouve pour ses représentants et quelle que soit sa forme institutionnelle. Cela signifie qu’une autorité juridique ou politique, « unanimement » acceptée par les membres d’une communauté, garantit la valeur de cette monnaie.
Mais le revers de la médaille, c’est que la monnaie est confiée à une autorité politique ou monétaire (et l’indépendance d’une banque centrale dans ses statuts n’y change pas forcément grand-chose), et c’est l’une des raisons pour lesquelles l’inflation et les déficits existent (gaspillages inhérents à la fonction publique et aux prétendus responsables politiques et monétisation des déficits par la création de monnaie, ce qui est potentiellement inflationniste).
Dès lors, la monnaie fiduciaire correspond à une dette émise par la banque centrale, inscrite au passif de son bilan, et qui ne peut être refusée. Elle sert de garantie à la monnaie « émise » par les banques commerciales. En ce sens, la monnaie n’est rien d’autre qu’une créance à vue des agents économiques non bancaires sur le système bancaire. Mais alors, qu’ont remis concrètement ces agents au système bancaire pour disposer de cette créance ? Rien – si ce n’est une forme de reconnaissance de dette.
Depuis le fameux 15 août 1971, date de la rupture du lien entre l’or et la monnaie par la décision du président Nixon de suspendre la convertibilité du dollar en or, la monnaie est émise en contrepartie du crédit, donc, en théorie, sans limite.
Dans ces conditions, parmi les différentes sources de l’inflation (c’est-à-dire de la perte de pouvoir d’achat de la monnaie), la source monétaire est la seule qui ne soit pas réellement combattue, car elle est consubstantielle au système monétaire international en place depuis maintenant près de 54 ans.
Qu’oppose-t-on alors à ces monnaies fiduciaires ?
Appelons-les monnaies non fiduciaires. Leur particularité est de remettre en cause la création monétaire illimitée à partir de rien.
Les crypto-monnaies en général, et le Bitcoin en particulier, relèvent de cette catégorie, dans la mesure où leur émission est limitée, contrairement aux monnaies fiduciaires que les banques centrales peuvent créer sans contrainte.
Par exemple, le bitcoin est programmé pour avoir une offre maximale de 21 millions d’unités et cette limitation « algorithmique » lui confère un statut de rareté similaire à l’or, dont le processus de création est limité à ce qui a été extrait du sol. Attention cependant au lien entre valeur et rareté qui, s’il est réel, n’est pas systématique pour autant.
Quoi qu’il en soit, le débat reste très animé entre cryptophiles et cryptophobes.
Du côté des cryptophiles, plusieurs arguments sont recevables :
- le bitcoin n’est pas manipulable puisqu’il faut utiliser d’énormes puissances de calcul, coûteuses, pour pouvoir miner de nouvelles pièces ;
- de plus, le bitcoin repose sur une technologie blockchain décentralisée qui garantit la transparence des transactions et réduit les risques liés à l’intervention d’une autorité.
Du côté des cryptophobes, des objections tout aussi recevables existent…
- Une monnaie fiable et crédible doit être un étalon de valeur pour permettre et faciliter le calcul économique, et rendre ainsi les transactions équitables. Mais alors comment envisager que le bitcoin puisse être cet étalon, puisque celui-ci peut varier de plus ou moins 10 % en quelques heures ?
- Par ailleurs, la mise en place d’une infrastructure sécurisée pour stocker et gérer le bitcoin nécessite des investissements massifs dans la cybersécurité. Selon une estimation de Deloitte (2023), les coûts annuels pour sécuriser des réserves en bitcoin pourraient représenter 2 % à 3 % de la valeur totale des actifs détenus.
A ce stade, nous dirons que les monnaies sont dites fiduciaires, car il n’existe pas encore de véritables alternatives pour faire confiance à autre chose. Quant aux monnaies non fiduciaires, elles ne constituent pas encore des substituts solides : leur trop grande instabilité et la quête incertaine d’une valeur intrinsèque (objet financier encore mal défini) les affaiblissent – tout comme le contexte actuel de sur-financiarisation rend peu réaliste un retour à un système fondé sur l’étalon-or, qui impliquerait une destruction massive de monnaie banque centrale.
Que va-t-on donc pouvoir – ou devoir – mettre entre ces deux types de monnaies ? Nous allons examiner dans nos prochains articles trois alternatives qui vont se développer dans les années à venir.