▪ John Law doit se tordre de rire dans sa tombe. Trois siècles après la faillite de son système, non seulement le monde entier l’a adopté mais des taux d’intérêt négatifs sont monnaie courante, même sur une durée de cinq ans. L’Ecossais, premier banquier central de l’histoire de France, ne devait même pas avoir imaginé qu’un jour certains soient prêts à payer pour prêter leur argent.
Cette extraordinaire situation montre que le divorce entre l’économie du crédit et l’économie dite réelle est consommé. Les « liquidités » traitées dans une partie de la sphère financière sont d’une substance différente des capitaux utiles à l’économie réelle. Dans cette dernière, l’argent est durement gagné et non pas créé ; par conséquent, il ne saurait être question de l’investir avec une certitude de perte.
Les éditions Les Belles Lettres sortent très opportunément une biographie de John Law, signée Nicolas Buat, et dont le sous-titre évocateur est « La dette ou comment s’en débarrasser ». De quoi nous rafraîchir la mémoire qui en a bien besoin.
John Law était persuadé que la quantité de monnaie était proportionnelle à la vigueur de l’économie ; il s’était donc intéressé à un projet de titrisation des terres agricoles qui aurait permis de faire circuler de la monnaie adossée à celle-ci.
« Les propriétaires terriens recevraient de la banque foncière la contre-valeur de leurs terres en billets en échange d’un remboursement annuel de 2,25% sur une durée de quarante-cinq ans ; ces billets seraient reçus au même titre que l’argent monnayé selon leur valeur nominale ».
John Law fit remarquer que les taux longs de l’époque étant bien supérieurs à 2,25%, les propriétaires seraient tentés en masse. Par conséquent, la production de billets serait trop importante et ils seraient mal reçus du public. Il n’empêche que John Law était séduit par l’idée de rendre liquide ce qui ne l’était pas, ce qui rappelle les titrisations des crédits hypothécaire subprime.
le budget était passé de 100 millions de livres en temps de paix à 250 millions de livres |
▪ 1716-2016, un parallèle frappant…
En 1714, John Law s’installe dans une France ruinée par vingt-cinq ans de guerre et aux finances publiques bien mal en point, une France déjà rongée par l’instabilité et la confusion fiscale. « L’exception était partout et la règle nulle part ». Le déficit des finances publiques était monstrueux, le budget était passé de 100 millions de livres en temps de paix à 250 millions de livres, la dette représentait dix années de recettes fiscales. La France empruntait officiellement au taux de 5%, en réalité plus ; par comparaison, la signature la plus forte d’Europe, Gênes, empruntait à 2% ou 3%. Les classiques recours aux expédients touchaient à leur fin : dette, cavalerie financière, impôts et politique monétaire consistant à réformer les pièces en circulation pour les alléger (dévaluation).
En 1716, John Law est autorisé à créer la Banque générale et à émettre du papier contre de l’or ; en 1718 la Banque Générale devient Banque Royale garantie par le roi. Par ailleurs, Law se lance dans le commerce colonial avec la Compagnie de l’Occident.
En janvier 1720, John Law, économiste renommé, auteur de plusieurs ouvrages, au faîte de sa gloire, est nommé par le Régent contrôleur général des finances, c’est-à-dire ministre des finances. La Banque Royale et ce qui est devenu la Compagnie perpétuelle des Indes fusionnent. La fin est proche, la nouvelle entité fonctionne avec un levier de 30, le capital est de 322 millions de livre et plus d’un milliard de livres de billets sont émis en un mois. Certains gros détenteurs de billets en demandent le remboursement en or et en argent. C’est le bank run puis la faillite.
Toutes les bêtises ont déjà été faites et aujourd’hui n’est pas très différent |
Monnaie dette, bulle spéculative, politique de taux bas, envie d’inflation pour ronger la dette publique, dégoût puis révolte fiscale, soutien artificiel à l’économie, capitalisme de copinage : tous les ingrédients sont là. Toutes les bêtises ont déjà été faites et aujourd’hui n’est pas très différent. « Il ne suffisait pas cependant d’injecter de la liquidité et de forcer l’argent à circuler pour engendrer une croissance économique » : l’auteur de cette histoire de John Law reprend à son compte en langage moderne les conclusions d’un témoin de l’époque, Saint-Simon.
La faillite de Law a désendetté l’économie et le roi par l’inflation. Ce faisant, elle a ruiné 10% de la population française et en a considérablement enrichis quelques-uns. Quelles seront les victimes collatérales de la banqueroute qui s’annonce aujourd’hui ? Ce livre vous aidera à y réfléchir. Les taux négatifs sont toutefois une nouveauté par rapport au système selon Law. Plus que les banques, ce sont les assureurs qui sont en première ligne et ne pourront tenir leurs promesses. Derrière, on trouve les porteurs de dette française (assurance-vie).