[NDLR : Françoise Garteiser survole les nuages… en route pour Kyôto. En attendant de la retrouver en direct du Pays du Soleil Levant, voici un éditorial extrait du magazine MoneyWeek signé Bill Bonner.]
▪ Les pourparlers de paix ont été interrompus il y a quelques jours. Et le dollar a baissé. Pourquoi irait-on payer 100 cents pour un vieux billet vert lorsque la Fed promet d’en créer par milliers de milliards, tous flambants neufs ? L’Europe et le Japon ont repris les hostilités avec leurs nouveaux fusils à assouplissement quantitatif. Les pays asiatiques ont envoyé des tireurs d’élite pour intervenir directement sur les marchés des changes. La Chine et les Etats-Unis sont passés à "une guerre des tranchées", selon le Financial Times, aucun des deux ne semblant prêt à bouger d’un centimètre — c’est-à-dire qu’aucun ne souhaite laisser sa devise valoir plus aujourd’hui qu’hier. Aux Etats-Unis, la Chine est devenue l’épouvantail de la campagne électorale. Les électeurs semblent convaincus qu’un pays ayant accumulé 2 000 milliards de reconnaissances de dette américaine, sous la forme de billets verts, doit mijoter quelque coup fourré.
La guerre continue donc. Mais c’est un ersatz de conflit. Tous les combattants veulent en fait la même chose — dévaluer leur devise aux dépens des épargnants et des créditeurs. Tôt ou tard, ils conspireront pour y parvenir. Pas moins de 93% des professionnels de la finance américains pensent que la Réserve fédérale est sur le coup. On s’attend à ce qu’elle lance une dévaluation majeure en novembre. En anticipation de cela, les investisseurs ont fait grimper quasiment toutes les classes d’actifs. Le Dow a dépassé les 11 000 points. Les matières premières ont atteint de nouveaux sommets. Et si l’or passe une séance sans enregistrer un nouveau record, c’est probablement parce que les marchés étaient fermés ce jour-là.
Quelle période remarquable de l’histoire financière ! Nous avons peine à en croire notre chance. Des choses absurdes se produisent. John Maynard Keynes avait tort sur à peu près tout. Mais il avait raison sur un point :
"Il n’y a pas de moyen plus subtil et plus sûr de renverser une société que de dévaluer la devise. Le processus implique le côté destructeur de toutes les forces cachées de la loi économique, et le fait de telle manière que pas un homme sur un million ne peut en faire le diagnostic".
Et nous avons la chance d’assister à ce spectacle en direct ! Le dollar américain est partiellement tombé aux mains des "dévaluateurs" en 1913… lorsque la banque centrale américaine a été formée. Son sort a ensuite été complètement scellé en 1971, lorsque tout lien avec l’or a été éliminé. Durant le siècle précédant la naissance de la Fed, le dollar n’a pas perdu un sou de valeur. Durant les 100 et quelques années qui ont suivi, il a quasiment tout perdu. Si le billet vert perdait encore 5% de sa valeur de 1941, il n’en resterait absolument rien.
Un cambriolage aussi lent et clandestin ne dérangeait personne. Mais à présent, les banques centrales commettent leurs méfaits en plein jour. Les économistes en veulent plus. Mais les investisseurs sont déconcertés et inquiets. Aujourd’hui, ils achètent de l’or. Demain, ils achèteront peut-être des fusils à pompe.
Mais que peuvent faire les planificateurs ? Après avoir augmenté durant 61 ans, le volume de crédit aux Etats-Unis — et, partant, le volume de ventes — ne se développe plus. Les ménages doivent donc rembourser leurs dettes, tandis que les exportateurs n’ont aucune alternative sinon de se battre pour leurs parts de marché. Que faire ? Baisser la valeur de la devise ! Mais durant une correction, les prix baissent naturellement en même temps que la demande décline. La devise tend donc à se redresser exactement au moment où les autorités voudraient qu’elle s’affaisse.
Pauvres banquiers centraux. Ils n’ont jamais vraiment réussi à gérer quoi que ce soit avec succès. Et les voilà désormais victimes de leurs propres illusions de compétence. Ils luttent dans une guerre monétaire qu’ils n’ont pas choisie, mais qu’ils ont provoquée. Elle est leur réaction à la correction, qui a été générée par la bulle, cette dernière ayant été causée en grande partie par les gestionnaires eux-mêmes.
Et voilà qu’ils cherchent un hôtel pour recommencer. C’est à l’hôtel Plaza de New York, en 1985, qu’ils ont mis en place leur Traité de Versailles. Il a mis fin à la guerre des devises du début des années 80… et ouvert la voie à un conflit encore plus grave des années plus tard. A l’époque, c’est l’économie japonaise qui était sous les feux de la rampe. Comme la Chine aujourd’hui, le Japon était le plus grand exportateur au monde. Il voulait que le yen reste bas. Les Etats-Unis, parallèlement, perdait des parts de marché. James Baker et d’autres gestionnaires américains menacèrent de prendre des sanctions. Le Japon céda. Au début de l’année suivante, le yen était 40% plus élevé que le dollar, tandis que le taux de croissance du PIB japonais avait été divisé par deux. Mais les autorités ont réglé ce problème comme elles règlent tous les autres. Au Japon, ils ont réduit les taux à quatre reprises en 1986, créant une inondation d’argent brûlant. Quatre ans plus tard, le Japon faisait l’envie du monde entier. En janvier 1990, le Nikkei Dow a atteint un nouveau record — quatre fois plus élevé que son niveau lors de la signature des accords du Plaza. Puis la bulle éclata. Inutile de vous rappeler ce qui s’est passé ensuite. Le Nikkei s’est effondré. L’immobilier s’est effondré. Tout s’est effondré. L’économie japonaise est entrée dans une crise qui dure depuis 20 ans ; elle n’a pas créé un seul emploi en deux décennies. Ni les actions, ni l’immobilier, ni l’économie ne se sont jamais remis.
Personne ne veut suivre les Japonais sur cette voie. Ben Bernanke gère le dollar en essayant désespérément d’éviter une telle issue. Le Premier Ministre chinois a déclaré que ce serait "un désastre pour le monde" si les nations occidentales essayaient de convaincre la Chine de prendre cette direction. Il a raison. Mais il n’a pas besoin de se faire de souci. Le désastre arrivera quand même. Les dévaluateurs feront en sorte que ce soit le cas.
Bill Bonner
La Chronique Agora