La lumière contre l’obscurité. Le courage contre le conformisme. L’amour contre l’apathie. Toute chose a son contraire, une force égale et opposée.
Nous sommes arrivé à notre hôtel de Bogota jeudi matin. Un exemplaire d’El Tiempo, l’un des journaux nationaux, nous attendait sur le comptoir à la réception ; apparemment, personne ne l’avait encore lu. A la une, sous le titre « Grecia se incendia ante el sì al plan de austeridad », se trouvait la photo plutôt choquante d’un manifestant ensanglanté, luttant pour se libérer d’un représentant des autorités. Ce dernier, que l’on apercevait derrière l’épaule du manifestant, un bras passé sous son menton, portait un masque à gaz. Son visage était masqué, mais son bâton et son bouclier, eux, étaient bien visibles.
Selon l’article (et nos compétences de traducteur, certes discutables), la photo a été prise pendant des « affrontements violents entre la police et ceux qui refusent les coupes budgétaires, les taxes et les privatisations. »
Vous pouvez lire un article similaire dans n’importe quel journal de votre choix, cher lecteur. Pour résumer, Athènes brûle. A nouveau. Et sa chute présage un problème plus grave encore : l’ensemble du tissu économique et des infrastructures politiques du continent européen risque de s’enflammer dans son sillage — un brasier infernal alimenté par la dette qui ne tardera pas à imploser de manière spectaculaire, entraînant le monde entier dans un nouvel Age des Ténèbres, étouffant tout espoir de reprise.
Bon. Voilà donc le scenario du pire…
Mais, répétons-le une nouvelle fois, toute chose a son contraire, une force égale et opposée. La destruction et la création… la contrainte et la volonté… l’esclavage et la liberté. Et, ah oui, n’oublions pas : le nord et le sud.
▪ Loin du chaos athénien, loin de la folie de ses foules et des bâtons de ses policiers, il y a une autre Athènes, qui bouge, avec une force presque égale, dans la direction opposée. Grâce à ses nombreuses bibliothèques et à ses universités, Bogotà, ancienne capitale de la Vice-Royauté de Nouvelle-Grenade et capitale actuelle de la Colombie, est parfois surnommée « l’Athènes sud-américaine ».
Il y a un peu plus d’une décennie, en 1999, l’année même où l’euro était imposé en Europe avec moult festivités et applaudissements, la Colombie faisait le trajet inverse. La nation était en proie au trafic de drogue, à un taux d’homicides qui ferait rougir Washington DC aujourd’hui, et, en plus du reste, risquait de perdre à tout moment son accès aux emprunts étrangers. La violence des insurgés et la crise bancaire avaient contribué à provoquer six trimestres consécutifs de contraction économique entre 1998 et 1999.
Les agences de notation Moody’s et S&P réévaluaient même la note des obligations colombiennes, désormais considérées comme junk bonds. Dans le meilleur des cas, on pouvait s’attendre à ce que quelques rares investisseurs, peu enthousiastes, acceptent encore de placer leurs billes dans le pays.
Pendant les années qui suivirent, alors que les Spartes échangeaient joyeusement leurs drachmes contre des euros et se chauffaient le dos à la douce chaleur fiduciaire de leur toute nouvelle fiabilité-acquise-par-association, les Colombiens durent passer par une sorte de « programme d’austérité » involontaire. Obligé de vivre sans se reposer sur la générosité de tiers, le gouvernement colombien vit son niveau de dette générale chuter de dix points de pourcentage du PIB entre 2003 et 2007.
L’économie colombienne, plus saine et plus forte, atteignit en 2007 le taux de croissance le plus fort en 30 ans, et attira 10, 6 milliards de dollars d’investissements étrangers directs l’année suivante. Un record. Même son taux d’homicide, resté longtemps l’un des principaux points noirs pour les investisseurs étrangers, a radicalement diminué : il a été réduit de moitié depuis 2002.
Tout cela, il faut le dire, alors que les nations du Club Med, à la périphérie de l’Europe, profitaient du soleil les doigts de pieds en éventail, s’autorisant des plans d’aide sociale et des programmes de subventions en tout genre pour des travaux qu’ils n’avaient même pas encore effectués — et qu’ils n’effectueront probablement jamais.
Comme Bill Bonner aime à nous le rappeler, les individus comme les nations n’obtiennent pas souvent ce qu’ils souhaitent… mais reçoivent presque toujours ce qu’ils méritent. Aujourd’hui, ces deux nations récoltent ce qu’elles ont semé.
Actuellement, la Grèce est l’état le moins bien noté du monde, derrière l’Equateur, la Jamaïque, le Pakistan et la Grenade. Standard & Poor’s a abaissé sa note de trois crans le mois dernier, la faisant passer au triple C.
Pendant ce temps, Standard & Poor’s et Moody’s ont récemment réévalué la notation de la Colombie : le pays est maintenant au coude à coude avec le Brésil, le Pérou et Panama. De plus, ses perspectives « stables » devraient aider à huiler la mécanique et à garantir une croissance durable, fournissant une opportunité de véritable formation de capital. Hernando Jose Gomez, à la tête du Département colombien de planification nationale, a récemment déclaré à la presse qu’il s’attendait à ce que cette réévaluation fasse bondir l’investissement étranger direct, qui devrait selon lui atteindre les 14 milliards de dollars d’ici 2014.
Si l’Athènes méditerranéenne restera sans doute à la une pour les pires des raisons, les investisseurs feraient bien de garder un oeil sur son opposé financier et économique : l’Athènes sud-américaine.