Il y a des différences significatives entre l’or et l’argent-métal. La demande d’or est presque entièrement destinée à des fins financières (protection et profit) et pour des utilisations en joaillerie. Bien peu d’or est consommé, en réalité. Dans ce domaine, l’or est à l’opposé complet d’un métal de base comme le fer, que les gens achètent uniquement dans le but de l’utiliser. L’argent-métal a un pied dans chacun de ces domaines ; on en achète dans le but de le consommer, ou bien pour des raisons de profit ou de protection financière.
La majeure partie de l’or extrait à ce jour (y compris le collier de Cléopâtre et ce qu’Alexandre le Grand a pillé dans les villes antiques de l’ouest de l’Asie) reste en surface sous diverses formes faciles à refondre. Les raisons de la persistance physique de l’or sont chimiques — le métal est presque inerte, si bien qu’il ne rouille pas — et économiques : à cause de sa grande valeur, on n’en perd pas beaucoup, pas plus qu’on n’en jette comme déchet. La production minière annuelle est limitée, quand on la compare aux stocks existants — du même ordre que la petite quantité d’or perdue ou consommée chaque année. La taille des réserves existantes ne change donc pas beaucoup. Les variations du prix de l’or proviennent presque exclusivement de fluctuations dans la demande de détention d’or.
Les onces d’argent, par contre, vont et viennent — pas aussi rapidement que les tonnes de fer, mais tout aussi inéluctablement. L’argent, contrairement à l’or, est chimiquement actif. Lorsqu’on utilise de l’argent, on en exploite une bonne partie — qui est consommée sans qu’on puisse le récupérer. Et puisque l’argent est bien moins rare que l’or, on fait moins d’effort pour le sauvegarder et le protéger. La production minière et la consommation annuelles sont considérables, par rapport aux réserves existantes, si bien que les fluctuations du prix proviennent de changements dans ces deux facteurs, mais également des changements affectant la demande d’argent pour un but financier.
Les utilisations d’argent-métal dans l’industrie moderne se développent. C’est le meilleur conducteur de chaleur et d’électricité, le métal le plus réfléchissant, et (après l’or) l’élément le plus ductile et le plus malléable. Il est utilisé en photographie et pour bon nombre d’applications électriques, en particuliers pour les conducteurs, les interrupteurs, les contacts et les fusibles. On utilise des alliages à base d’argent comme cathodes dans les batteries. En tant que bactéricide, l’argent est utilisé pour la purification d’eau et les systèmes de traitement de l’air — nous avons même récemment vu une publicité pour un lave-linge garni d’argent qui n’avait apparemment pas besoin d’utiliser de détergent pour nettoyer le linge.
Les utilisations de l’argent sont si nombreuses qu’en dépit du rôle décroissant de la photographie, on peut s’attendre à ce que la demande reste vigoureuse tant que les économies industrielles sont fortes. Et voilà un certain temps qu’elles le sont — la Chine et l’Inde menant la charge.
Mais depuis la tentative ratée des frères Hunt pour mettre la main sur le marché de l’argent en 1980, on n’a vu que très peu de demande d’investissement pour le métal provenant du grand public dans les pays développés. Cela a clairement changé, comme le prouve le nouveau fonds indiciel sur l’argent de la Barclays.
La plupart des mines d’argent sont en fait des mines plomb-zinc-argent, cuivre-argent ou or-argent — dont l’argent n’est qu’un sous-produit. En fait, entre 70% et 80% de tout l’argent-métal est un sous-produit de l’extraction de cuivre, de plomb et de zinc. Dans la mesure où ces sous-produits représentent une vaste proportion de l’offre de nouvel argent, la production ne réagit pas beaucoup au prix. Cela met les quelques mines produisant en priorité de l’argent dans une position extrêmement risquée. Au cours des deux dernières décennies, les mines de cuivre et de plomb extrayaient aussi de l’argent, même si les cours étaient bas ; la plupart des mines d’argent pures ont régulièrement perdu des fonds, et aucune d’entre elles n’a été franchement profitable. Au cours des 20 années précédant 2003 (et parfois plus), aucune mine d’argent pure n’a généré de cash libre.
Cependant, on trouve bon nombre de gisements et de réserves prouvées prêtes à être exploitées dès que l’argent-métal franchit le seuil de prix le rendant économiquement viable. De plus, des prix bas pour l’argent ne mettent pas nécessairement fin à l’exploration ; ce sont les prix du cuivre, du plomb et du zinc qui nourrissent ces opérations.
L’argent-métal atteint des sommets record et il en va de même pour les métaux de base (augmentant ainsi l’offre d’argent, qui en est un sous-produit) : des centaines de millions d’onces d’argent supplémentaires vont donc se retrouver sur le marché. Selon les dernières projections de CPM Group, il pourrait même y avoir un surplus de production-consommation de 48,4 millions d’onces d’argent en 2006, pour la première fois depuis 1989. Cependant, il est à noter que ces chiffres ne tiennent pas compte de la demande d’investissement. Le surplus de production-consommation signifie que les stocks vont augmenter, mais cela ne nous dit pas, malgré tout, quelle direction les prix vont prendre. Si la demande financière (où l’on détient de l’argent-métal pour les profits ou la protection) augmente plus rapidement que les réserves physiques, le prix devrait continuer de grimper. Est-ce que cela sera le cas ?
Pour commencer, la consommation grignote à un rythme phénoménal les réserves d’argent extrait depuis des décennies : elle a fait passer les réserves totales de métal de 2,1 milliards d’onces (estimées) en 1990 à environ 400 millions d’onces aujourd’hui — une dégringolade de 1,7 milliards d’onces. Une bonne partie de cette baisse, 240 millions d’onces environ, provient de ventes gouvernementales. Mais cette source a quasiment disparu, les gouvernements ne détenant plus que 87 millions d’onces d’argent-métal environ à la fin 2005.
Ensuite, l’argent est comme l’uranium, en tant que métal industriel, dans le sens où il est difficile à remplacer, et il est utilisé en quantités relatives si limitées que le prix pourrait doubler ou tripler sans que cela ait un impact majeur sur l’utilisation industrielle. Mais la raison principale, comme je l’ai dit plus haut, c’est qu’on redécouvre l’argent-métal comme investissement — en particulier grâce au nouveau fonds indiciel (ETF) de Barclay’s.
L’avènement de l’ETF sur l’argent de Barclay’s a été un facteur essentiel pour le prix du métal ces derniers temps, ne serait-ce que par le biais des attentes des spéculateurs. La popularité de l’ETF streetTRACKS Gold Shares (sur l’or), qui a levé 8,13 milliards de dollars depuis qu’il a été lancé en novembre 2004, suggère que l’ETF de Barclay’s attirera une bonne partie de l’argent-métal du marché. A l’heure où j’écris ces lignes, le 7 août 2006, il a déjà absorbé 92,4 millions d’onces d’argent. Et voilà pour le "surplus" supposé.
Tandis que l’argent-métal retrouvera sa tendance — et sera remarqué par un nombre croissant d’investisseurs –, cet ETF facilitera la tâche de ceux qui souhaitent profiter du mouvement. C’est également vrai de certaines institutions — dont la plupart n’ont pas le droit de posséder des métaux physiques — si bien que cela ouvrira, dans les faits, une source latente de demande d’investissement. Et l’ETF sur l’argent de Barclay’s pourrait être plus important que l’ETF sur l’or. En Europe, il faut payer la TVA sur l’achat de lingots d’argent, puisque le métal a des usages industriels. C’est là un fléau pour le trading actif — une niche sur laquelle s’est positionné ce nouvel ETF libre de toute TVA.
Ajoutez à cela des inquiétudes fondées concernant le dollar américain et l’euro — dont la principale qualité est de ne pas être le dollar –, et on peut quasiment assurer que la demande financière dépassera toute augmentation de la production mondiale d’argent-métal au cours des prochaines années. Et bien entendu, s’il se produit une crise économique majeure, le surplus de production-consommation sera complètement débordé par la ruée hors des actifs papier et vers les métaux précieux — une transition que l’ETF rendra bien plus simple.
Il y a une autre source d’argent-métal potentielle — les tonnes de métal que les gens détiennent sous forme de vieilleries. Si le prix élevé de l’argent commence à faire jaser, les masses n’enverront-elles pas leurs anciens chandeliers, leurs cuillers dépareillées et leurs vieux plateaux aux revendeurs ? Cette source d’offre deviendra-t-elle une inondation, comme cela a été le cas durant le pic des cours en 1980 ? A un certain prix, oui — mais probablement pas avant longtemps.
Des prix plus élevés et stables poussent les gens à vendre. Mais la hausse des cours et l’augmentation de la demande financière encourageront les gens à retarder leurs ventes de chandeliers bancals. Même si les raisons de faire fondre le service à thé de Grand-Mère augmentent peu à peu, les gens pensent malgré tout que l’argent-métal représente une réserve de valeur, ce qui les incite à le conserver.
En 1974, l’argent était à 6,70 $, environ le double de son prix actuel en dollars constants, mais l’offre provenant de toutes les sources secondaires représentait moins de 170 millions d’onces. Et en 1980, lorsque l’argent-métal a atteint son sommet de 48,70 $ l’once, les sources secondaires fournissaient 302 millions d’onces simplement — un chiffre important, mais qui n’approche pas les 20 milliards d’onces. De plus, le grand marché haussier de l’argent qui s’est terminé en 1980 s’est produit après une centaine d’années où les investisseurs ont accumulé de l’argent-métal relativement bon marché. Une bonne partie de cela a été éliminée — fondue — au début des années 80, et il n’y a guère eu de temps pour le remplacer. Non seulement ça, mais nous soupçonnons que relativement peu de gens ont acheté des choses faites d’argent pur depuis 1980 ; si vous ne pouvez pas vous permettre d’acheter de l’or, pourquoi payer de l’argent massif alors que vous pouvez avoir du plaqué qui semble tout aussi prestigieux — pour une fraction du prix ?
L’argent atteindra-t-il son précédent sommet de 1980 ? Il était à 48,70 $ à l’époque, mais cela fait 120 $ actuels — quasiment dix fois le prix du moment. Etant donné que sous la surface, les menaces pesant sur l’économie américaine sont plus lourdes encore qu’à la fin des années 70, nous pouvons facilement envisager de voir l’argent atteindre son précédent plus haut — et même le dépasser.