Après quatre époques distinctes sur le marché du pétrole, les cartes sont en train d’être rebattues, et sa production pourrait évoluer très rapidement à l’avenir.
Calfatage des bateaux, ciment pour le pavage des rues, source de chauffage et d’éclairage, et même produit pharmaceutique : le pétrole est utilisé par l’homme depuis la plus haute antiquité, et est revenu sur le devant de la scène à la faveur de la crise énergétique. Dans ce nouveau feuilleton, je vous propose un panorama de l’« or noir » à l’époque contemporaine. Cela nous permettra de voir quelle place accorder à ce secteur au sein d’un portefeuille financier.
Débutons avec une petite histoire de ce marché.
Le pétrole, toujours première source d’énergie
L’ « or noir ». Que voilà un curieux nom pour une denrée qui coûte à peine plus cher que le lait. Seulement voilà, « l’économie n’est que de l’énergie transformée », comme l’écrit souvent Charles Gave.
Sans pétrole, une grande partie du secteur industriel serait à l’arrêt. On peut vivre sans lait, mais l’économie ne peut pas (encore) se passer de pétrole.
Consommation d’énergie mondiale par source d’énergie
En 2021, le pétrole représentait 29% de la consommation mondiale d’énergie. A eux tous, les combustibles fossiles (pétrole, gaz naturel et charbon) représentaient environ 79 % de la consommation mondiale d’énergie. Autant dire que les éoliennes, les panneaux solaires et autre biomasse ne pèsent pas lourd dans la balance.
Contribution des différentes sources d’énergie au sein de la consommation d’énergie mondiale
Historiquement, l’histoire des sources d’énergie est plus celle d’une superposition que d’une substitution. Comme l’explique l’analyste américaine Lyn Alden :
« Depuis maintenant deux siècles, chaque fois que l’humanité trouve une meilleure source d’énergie, elle l’ajoute aux sources d’énergie précédentes, plutôt que de les remplacer. Les sources d’énergie précédentes restent stables ou continuent même à croître en termes absolus, tandis que la nouvelle source croît plus rapidement et devient plus importante. »
Penchons-nous plus en détails sur l’histoire du pétrole.
« Les cinq âges du pétrole »
Dans sa newsletter de décembre 2021, Lyn Alden a présenté une histoire du secteur pétrolier marquée par cinq grandes phases.
Le 1er âge du pétrole s’étend de 1870 à 1911, soit de la fondation au démantèlement de la Standard Oil, la fameuse société de raffinage et de distribution de pétrole fondée par John D. Rockefeller et ses associés, laquelle a dominé l’industrie au point d’exercer un monopole avant d’être scindée en 34 sociétés à la suite d’un arrêt de la Cour suprême des Etats-Unis.
Dessin satirique représentant le monopole de la Standard Oil au début du XXème siècle
Le 2ème âge du pétrole émerge dans les années 1940 pour prendre fin dans les années 1970. C’est l’époque durant laquelle les « Sept Sœurs » contrôlaient la majorité des réserves mondiales. Ce terme fait référence aux sept filles du titan Atlas et désigne les sept plus grandes compagnies pétrolières mondiales américaines et britanniques de l’époque – qui étaient, pour la plupart, des vestiges de la Standard Oil. Ces sociétés imposaient alors leurs prix à des pays producteurs qui restaient sous-développés.
Le 3ème âge du pétrole s’étend des années 1970 aux années 2000. Le déséquilibre imposé par les « Sept Sœurs » a alors débouché sur la prise de contrôle de la production pétrolière par les pays producteurs, souvent au travers de politiques de nationalisations. En passe de devenir maîtres de la production, les pays producteurs non-occidentaux se sont regroupés au sein l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), fondée en 1960, pour commencer à jouer un rôle dominant à l’échelle mondiale.
C’est également l’époque où les Etats-Unis structurent le système monétaire international autour des pétrodollars. Suite à la signature du « deal du siècle » entre Washington et Riyad en juin 1974, le pétrole extrait du royaume des Saoud s’échange dès lors dans la seule devise américaine. L’hégémonie du dollar est verrouillée pour des dizaines d’années et, avec elle, la pérennité du modèle déficitaire américain. Et gare à ceux qui remettraient ce système en cause, comme en ont témoigné les conflits militaires qui se sont succédés au Moyen-Orient.
Le 4ème âge du pétrole prend racine au début des années 2010, alors que les robinets des banques centrales débitent de l’argent frais à pleins tubes. Couplé aux récents progrès technologiques, cet argent pas cher permet d’exploiter du pétrole auparavant non rentable. Cette période est marquée par la résurgence de la production pétrolière américaine au travers de l’exploitation du pétrole de schiste américain. Depuis lors, les Etats-Unis interfèrent avec la domination exercée par l’OPEP sur la production de pétrole mondiale, leur production revenant à des niveaux records.
Production américaine de pétrole (milliers de barils par jour)
Que deviendra le marché du pétrole ?
Lyn Alden soutient que nous entrons dans le 5ème âge du pétrole à la (dé)faveur d’une stabilisation de l’origine de la production et des contraintes politiques exercées sur les dépenses d’investissement dans ce secteur. Voici ce qu’elle écrit :
« Je soutiens que nous entrons dans un cinquième âge du pétrole où le pétrole de schiste sera plus limité (et rentable) et où l’OPEP+ (y compris la Russie désormais) reprendra une certaine domination, mais sans vraiment croître ni faire de nouvelles découvertes massives. […]
Entre-temps, diverses exigences en matière de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) empêchent de grandes masses de capitaux d’investir dans des sociétés pétrolières et gazières. De nombreuses fonds de pension, fonds souverains et autres pools de capitaux se retirent des sociétés pétrolières et gazières ou l’ont déjà fait. Les compagnies pétrolières et gazières sont donc plus prudentes en matière de forage. »
Il semble en effet que l’industrie pétrolière américaine va avoir besoin de dépenses d’investissement importantes pour maintenir la croissance de la production de pétrole américaine, comme le relève l’analyste Ronald Stöferle.
Nombre de puits forés mais non achevés (milliers de barils par jour)
C’est un sujet que j’aurai l’occasion de développer dans mon prochain billet.
1 commentaire
Un point peu souvent évoqué est qu’il n’y a aucune raison que le pétrole et les gaz dits improprement de schiste (ils n’ont rien à voir avec le schiste) ne soient présents qu’aux USA. Ils commencent à être exploité ailleurs (Argentine, Russie, Moyen-Orient …) ce qui à terme rendra vraisemblablement à nouveau caducs les discours éculés sur le peak oil, pour peu que les investissements suivent bien sûr. Il n’y a guère qu’en Europe que cette ressource soit dédaignée, pour des raisons purement idéologiques, mais ceci changera peut-être avec l’envolée des prix de l’énergie et l’insécurité énergétique qui résulteront du Green Deal européen.