** Certains investisseurs ont du mal à réaliser — ou refusent simplement d’admettre — que le monde a changé sous leurs yeux.
– Harvey Sawikin suggère que ces investisseurs ressemblent à des généraux qui auraient une guerre de retard.
– Harvey Sawikin gère le fonds Firebird. Firebird fait partie des fonds américains les mieux classés de ces cinq dernières années — fournissant à ses actionnaires un rendement annuel net de 35%. La semaine dernière, Sawikin a participé à un déjeuner-conférence organisé par la société CFA de Baltimore. J’ai assisté à cet événement avec mon collègue Dan Amoss, rédacteur de la lettre Strategic Investment
– Firebird se concentre sur l’ex-Union Soviétique et l’Europe de l’Est. Et ces marchés sont littéralement brûlants, depuis quelques années. Quiconque a investi en Russie ces derniers 24 mois a engrangé des profits très coquets. Et à écouter Sawikin, il est très clair qu’il connaît très bien ces marchés. Il les étudie depuis 1994 — il n’est donc pas tombé de la dernière pluie, comme on dit.
– Quelques-unes de ses remarques m’ont frappé, et j’aimerais vous en faire profiter. Elles concernent les profonds changements qui se produisent actuellement dans le monde — des changements que des investisseurs tournés vers le passé manqueront probablement.
** Le premier grand changement, c’est l’idée que les marchés US ne mèneront plus les autres marchés. Cela a été vrai pendant un temps : là où allait Wall Street, le reste du monde suivait. Mais la réalité ne justifie plus cette affirmation.
– Comme l’a récemment rapporté le Wall Street Journal : "Durant la période de deux ans s’achevant en février [2007], la corrélation entre les marchés US et les autres marchés développés était de 0,63, selon ING Asset Management. C’est un énorme déclin par rapport à la période 2003-2005, où ils étaient pratiquement à l’unisson, à 0,93".
– La propre expérience de Sawikin sur le terrain confirme ces statistiques. Selon lui, l’activité et la croissance des marchés, dans le reste du monde, sont assez robustes pour ne plus autant dépendre des Etats-Unis.
– Selon Sawikin, le prix du pétrole illustre bien cette théorie. "Pourquoi le prix du pétrole n’est-il pas plus élevé ?" demande-t-il, étant donné l’offre relativement serrée par rapport à la demande. En se basant sur ses propres observations, Sawikin pense que l’économie américaine est déjà en train de ralentir. Pourtant, le prix du pétrole est encore aux environs de 60 $ à cause de la demande en provenance de Chine et d’Inde. "Les Etats-Unis ne sont plus la force motrice", déclare-t-il.
– Il a également fourni quelques idées intéressantes sur la production pétrolière russe. Selon Sawikin, les Russes veulent augmenter leur production, mais pas aux prix actuels. "Ils ne veulent pas de dollars, aux valorisations actuelles", note Sawikin. "C’est ce qu’ont explicitement déclaré les autorités". Nous en sommes au point où les gens préfèrent détenir des choses "tangibles" — comme un baril de pétrole, un mètre cube d’eau ou un morceau de forêt — plutôt que d’accepter les dollars qui permettraient de les payer.
** Ce qui nous amène à un second point : nous allons tous devoir surveiller les faiblesses du dollar, qui ont un impact énorme sur les rendements et le comportement des marchés. "Nous avons des conditions idéales pour les alternatives au dollar", déclare Sawikin. La chute du billet vert n’est plus un sujet réservé aux oiseaux de mauvais augure.
– Même Warren Buffett, lors de sa dernière réunion annuelle, a déclaré que les jours où les Américains pouvaient ignorer les taux de change sont révolus. "Regardez le pétrole, passé de 30 $ à 60 $, ou l’euro, qui a grimpé de 83 cents [pour un dollar] à 1,35 $", a remarqué Buffett. "Si bien que le prix du pétrole n’a pas beaucoup grimpé pour les Européens — 25%, contre 100% [pour les Américains]. Il est facile de s’ancrer à sa propre devise, mais il va falloir plus penser aux autres monnaies. Dans le reste du monde, les autres réfléchissent en termes de taux de change ; jusqu’à présent, l’Américain moyen n’avait pas à s’en soucier".
** En plus de ces remarques, Sawikin avait également plusieurs anecdotes intéressantes sur l’investissement en Russie spécifiquement.
– Sawikin a parlé par exemple des mesures traditionnelles comme l’EBITDA : normalement, EBITDA signifie earnings before interest, taxes, depreciation, armortization, "bénéfices avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissements". En Russie, cela devient EBITDAS, c’est-à-dire earnings before interest, taxes, depreciation, armortization and stealing, "bénéfices avant intérêts, impôts, dépréciation, amortissements et vol" ! Les investisseurs doivent tenir compte de l’impact des détournements de fonds opérés par les dirigeants, ce qui est pour le moins original.
– Sawikin a également réussi à investir dans des marchés non-stratégiques — comme les biens de consommation et le secteur bancaire. Il s’est tenu loin du pétrole, du gaz et des métaux : en Russie, les oligarques en ont écarté de force les investisseurs étrangers. Dans les biens de consommation, par exemple, Sawikin a expliqué qu’il avait multiplié son investissement par 75 ou presque grâce à une entreprise fabriquant de la vodka. "Vendre de la vodka aux Russes et aux Ukrainiens", a plaisanté Sawikin, "c’est une activité perpétuelle".
– Il a également parlé des tactiques de manipulation employées par certains gestionnaires russes. Parmi elles, une méthode consiste à dire du mal d’une action tout en effrayant et en insultant les investisseurs — faisant ainsi baisser le prix, si bien que les initiés peuvent se positionner à bon compte. Sawikin appelle cela le "Scooby-Doo", d’après le dessin animé, où les méchants de l’histoire essayent d’effrayer les héros afin qu’ils ne trouvent pas, par exemple, une caisse d’or cachée au fond d’une vieille mine. Pour cette raison, il arrive que Sawikin refuse même de parler aux gestionnaires. "Je ne veux même pas entendre leur intox".
– Sawikin n’a pas mentionné d’entreprises en particulier, mais je trouve son point de vue très utile.
– Quoi qu’il en soit, les investisseurs ne devraient pas faire comme ces généraux qui ont toujours une guerre de retard — et s’en tenir à des idées qui n’ont aucun avenir. Plus spécifiquement, vous ne devriez pas ignorer l’importance des marchés étrangers. Les investisseurs devraient s’intéresser de plus en plus à ce qui se passe à Moscou, Dubaï ou Sydney — et tous les autres marchés auxquels on n’accordait autrefois aucune attention. Dans notre monde, les opportunités respectent de moins en moins les frontières.