L’euro en tant qu’instrument pour favoriser le commerce n’a pas besoin de plus de gouvernance ou d’une Europe fédérale, contrairement à ce qu’avancent les médias.
La Zone euro a toujours été un projet politique. S’il n’était question que d’intégration économique, les gouvernements européens auraient par exemple accepté la proposition de Nigel Lawson, alors Chancelier de l’Echiquier sous Margaret Thatcher, faite en 1989. Elle consistait à ouvrir toutes les zones monétaires nationales à la concurrence des banques centrales étrangères afin de favoriser la circulation des meilleures monnaies sur tout le territoire européen. Cette proposition, plus facile à mettre en oeuvre que l’instauration d’une monnaie unique, aurait conduit, par un concours de vertu, à un système monétaire de meilleure qualité.
L’euro a été conçu par les élites européennes comme un tremplin vers un Etat fédéral et non comme un outil destiné à faciliter le commerce. Mais à l’époque, cette idée d’Etat fédéral souffrait encore d’un manque de crédibilité. Les dirigeants européens ont donc opté en premier lieu pour l’établissement d’une monnaie unique, en espérant que le besoin d’intégration budgétaire et politique se fasse sentir ultérieurement.
C’est désormais chose faite. Les médias attribuent la stagnation de la Zone euro à un manque de gouvernance. Tout est donc en place pour convaincre les populations européennes de concéder davantage de libertés au profit d’un gouvernement central européen.
Le Professeur Pascal Salin, ancien président de la Société du Mont-Pèlerin et auteur d’un récent ouvrage intitulé Les Systèmes monétaires : des besoins individuels aux réalités internationales, y voit la conséquence de préjugés politiques tenaces :
« L’idée courante est que la création monétaire est un attribut de la souveraineté, ce qui est contestable puisque la monnaie a été inventée par la pratique des marchés« .
De nombreux exemples démentent la nécessité de doter une zone monétaire d’un gouvernement central pour bien fonctionner. La période de l’étalon-or classique (1870 – 1914) est à cet égard emblématique. La plupart des pays du monde utilisaient alors l’or comme monnaie commune. Or personne ne jugeait utile d’établir un gouvernement mondial pour maintenir l’équilibre du commerce international. Les commentaires de John Maynard Keynes sur cette période sont éclairants :
« Quelle période de progrès économique formidable ce fut pour l’homme avant qu’elle ne s’achève en août 1914 ! […] La majorité de la population, il est vrai, travaillait dur et vivait selon un faible niveau de confort […] Mais il était possible pour n’importe quel homme […] d’accéder à la classe moyenne et supérieur à un faible coût […] Celui qui habitait à Londres pouvait commander par téléphone divers produits venant du monde entier selon la quantité souhaitée tout en dégustant son thé dans son lit le matin et espérer leur livraison rapide au pas de sa porte […] Il pouvait obtenir immédiatement, s’il le souhaitait, des moyens de transit vers n’importe quel pays […] envoyer son domestique au bureau d’une banque de proximité pour la fourniture de métaux précieux, et pouvait alors opérer dans des pays étrangers, sans connaissance de la religion, de la langue ou des coutumes locales…«
Keynes 1920
Pourquoi ce système ne s’est-il pas maintenu ? Pas en raison d’un manque de gouvernance mais à cause du déclenchement de la Première Guerre mondiale. La volonté des gouvernements d’utiliser l’inflation pour financer leurs dépenses de guerre a conduit ces derniers à répudier l’étalon-or et la discipline budgétaire que ce système imposait.
Etrangement, le succès de l’intégration monétaire internationale sous le régime de l’étalon-or inspire très peu les théoriciens de la construction européenne. Interrogé sur cette question, Pascal Salin suggère un déficit de motivation personnelle pour les chercheurs :
« S’ils reconnaissent que les marchés se suffisent à eux-mêmes pour procéder aux ajustements au sein d’une zone monétaire, les chercheurs en économie monétaire perdent leur fonds de commerce. Ils ne peuvent plus publier indéfiniment des articles sur la politique monétaire optimale et la meilleure combinaison de politiques monétaire, budgétaire et autres ».
Une monnaie sans Etat est donc possible. L’émergence des crypto-monnaies est d’ailleurs une preuve supplémentaire que les échanges monétaires affranchis des gouvernements sont tout à fait viables.
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La Zone euro n’a pas rougir de son « manque » de gouvernance. Les causes de ses difficultés sont sans doute à rechercher ailleurs…
Références :
Keynes, John Maynard. 1920. The Economic Consequences of the Peace. New York: Harcourt, Brace & World
Pascal Salin, Les systèmes monétaires : Des besoins individuels aux réalités internationales, Odile Jacob, 2016
2 commentaires
Non, une monnaie ne peut exister sans état. L’Histoire le montre. la Cryptomonnaie sera sous contrôle de tous les états tôt ou tard. La Russie a une certaine avance sur ce sujet.
Que nous apprend l’Histoire? Il suffit de regarder celle de la Suisse, si souvent négligée, voire méprisée. Le franc suisse a fait son apparition officielle le 7 mai 1850, soit deux ans après la première constitution Fédérale. Jusqu’ici en Suisse, dépourvue de matières premières, sa seule richesse était de fournir des mercenaires – la France en a profité et abusé à souhait – ce qui eut comme effet la viabilité de 860 monnaies(!) – le mythe du « pas d’argent, pas de suisse » était la réalité aux côtés des monnaies cantonales et des évêchés qui elles ne représentaient que le 20% de la masse monétaire en circulation. il y avait des états cantonaux et communaux. Donc l’existence de 860 monnaies avec 24 états est possible. Le seul problème c’est que cela ne satisfaisait pas la bourgeoisie industrielle et bancaire qui voulait profiter de l’axe Nord-Sud du Gothard immédiatement, sans se préoccuper que jusqu’ici la misère était totale en Suisse. Même les paysans ne survivaient pas de leur travail. Immigration aux Etats-Unis ou alors mercenariat qui a saigné la jeunesse suisse pendant plus de 5 siècles. Ces 860 monnaies ont commencé à être un obstacle pour les premières multinationales sans se préoccuper du niveau de vie misérable de ses citoyens morts à l’étranger pour des intérêts cupides. Une guerre par définition ne sert à rien sinon à voler celui à qui on fait la guerre et pour l’intérêt d’un petit groupe en habillant celle-ci d’une « cause légitime » (actuellement la liberté et la démocratie sont les idéologies en vogue pour voler les autres). En 1850 avec le franc suisse créé, le Gothard a pu être percé et il s’est même créé une union européenne avant l’heure: L’année 1865 vit se constituer l’Union monétaire latine, dont faisaient partie la Suisse, la France, la Belgique et l’Italie et, ultérieurement, la Grèce. Ces pays se mirent d’accord sur une législation uniforme comportant pour chacun d’eux un système monétaire identique. On espérait à l’époque que d’autres pays encore se rallieraient à l’Union, ce qui aurait permis d’aboutir peu à peu à un système monétaire universel. Ces espoirs, hélas, furent déçus, car non seulement il n’y eut aucune nouvelle adhésion, mais l’Union latine elle-même commença peu après à se désagréger progressivement. Ce qui, par-dessus tout, lui fut fatal, ce fut d’avoir choisi le bimétallisme. La délégation suisse avait proposé l’étalon-or, qui s’était déjà affirmé en Grande-Bretagne et auquel, peu d’années après, l’Allemagne à son tour se rallia. Mais l’influence des producteurs d’argent, qui redoutaient que l’introduction générale d’un étalon-or réduirait la valeur du métal blanc, l’emporta en France, et les propositions suisses furent repoussées. On fixa également à 1: 15% la relation de valeur de l’or à l’argent.
Alors, une monnaie peut-elle vraiment exister sans état? La réponse est non. Car ce qui fait la stabilité du franc suisse c’est justement sa stabilité politique qui sied farouchement à tous les acteurs de l’économie. Jusqu’à preuve du contraire. comme par hasard cette Union Latine a disparu à cause de la cupidité des économistes coloniaux français, pas à l’état.
Cette histoire que vous ignorez est pourtant l’Histoire de votre passé, mais c’est vrai, la Suisse, il n’y a rien a y apprendre… Et pourtant son Histoire explique parfaitement le Brexit actuel, le problème de la Catalogne, le problème de la Lombardie/Vénetie, de l’Autriche, etc. il suffit de lire et prendre du recul. 😉
Woua très étonnante cette citation de la part de Keynes…