▪ Les investisseurs se fanent. Durant ces chaudes journées d’été, ils deviennent languides… spongieux… mous. Ils vont à la plage. Ils pensent à autre chose. Ils lisent des romans… ou la presse… leurs cerveaux se transforment en semoule.
Ce qui nous laisse libre de penser à autre chose. Mais à quoi ?
Nous essayons de comprendre le rôle de la monnaie. Si si, vraiment. Aujourd’hui, dans notre 65ème année, nous commençons enfin à comprendre la signification du lucre. Et nous commençons ici même une exploration longue et décousue de ce sujet.
Commençons par citer un article provenant du site internet AlphaNow, choisi plus ou moins au hasard :
« Dans la mesure où les banques centrales du monde entier peuvent utiliser une guidance avancée pour influencer les attentes des marchés sur leur propre future politique de taux, elles conservent bien entendu un certain contrôle sur l’évolution de leur propre courbe de rendements. Néanmoins, ce qui reste hors de leur contrôle reste la taille de la prime de risque qui sépare la politique de taux moyenne attendue et le rendement de la dette gouvernementale ».
Ce commentaire n’est pas indéchiffrable. Pas plus qu’il n’est incompréhensible. Mais sa signification provient d’un amalgame complexe d’idées, de théories et d’abstractions. Le lecteur sans bagage financier ou économique reste perplexe. Il soupçonne que ce n’est que du charabia. Il a en majeure partie raison.
Oui, l’article d’AlphaNow concerne quelque chose que nous connaissons tous… l’argent. C’est aussi une chose que nous comprenons tous. Ou du moins nous pensons le comprendre. Sauf qu’il s’agit d’une sorte particulière d’argent : c’est de l’argent basé sur le crédit. De l’argent qui n’est pas toujours ce qu’il semble être. Notre cerveau n’est pas certain de ce que représente cet argent basé sur le crédit… ce qu’il vaut… comment il obtient sa valeur… ce qu’il vaudra à l’avenir… ou quand il perdra toute valeur.
▪ L’argent n’a pas commencé comme on le croit
Notre éveil à l’argent a commencé il y a une semaine environ quand nous avons ouvert le livre de David Graeber, Dette : les 5 000 premières années. M. Graeber est anthropologue et historien. Il est très intelligent. Il part d’une nouvelle perspective — plutôt que des clichés familiers des économistes ou des spéculateurs. Il y ajoute les idées pénétrantes de quelqu’un qui a des comptes à régler. Comme le reste d’entre nous, bien entendu, il peut être brillant. Mais parfois, sa casquette à réfléchir lui fait défaut.
Comme de nombreux historiens, il se prend souvent bien trop au sérieux. Plus d’une fois, il fait la plus grosse erreur qui se puisse trouver en termes d’analyse historique : post hoc, ergo propter hoc. Ce n’est pas parce que A s’est produit après B que B a causé A.
Si l’on relie cette idée au commentaire AlphaNow cité ci-dessus, les taux d’intérêt pourraient grimper… ou pas. Dans un sens ou dans l’autre, les banques centrales pourraient en être responsables — ou pas. Qui diable le sait ?
Souvent, M. Graeber pense en savoir plus qu’il n’en sait en réalité. S’il avait choisi une carrière différente, il aurait pu être banquier central. Il croit pouvoir connaître des choses « inconnaissables ». Et il est prêt à croire des choses qui ne sont pas vraies. De plus, il a une foi remarquable dans la capacité des bureaucrates et des politiciens à accomplir ce qui ne peut être fait par personne. Mais son livre — que nous recommandons fortement — nous a aidé à entrevoir un coin de ce que M. Graeber avait manqué.
Graeber note que l’origine de l’argent n’était probablement pas telle qu’Adam Smith et autres économistes de jadis l’avaient imaginé. Ils s’imaginaient l’homme primitif troquant du maïs contre des peaux et des têtes de flèche contre des femmes, avant de se rendre compte que la « monnaie » rendrait les transactions plus simples. Si l’on n’avait pas ce que l’autre personne voulait, on pouvait quand même faire affaire en acceptant de la « monnaie » à la place, puis en complétant l’échange avec quelqu’un d’autre qui avait ce que vous vouliez. L’argent s’est répandu comme le moteur à explosion ou l’internet — parce qu’il rendait la vie plus simple et plus efficace.
▪ Qui a besoin d’argent ?
Pas du tout, rétorque Graeber. Les gouvernements ont inventé l’argent pour payer des mercenaires et soutenir des armées dans des endroits lointains. C’est peut-être vrai… ou pas. Il nous semble sensé, en tout cas, que l’argent soit apparu là où on avait besoin de lui. Et si les recherches anthropologiques citées par Graeber sont correctes, l’argent n’était probablement pas nécessaire dans des environnements primitifs et tribaux.
Dans une petite communauté primitive, la devise est superflue. Les marchés tels que nous les connaissons n’y existaient pas. L’échange de biens et de services n’était pas une question de simples calculs rationnels. Les échanges étaient plutôt une partie intégrante de la vie communautaire, sociale, culturelle et religieuse. Les gens donnaient des cadeaux. Ils « payaient » leurs épouses. Ils échangeaient des faveurs. Ou ils pratiquaient une forme de communisme archaïque, chacun fournissant ce qu’il peut… et prenant ce dont il avait besoin, avec d’infinies nuances liées aux croyances et préjugés particuliers de la tribu en question. Si l’on peut parler de tenir des comptes, les individus se rappelaient qui devait quoi à qui… et tissaient de complexes toiles de dette qui s’étendaient sur plusieurs générations.
Mais si cette forme d’organisation — bien qu’infiniment affinée, sur des milliers d’années — convient à de petits groupes, elle ne fonctionne pas pour des populations plus grandes. Les humains se sont bien adaptés — sur des millénaires — à certaines activités. Ils peuvent jeter une pierre ou conduire une voiture. Pas de problème. En petits groupes, ils peuvent aussi s’organiser et résoudre des problèmes. Mais les évolutions qui rendent les humains capables de gérer de petites communautés les poussent à faire de véritables gâchis quand ils tentent de résoudre des problèmes à grande échelle. C’est aussi vrai de l’argent que de la guerre ou de l’Etat-Providence.
Un courtier new-yorkais mange des figues fraîches pour le petit-déjeuner. Il ne sait pas qui les a fait pousser, qui les a expédiées, ni même qui possède la boutique où il les a achetées. Il porte des chaussures fabriquées en Italie… Il a sûrement une dette envers le cordonnier. Devrait-il lui envoyer une recommandation boursière ? Devrait-il lui proposer de gérer gratuitement son portefeuille d’actions ? Devrait-il lui offrir sa femme ? Et qu’en est-il du maçon de Queens qui a construit sa cheminée ? Ou du travailleur à la chaîne de Malaisie qui a assemblé son iPad ?
Il lui serait impossible de garder le souvenir de toutes les obligations qu’il a envers ces gens… même s’il savait de qui il s’agissait. Que peut-il faire ?
Nous y reviendrons.
▪ La fortune de Tim
Mais avant de vous quitter… une dernière petite chose à méditer. Un titre du Financial Times :
« Geithner rejoint le podium de l’après-dîner avec 400 000 $ pour trois discours ».
Sans la monnaie moderne, le discours de Geithner lui rapporterait deux chèvres et une épouse pas trop jolie. Au lieu de ça, aujourd’hui, sa récompense pour avoir renfloué les banques avec l’argent des autres est… encore plus d’argent des autres. De la part des banques, bien entendu. Deutsche Bank à elle seule lui a donné 200 000 $ — selon le Financial Times. Blackstone et Warburg Pincus ont chacune versé jusqu’à 100 000 $ supplémentaires.
Voyons voir. Quelques discours. Quelques contrats de consulting. Un siège à un conseil d’administration. Peut-être des honoraires pour du lobbying au Congrès ou auprès du gouvernement. Et puis tiens, pourquoi pas un partenariat dans une société de private equity ? Ah… ne vous inquiétez pas pour Tim Geithner ! Les zombies s’occuperont de lui : il est des leurs.
Geithner a donné des milliers de milliards de dollars aux banquiers — en cash et en garanties. Il les a aidés à gagner des honoraires, des commissions et des bonus extravagants quand tout allait bien. Ensuite, quand leurs paris imprudents ont explosé et que les choses ont mal tourné… lui et la Fed les ont tirés des décombres et transféré leurs pertes sur les épaules du grand public.
Rien de tout ça n’aurait été possible sans argent. Mais c’est un genre d’argent bien spécifique qui a permis aux banques de faire fortune pour commencer… et à M. Geithner de protéger leurs gains mal acquis ensuite.
A suivre…