La répression financière va main dans la main avec des mesures visant à faire disparaître les espèces. Etat des lieux côté européen et français…
Lorsque les mesures « traditionnelles » de la répression financière auront été épuisées, il est possible que nous nous acheminions vers la société sans cash, cette utopie des politiques et des banquiers.
Rappelons que la disparition des espèces est la condition sine qua non du succès de la politique des taux négatifs, laquelle permet aux Etats de continuer à s’endetter.
Cash : le palmarès
Pour le moment, les espèces demeurent encore essentielles dans de nombreux pays, en particulier européens.
Les pionniers en termes de disparition de l’argent liquide sont soit des démocraties très modernes comme la Corée du Sud et la Suède (et, dans une moindre mesure, les Etats-Unis et le Royaume-Uni), soit des techno-dictatures comme la Chine. Les pays d’Europe continentale (et – surprise – le Japon !) font à cet égard figure de « retardataires ».
En moyenne, dans les pays de la Zone euro, 79% des transactions physiques se faisaient encore en espèces en 2016.
Par ailleurs, la quantité de billets en circulation au sein de la Zone euro demeure en constante augmentation.
Montant des espèces en circulation au sein de la Zone euro (2002-11/2019)
Bref, il n’y a jamais eu autant d’espèces en circulation. Le cash est toujours roi.
En France, la dématérialisation des paiements est à un stade plus avancé que la moyenne des autres pays de la Zone euro
En effet, 68% des transactions (en volume) sont réglées en espèces dans l’Hexagone, contre 79% en moyenne dans la Zone euro.
En valeur, le constat est le même : « Les paiements en espèces représentent en France 28% des dépenses au point de vente, soit la part la plus faible en Zone euro derrière les Pays-Bas (27%), alors que la moyenne européenne s’établit à 54% », indique la Banque de France dans un bulletin publié en novembre 2018.
Son gouverneur nous a par ailleurs gratifié de la promesse suivante en novembre 2018 : « La Banque de France n’abandonnera jamais le cash et les billets […]. La confiance dans la monnaie passe par la liberté de choix des Français quant à leurs moyens de paiement : cette liberté est donc au cœur de notre mission », a déclaré François Villeroy de Galhau au quotidien auvergnat La Montagne.
J’en profite pour rappeler cette autre promesse que l’ancien directeur général délégué BNP Paribas nous a faite le 3 septembre lors d’un entretien à L’Agefi :
« Aucune banque française n’applique aujourd’hui de taux négatifs aux dépôts des particuliers et des PME ; aucune n’a à notre connaissance l’intention de le faire. »
Dans un précédent billet, nous avons vu qu’il n’aura fallu que quelques semaines pour que la parole du gouverneur de la Banque de France soit démentie.
La situation est assez différente Outre-Rhin.
En Allemagne, la dématérialisation gagne du terrain… mais les épargnants dorment sur un matelas de cash de 200 Mds€, et la banque centrale n’y voit aucun inconvénient !
Dans une étude publiée en février 2018, la Bundesbank a révélé qu’en 2017, les Allemands ont continué de délaisser les espèces au profit des moyens de paiements dématérialisés.
Cette évolution en est arrivée à tel point que, « pour la première fois, la part du cash est passée sous la barre symbolique des 50% des transactions en valeur l’an dernier, à 47,6%, contre 53,2% en 2014 », comme le rapporte La Tribune.
En valeur, le plastique vient donc de passer devant le papier. En volume, « le cash reste cependant utilisé dans près de trois quarts des transactions, même si la tendance est à la baisse, sa part passant de 79% à 74% en trois ans », poursuit La Tribune.
Cependant, nos voisins allemands ont un attrait assez prononcé pour les espèces, comme le relevait Die Welt au mois d’août 2018 :
« Bonjour d’#Allemagne, où les gens mettent à l’abri de plus en plus d’espèces la maison. Selon Barkow Consulting, le stock de billets en euros thésaurisés en Allemagne a atteint un nouveau record, dépassant 200 Mds€ au deuxième trimestre 2018, ce qui équivaut à 2 449 € par habitant. »
Bruno Bertez commentait alors :
« Les Allemands continuent de stocker des espèces, du cash, à un rythme élevé. Ils ont compris, eux ! Leurs élites expliquent la situation dans les colonnes des journaux, il y a une véritable opposition intelligente et de haut niveau en Allemagne. Et elle défend les intérêts du peuple, elle ! »
Eh oui, les Allemands se souviennent de ce que c’est qu’une crise monétaire, eux…
La banque centrale allemande n’est en effet pas du genre à voir quelque inconvénient que ce soit à l’argent liquide, puisqu’elle écrivait en février 2018 :
« La Bundesbank n’a toujours pas connaissance d’études démontrant l’efficacité des plafonds de paiement en espèces. »
Cela n’est malheureusement pas le cas de toutes ses camarades de jeu.
Dans l’OCDE, la disparition des espèces avance à petits pas, sous couvert de modernité
Globalement, force est constater que les autorités publiques sont favorables à cette dématérialisation progressive de la monnaie. Au rang des arguments mis en avant, on trouve :
– l’accroissement de la transparence des transactions ;
– l’accroissement de la sécurité des transactions ;
– et bien sûr la lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment de capitaux (sans quoi Bruno Le Maire serait un fervent partisan de Bitcoin).
C’est pour cette dernière raison que, depuis le 27 janvier 2019, les banques centrales nationales de la Zone euro ont cessé d’émettre des billets de 500 €.
Toutes ? Non ! Deux nations peuplées d’irréductibles Germains ont résisté aux pressions bruxelloises. Berlin et Vienne ont en effet bénéficié d’un délai supplémentaire… arrivé à échéance le 26 avril.
Notez que cette décision n’entérine en aucun cas la disparition du billet de 500 €, contrairement à ce qu’ont titré certains médias. Et pour cause, ces billets, qui représentent environ 2,4% du nombre de billets en circulation au sein de la zone (soit 521 millions de billets), c’est-à-dire 20% de leur valeur cumulée, resteront des moyens de paiement légaux de manière permanente.
Voici le commentaire que faisait alors Bruno Bertez :
« Non, le billet de 500 € ne disparaît pas, les Allemands s’y opposent. […] En réalité, il s’agit de mesures destinées à limiter l’alternative du cash pour le cas où l’on généraliserait les taux négatifs sur les comptes de dépôts. Retirer son argent de la banque et le mettre en cash permet d‘éviter de se faire prélever en cas nouvelle et probable crise financière.
Mon pronostic est qu’en cas de crise financière, il est possible que le billet de 500 € fasse prime sur les autres moyens de paiement car il sera stocké mais très demandé car très pratique ! N’oubliez jamais cette loi dite de Gresham : la mauvaise monnaie chasse la bonne, elle signifie que la mauvaise circule car on s’en débarrasse et que la bonne est stockée, rare, elle se valorise. »
Et Bruno Bertez de préciser au mois de mai dernier :
« Les Allemands ont été les premiers défenseurs du cash en Europe, ils en sont les plus friands. C’est grâce à eux que Draghi n’a pu mettre à exécution son projet scélérat de suppression des grosses coupures de cash. […] Je prédis d’ailleurs très souvent qu’un jour le cash fera prime, jusqu’à 15% par rapport à la monnaie électronique. C’est déjà en partie le cas dans certaines circonstances… que les politiciens de haut niveau connaissent bien, n’est-ce pas ! »
Un Etat européen a emprunté le chemin opposé à celui de l’Allemagne. Nous verrons prochainement que les autorités publiques de ce pays pionnier dans l’instauration d’une société sans cash commencent à se demander si elles ne seraient pas allées un peu vite en besogne…