Tout le monde sait ce qui fait qu’une nation s’enfonce et se décompose. Tout le monde sait qu’à long terme, on ne peut pas dépenser plus que ce que l’on peut se permettre. Et tout le monde sait que les gens jouent avec le système.
Reuters nous apporte des informations au sujet de l’histoire la plus passionnante du monde financier :
« Le président argentin Milei veut redonner ses lettres de noblesse à l’austérité.
Le président libertaire de l’Argentine, Javier Milei, a présenté une vision sombre dans son premier discours, il y a un an, dans un contexte de crise économique. Il a prévenu qu’il n’y avait ‘plus d’argent’, a promis une thérapie de choc pour guérir l’économie et a déclaré que les choses allaient empirer avant de s’améliorer. Un an plus tard, Milei a réussi un tour de force : maintenir cette ferveur et éviter que le pays ne s’enflamme, alors même qu’il met en place de sévères réductions de dépenses… »
Il y a un an, la question qui se posait était de savoir si la démocratie était réellement capable de mettre en place une grande réforme. L’observation et la théorie, qui remontent à l’époque des Grecs anciens, nous ont appris que la démocratie semble avoir une date de péremption. Au fil du temps, les intérêts particuliers des élites gagnent de plus en plus de pouvoir, et font cailler le lait. Elles sont corrompues par le pouvoir et le gouvernement devient un moyen de dépouiller « le peuple » et de distribuer le butin à des groupes d’élite concurrents.
Puis arrive un démagogue qui s’adresse directement aux masses, qui en ont déjà assez, et qui promet un véritable changement. Il démantèle une grande partie des « freins et contrepoids » qui limitent son propre pouvoir… et le pays devient beaucoup moins « démocratique ».
Et puis, il y a toujours des surprises – des événements catastrophiques, la guerre, la faillite, l’hyperinflation, la peste ou la révolution. Les dettes ne sont pas remboursées. Les actifs sont dévalués. Riches et pauvres s’appauvrissent… et le processus recommence.
C’est ainsi qu’il y a un an aujourd’hui, Javier Milei a pris les rênes de l’Argentine. Le peuple en avait assez. Il a proposé de donner au pays une nouvelle direction. Il s’est montré très direct, apportant une tronçonneuse lors de ses rassemblements et promettant de l’utiliser pour réduire les effectifs du gouvernement.
Jusqu’à présent, Milei a fait ce qu’il avait dit. Il a licencié 50 000 employés. Il a mis fin à l’utilisation de la planche à billets. Quels sont les résultats de ses directives ?
Notre ami résidant en Argentine, Rob Marstrand, nous en parle :
« L’inflation des prix à la consommation a atteint 25% au mois de décembre 2023, lorsque Milei a pris ses fonctions. Cela équivaut à un taux annuel de près de 1 400% (avec les intérêts composés). L’inflation réelle (rétrospective) a culminé à plus de 280% au début de cette année. En octobre, selon les derniers chiffres disponibles, le taux d’inflation mensuel de l’Argentine était tombé à 2,7%, ce qui équivaut à 38% par an (avec capitalisation). Ce taux reste élevé, mais il s’agit d’une amélioration majeure. Il est également soutenu artificiellement, dans une certaine mesure, par la suppression progressive des subventions du gouvernement précédent pour les services publics (électricité, gaz naturel, eau), les carburants et les transports (bus et trains). Ma facture d’électricité s’élevait à 8 dollars par mois (contre environ 35 dollars aujourd’hui), et un trajet en métro coûtait environ 10 cents il y a un an (contre environ 80 cents aujourd’hui). Ces deux prix sont encore bon marché, mais ils augmentent. »
Il n’y a pas de secret. Tout le monde sait ce qui fait qu’une nation s’enfonce et se décompose. Tout le monde sait qu’à long terme, on ne peut pas dépenser plus que ce que l’on peut se permettre. Et tout le monde sait que les gens joueront avec le système, si on les y autorise.
Le problème, c’est qu’il est très difficile d’y remédier. Dans une démocratie, si vous voulez le pouvoir, il faut que votre homme soit élu. Et il ne sera pas élu s’il s’attaque aux flux d’argent. En effet, chaque fois que les autorités fédérales dépensent, une partie de l’argent est destinée au lobbying, aux contributions aux campagnes électorales, au soutien des groupes de réflexion… tout cela dans le but d’augmenter le flux d’argent.
Si vous essayez d’éliminer les dépenses inutiles, les élites financières commencent à travailler pour vous éliminer. Les riches et les puissants vous saper. Les pauvres, privés de leur aide, descendront dans la rue.
L’histoire de Milei est inhabituelle en raison de son engagement idéologique fort en faveur de la réduction du pouvoir du gouvernement. Mais il est également arrivé au bon moment dans le cycle politique des primaires.
Les cyniques peuvent douter des motivations des personnalités publiques. Cyniques que nous sommes, nous partons du principe que le système fonctionne pour ceux qui le contrôlent. Et dans la bataille électorale de 2023, il nous semble que les péronistes (socialistes nationaux), qui ont régné en maîtres sur la politique argentine depuis les années 1940, ont fait un plongeon.
Pourquoi ?
Parce que les élites avaient tiré tellement de jus de l’économie qu’il n’en restait plus beaucoup. La mauvaise gestion et les escroqueries avaient provoqué l’inflation de 1 400% mentionnée plus haut. Et la situation ne faisait qu’empirer.
Le chaos et la catastrophe s’annonçaient. Mieux valait laisser un homme du « marché libre » s’en charger. Ou, dans le cas improbable où Milei parviendrait à relancer l’économie, les péronistes auraient au moins plus de choses à voler lorsqu’ils reviendraient au pouvoir.
L’Argentine n’est pas encore un paradis. Les règles monétaires sont confuses et difficiles à appliquer. Les règles en matière d’emploi – très semblables à celles de la France – rendent l’embauche difficile. Et il y a encore beaucoup de factures à payer. Mais Milei explique les progrès qu’il a réalisés jusqu’à présent :
« Lorsque nous avons pris nos fonctions […], l’inflation au cours de la première semaine de décembre [l’année dernière] était de 1 % par jour, ce qui signifie qu’elle était de 3 700% par an… En outre, pendant dix ans, l’économie n’a pas progressé. Par habitant, elle a chuté de 15%. L’inflation des prix de gros était de 17,00%. Aujourd’hui, elle n’est plus que de 28%. Et nous sommes en train de ramener l’inflation des prix à la consommation à seulement 2,5% par an. Et le taux de pauvreté était de 57% en janvier [2024], il n’est plus que de 47%. »
Ce qui est probablement le plus remarquable dans le discours de Milei, c’est qu’il est capable de parler de questions économiques compliquées et subtiles avec assurance et intelligence. Nous ne connaissons aucun politicien américain capable de faire la même chose.
La baisse du taux de pauvreté a déjà permis à environ quatre millions de ménages de sortir de la pauvreté. Les investisseurs l’ont également remarqué. Un groupe d’entre eux s’est récemment rendu dans notre région, Salta, à la recherche de bonnes affaires… et d’endroits où s’installer.
Certains investisseurs voient dans l’histoire de l’Argentine le genre de boom qui s’est produit en Europe de l’Est après sa libération de l’Union soviétique en 1991, ou en Chine, après que l’ensemble de l’économie a été libérée par Deng Xiaoping en 1979.
Bien sûr, la révolution de Milei peut encore échouer. Il réduit les salaires, les emplois, les avantages et les cadeaux. Avec le temps, les gens risquent d’oublier pourquoi ces réductions sont nécessaires et d’avoir la nostalgie du bon vieux temps où l’on obtenait des choses, pour rien en échange.
Mais pour l’instant, l’Argentine est le théâtre du plus grand retournement de situation depuis l’effondrement de l’Union soviétique.