** "Nous avons vécu le plus grand boom immobilier de l’histoire de ce pays", explique Robert Shiller, professeur à l’université de Yale. "Cela ne peut durer éternellement… Je pense que ce boom est si conséquent que nous verrons une baisse substantielle qui affectera le pays dans son ensemble… Nous ne sommes pas [automatiquement] voués à un déclin spectaculaire, mais je pense que c’est néanmoins probable".
– Shiller exprimait son scepticisme durant un entretien avec Bloomberg News ce week-end. Le boom de l’immobilier a été si vaste et général, déclare Shiller, que le krach qui se profile promet d’être lui aussi vaste et général.
– Mais Shiller ne se borne pas à annoncer un désastre ; il fournit également un refuge partiel. Le professeur a aidé à créer des indices qui suivent la valeur des maisons dans dix grands centres métropolitains majeurs aux USA. Ces nouveaux indices, baptisés Case-Shiller, sont les sous-jacents d’une nouvelle série de contrats à terme qui ont fait leurs débuts il y a trois mois sur le Chicago Mercantile Exchange.
– Ces nouveaux contrats reflètent les prix de la plupart des marchés immobiliers les plus brûlants des Etats-Unis : Boston, Chicago, Denver, Las Vegas, Los Angeles, Miami, le New York Commuter Index, San Diego, San Francisco et Washington D.C.
– "Pourquoi avez-vous créé ces futures ?" a demandé le journaliste de Bloomberg à Shiller.
– "Ils sont conçus pour permettre aux gens d’adapter leur exposition à un marché risqué", a-t-il répondu. "La valeur totale de l’immobilier détenu par les ménages aux Etats-Unis se monte à 20 000 milliards de dollars — c’est plus que le marché boursier. Tout le monde n’a pas besoin de se couvrir, mais beaucoup de gens devraient ajuster leur exposition à ce risque".
** Assez remarquablement, très peu de propriétaires immobiliers exploitent ces nouveaux instruments de couverture. Seul l’équivalent de 71 millions de dollars de futures immobiliers s’échangent actuellement. "Trois fois rien, selon les standards de Wall Street", admet Shiller.
– De plus, 71 millions de dollars représenteraient encore moins que trois fois rien par rapport aux 20 000 milliards de dollars de valeur immobilière des ménages. En d’autres termes, une nation entière de propriétaires endettés reste complètement sans protection face aux perspectives de chute des prix des maisons — des perspectives qui sont de plus en plus probables, si l’on en croit les tout nouveaux contrats à terme Case-Shiller.
– "Dans les dix [contrats à terme]", rapporte Shiller, "nous avons ce que l’on appelle la backwardation. Cela signifie que le prix des futures est plus bas que ce qu’il est aujourd’hui. Tous les marchés prédisent un déclin des prix. Et ces déclins de prix sont compris entre 4% et 5 ½% d’ici mai 2007… Ces chiffres ne sont pas de moi, mais bien du marché lui-même".
– Pour appuyer son point de vue baissier sur le marché immobilier, Shiller réfute le mythe selon lequel l’immobilier résidentiel est un magnifique placement de long terme. "Ca n’a pas été un excellent investissement", déclare-t-il tout simplement.
– Entre 1890 et 2004, explique le livre de Shiller, Irrational Exuberance, l’immobilier résidentiel américain n’a augmenté que de 66% en termes réels — soit 0,4% seulement par an. Par comparaison, les prix des maisons américains ont grimpé de 52% entre 1997 et 2005 — soit 6,2% par an ! Dans la mesure où les prix ont grimpé bien au-delà de leur tendance de long terme, raisonne Shiller, un retour à la moyenne ne serait guère surprenant.
– "Nombre de gens soutiennent qu’une baisse durable des prix des maisons est impensable", remarque James Grant, rédacteur du Grant’s Interest Rate Observer. "Mais l’impensable — ou au moins le très atypique — s’est déjà produit : en 2001-2005, les prix sont littéralement entrés en lévitation".
– Shiller est d’accord avec ce point de vue.
– "Alors pourquoi est-ce que cela s’est produit ?", voulut savoir le journaliste.
– Shiller, qui est économiste, n’a pas cité de raison économique justifiant le boom. Il a fourni une explication trouvant ses origines dans les bizarreries du comportement humain.
– "L’un des mystères de la société humaine est la manière dont nous organisons nos rapports
avec les autres", dit-il. "Nous sommes une espèce empathique. Lorsque vous ressentez des émotions, je le vois à votre visage, et je ressens les mêmes émotions. Cela signifie que nous évoluons un peu comme les troupeaux. Ainsi, lorsque les autres s’agitent et parlent du marché de l’immobilier, je m’agite aussi. On ne peut rester en dehors de ça. Si vous êtes humain, vous vous ferez aspirer. Mais ensuite, lorsque les sentiments commencent à changer, vous êtes aspiré là aussi. Et les sentiments semblent effectivement changer. On dirait que nous sommes au début d’une évolution de la psychologie".
– De toute évidence, les sentiments évoluent. L’ère bénéfique du marché immobilier cède visiblement le pas à une ère nettement moins positive. Préparez-vous.