** "Papa, ne t’en prends pas à Obama", nous a dit Maria, qui appelait de Californie. "J’ai regardé la cérémonie, mardi. C’était émouvant. Vraiment émouvant. Ils ont l’air d’être des gens tellement bien… et ils veulent réellement bien faire. Enfin, c’est ce qu’il me semble…"
* Nous avons regardé le journal télévisé. La presse britannique s’est concentrée sur l’aspect racial. Les Noirs interrogés par la BBC ont parlé d’un "moment historique"… des rêves de Martin Luther King enfin réalisés… d’une nouvelle ère dans les relations raciales. Il y a eu des hourras et des larmes…
* Nous n’avons jamais aimé le racisme, nous n’avons donc pas versé de pleurs en lisant son éloge funèbre. Malgré tout, nous nous méfions un peu du rapport du médecin légiste. Nous aimerions voir le corps, juste pour être certain.
* Mais tout le monde veut qu’Obama réussisse. Sa mère et sa grand-mère, qui l’observent depuis l’au-delà. Sa famille au Kenya. Son parti. Son pays. Le monde entier. Même à la Chronique Agora, cyniques endurcis que nous sommes, nous lui souhaitons de réussir.
* Mais nous ne sommes pas nés d’hier.
** Le marché boursier non plus. L’homme, qui a reçu l’accueil le plus chaleureux de l’histoire de la part de la presse et du grand public, a aussi reçu la réception la plus impolie de la part de Wall Street. La séance a été la pire de l’histoire pour un jour d’intronisation présidentielle.
* Où est passé le rebond Obama ? Peut-être a-t-il déjà pris fin. Depuis leur plancher en novembre jusqu’à leur hausse il y a quelques semaines, les actions du monde entier ont repris un quart de ce qu’elles avaient perdu. A présent, elles semblent baisser à nouveau.
* Nous ne savons pas ce que voient les marchés, mais en ce qui nous concerne, nous voyons arriver de nouveaux ennuis.
* En Californie du Sud, les maisons ont perdu 35% par rapport à leur sommet.
* Le Japon déclare que son économie "empire rapidement".
* "Air France avertit qu’une perte est probable", titrait un journal européen hier matin. "Les détaillants allemands pourraient supprimer jusqu’à 15 000 postes", dit un autre.
* Les grandes nouvelles, ceci dit, proviennent du secteur bancaire.
* Les banques américaines sont "insolvables dans les faits", déclare Nouriel Roubini. Selon lui, les pertes aux Etats-Unis pourraient atteindre 3 600 milliards de dollars — en majeure partie parmi les banques et les courtiers. Ce qui laisse le secteur un peu à court ; le système bancaire US n’a que 1 400 milliards de dollars de capitaux.
* La semaine dernière, Bank of America a annoncé une perte trimestrielle de 1,79 milliard de dollars… sa première perte depuis 18 ans. Citigroup a fait mieux, avec une perte de 8,29 milliards de dollars pour le dernier trimestre 2008.
* Comme au Japon dans les années 90, le navire économique ne pourra pas se remettre tant qu’on n’a pas jeté toutes ces marchandises avariées par-dessus bord. Mais les autorités sont contre — et luttent contre la correction avec tous les outils à leur disposition.
** Obama déclare que son équipe sera "hardie et rapide" dans ses efforts pour traiter le problème. Mais les actes qu’ils entreprendront seront timides et lents. C’est-à-dire qu’ils essaieront de tenir bon… de protéger ce que nous avons… d’empêcher le changement à tout prix. "Yes we can !", diront-ils. Mais ils ne peuvent pas faire disparaître les erreurs d’une génération entière — surtout s’ils essaient d’empêcher une correction.
* La solution vraiment hardie et rapide, en revanche, coûterait probablement sa place au nouveau président. Elle consisterait simplement à annoncer que le gouvernement Obama laisse la nature suivre son cours. Plus de renflouements. Terminé, de plans de relance. Plus de garanties fédérales ou de "chèques de remboursement".
* "Keynes est mort", devrait dire Obama ; "les banquiers obtiendront ce qu’ils méritent".
* En quelques jours, le secteur bancaire tout entier ferait faillite… ainsi que General Motors… et des milliers d’entreprises un peu partout. Des millions de gens perdraient leur emploi. Les actions s’effondreraient, jusqu’à 3 000 points sur le Dow… voire plus bas. Il y aurait des pleurs de veuves dont les maris se seraient jetés sous un train ou ouvert les veines… il y aurait des grincements de dents de la part de millions de personnes dont les espoirs d’obtenir quelque chose en l’échange de rien aurait été soudainement écrasés… il y aurait des foules dans les rues et de la révolution dans l’air.
* Quelques jours après, les banques encore solvables ramasseraient les morceaux de celles qui ont fait faillite. Et peu à peu, l’économie se remettrait… se reconstruisant sur une base bien plus solide.
* Mais ne vous faites pas de souci avec ça, cher lecteur. Ca n’arrivera pas. M. Obama prendra un chemin plus prudent.