Par Marc Mayor (*)
Depuis que le monde est monde, il existe une escroquerie bien connue des aigrefins ; l’inquiétant, c’est quand votre banquier s’en inspire. Observons d’abord un exemple classique, avant de s’attaquer à la version boursière de cette tromperie.
Un homme habillé de manière raffinée entre chez un joaillier parisien de prestige ; c’est la crise, et le magasin est désert. Le passant explique qu’à l’occasion de leurs 25 ans de mariage, il souhaite offrir à sa femme un objet exceptionnel, en précisant que le prix n’est pas un obstacle.
Flairant l’affaire en ces temps difficiles, le bijoutier lui présente article après article, mais le quidam ne cesse de faire la moue. Alors le commerçant passe aux choses sérieuses : dans le coffre, il va chercher une pièce unique, qui coûte un million d’euros.
Ravi, le chaland applaudit : "voilà exactement ce qu’il me faut ! Je vous la prends. Seulement, il m’en faudrait une deuxième exactement comme cela, pour en faire une paire de boucles d’oreilles".
Le détaillant promet à l’acquéreur de se mettre en chasse du double. Aussitôt l’acheteur reparti avec sa pièce unique, réglée rubis sur l’ongle, l’orfèvre avertit son réseau international dans le but de trouver un sosie au bijou exceptionnel. Et là, miracle ! Après quelques jours, un confrère basé en Belgique lui confirme avoir trouvé la réplique exacte. Seul hic : le vendeur en exige un million et demi d’euros.
Le lapidaire appelle son client pour lui proposer l’affaire en échange de deux millions (il faut vivre, et puis il y a les frais). "Achetez-la !" répond l’autre au bout du fil. "Je viens la chercher la semaine prochaine". Le marchand s’exécute, payant le million et demi d’euros à son collègue étranger, qui lui fait parvenir le bijou sans délai.
La semaine suivante, nulle trace de l’acheteur. Le bijoutier compose le numéro du client, qui répond d’un ton las : "ah, c’est vous. Hélas, ma femme vient de me quitter. Je n’ai plus besoin de ce bijou, mais merci quand même".
Vous l’aurez compris : les deux "pièces uniques" ne font qu’une. Le prétendu acquéreur est un escroc, qui a trouvé le moyen de revendre, pour un million et demi, un joyau qu’il vient de payer un million. Il empoche un demi-million sans le moindre risque d’aller en prison.
Quel est le rapport avec votre banquier ? J’y viens.
Il y a quelques années, j’avais accès à toute la recherche d’un important groupe financier concernant ses analyses de titres cotées en Bourse, et recommandant en général l’achat. Je constatai alors qu’une société cotée qui ne sera pas nommée ici, appelons-la MBI, était recommandée à la hausse par le courtier en question, avec un objectif de cours très ambitieux, bien au-dessus des niveaux de l’époque.
En parallèle, cette maison de courtage à la réputation sans tache était également active dans les fonds de pension. En l’occurrence, par le biais de son activité de fonds de pension, l’établissement était assimilé à un initié, car il possédait alors plus de 5% des actions de la société MBI. En tant qu’initié, elle avait donc dû déclarer ses achats et ventes de l’action MBI.
Grâce à la base de données du gendarme boursier, je constatai que, pendant que cette bancassurance encourageait les clients de sa branche courtage d’acheter l’action MBI, leur faisant miroiter monts et merveilles, elle vendait en parallèle des millions de titres MBI par le biais de son fonds de pension.
Il s’agit donc d’une version boursière de la bonne vieille arnaque à la paire : les pseudo-analystes font monter les prix, comme la personne vendant une pièce exceptionnelle au bijoutier belge. Le pigeon est le petit investisseur prêt à payer l’action MBI trop cher, car avalant toutes crues les soi-disant analyses. Comme le joaillier parisien, ayant trop payé pour un bien de moindre valeur, il subira une perte, en général significative.
La morale de cette histoire est toute simple : quand quelqu’un vous conseille, surtout gratuitement, vous devez vous demander quel est son intérêt dans l’affaire, quitte à vérifier les bases de données idoines. Si le corbeau avait songé un instant aux motivations du renard, il aurait probablement fermé son bec et conservé son fromage…
Meilleures salutations,
Marc Mayor
Pour la Chronique Agora
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(*) De nationalité suisse, Marc Mayor est le fondateur d’Inside ALPHA, service d’information et de conseils financiers. Actif en Bourse depuis 1987, Marc Mayor a affiné au fil des ans une approche solide et disciplinée de l’investissement, basée sur le money management, une gestion rigoureuse du risque et des stratégies neutres au marché. Marc intervient régulièrement au sein de l’AGEFI Suisse, et participe à de nombreuses conférences pour investisseurs individuels. Vous pouvez le retrouver sur le site Le Coin des Insiders.