Ce début d’année a montré que la bataille fait rage pour être celui qui distribue le plus de bisous au sein de notre gigantesque appareil d’Etat-nounou.
Le président occupe bien sûr une place de choix mais l’un de ses lieutenants, lui aussi ancien socialiste, me semble en très bonne position pour mettre la barre encore plus haut.
Je découvre que je n’ai encore jamais eu l’occasion de vous parler de Mounir Mahjoubi. Commençons donc par quelques mots sur sa carrière, histoire de rapidement poser le personnage avant d’entrer dans le vif du sujet.
Agé de 35 ans, Mounir Mahjoubi a le mérite d’avoir une expérience entrepreneuriale puisqu’il est notamment le co-fondateur de La Ruche qui dit Oui ! Pour le reste, rien de très surprenant au palmarès de ce marcheur puisqu’il a participé en 2006 à la création du mouvement « Ségosphère », avant de quitter le monde de l’entreprise en 2012 pour rejoindre la campagne présidentielle de François Hollande. Fort de son expérience dans le e-commerce, il est désormais secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie et des Finances et du ministre de l’Action et des Comptes publics, chargé du Numérique – et, dans ce titre à rallonge, c’est surtout la fin qui compte.
Le postulat de Mounir Mahjoubi est double : 1. le monde numérique est un endroit fort dangereux (un peu comme quand vous traversez un passage piéton) ; 2. nous sommes tous de grands enfants qui ne savent finalement pas trop ce qu’ils font et qui ont par conséquent besoin d’être protégés.
Comme le secrétaire d’Etat n’est certes plus socialiste mais qu’il fait toujours partie du camp du bien, le cœur de son activité consiste à multiplier les idées de législations visant à nous protéger de nous-même et d’autrui, tout cela en piétinant bien sûr joyeusement les libertés individuelles, lesquelles ne sont somme toute pas très importantes, comme chacune des sorties de Mounir Mahjoubi est une nouvelle occasion de le vérifier.
Nous avons ainsi eu droit, dans un premier volet, à « Mounir veut nous protéger de l’addiction aux réseaux sociaux » (peut-être plus dangereuse que l’addiction aux sucreries, allez savoir).
Et comme l’addiction, ça commence parfois très tôt, cet épisode a bien sûr été suivi par « Mounir veut protéger les mineurs du porno sur internet »…
… puis par « Mounir prêche la discrimination positive »…
… sans oublier que, comme le secrétaire d’Etat est avant tout membre de l’équipe exécutive, nous avons régulièrement droit à « l’équipe de Mounir a baissé les impôts ».
Au cas où vous auriez raté la bande-annonce, la prochaine aventure de notre bon secrétaire d’Etat s’intitulera « Mounir fait de l’internet une zone d’amour à l’aide de son gros bâton ».
Bref, face à chaque problème, en bon constructiviste social, le secrétaire d’Etat applique la même méthode :
Et lorsque la pièce tombe sur le côté « réglementation », les libertés fondamentales en prennent pour leur grade.
Ce qui est bizarre, c’est qu’au secrétariat d’Etat des Bisous, on semble avoir de moins en moins envie de travailler avec le patron. Depuis qu’il est en poste, Mounir Mahjoubi en est tout de même à son quatrième directeur de cabinet.
Bref, autant vous dire que lorsque je lis que Laurent Alexandre, qui se présente comme libéral et dont j’ai apprécié La Guerre des intelligences ainsi que la démarche (accepter de débattre avec des personnes dont presque tout le sépare), verrait d’un très bon oeil un épisode « Mounir devient président, et c’est un beau symbole », j’avoue que j’ai du mal à suivre…
Sans compter que s’il y a bien quelque chose dont la France est en train de crever, c’est justement de la dictature des symboles.
Ce qui est sûr en tout cas, c’est qu’Emmanuel Macron doit être pleinement satisfait du travail de son secrétaire d’Etat.
Ce président qui aime tellement l’information qu’il voudrait une vérité d’Etat
Au mois de février, on a donc eu Mounir Mahjoubi qui voulait faire d’internet un espace d’amour. Sans doute en vue de maximiser le taux de bisous sur la toile, Emmanuel Macron a quant à lui annoncé qu’il aimait « l’information neutre » tellement fort qu’il était prêt à payer les journalistes lui-même. Plus précisément, il s’agirait de faire en sorte qu’outre les subventions que perçoivent les journaux qui les emploient, le taux réduit de TVA à 2,1% et les avantages fiscaux afférents à la profession de journaliste, certains d’entre eux au sein de chaque rédaction deviennent une fois pour toutes des fonctionnaires en bonne et due forme.
Fin janvier, le président de la République a en effet reçu une tripotée de journalistes dans son bureau pour une conversation libre. Le journaliste du Point Emmanuel Berretta a participé à cette grande première. Voici comment il a restitué les propos d’Emmanuel Macron au sujet de sa vision de la presse – accrochez-vous, c’est du lourd :
« Le bien public, c’est l’information. Et peut-être que c’est ce que l’Etat doit financer. Le bien public, ce n’est pas le caméraman de France 3. Le bien public, c’est l’information sur BFM, sur LCI, sur TF1, et partout. Il faut s’assurer qu’elle est neutre, financer des structures qui assurent la neutralité. Que pour cette part-là, la vérification de l’information, il y ait une forme de subvention publique assumée, avec des garants qui soient des journalistes. Cette rémunération doit être dénouée de tout intérêt. Mais quelque part, cela doit aussi venir de la profession. »
J’endosse totalement le commentaire d’Etienne Gernelle, un autre journaliste du Point :
« Vous ne rêvez pas. Le président de la République propose que l’Etat rémunère certains journalistes dans les rédactions. Il envisage sans ciller ce qui ressemble à une nationalisation partielle de la presse. […]
L’essentiel est là : il s’agit tout simplement d’un programme de tutelle. Le président s’en rend-il compte ? […]
Le fantasme macronien de ce service d’information d’Etat délégué à des journalistes stipendiés à cet effet amusera certainement les amateurs d’histoire soviétique. Le rôle de la Pravda – ‘vérité’, en russe – était aussi de servir de référence aux autres journaux, qui reproduisaient d’ailleurs régulièrement ses éditoriaux… La France n’est, bien sûr, pas l’Union soviétique, mais il faut se souvenir qu’il n’est rien de tel qu’un journaliste pour contrôler d’autres journalistes. […]
Dans les propos présidentiels, rien que l’affirmation ‘le bien public, c’est l’information‘ vaut le détour. Nous pensions bêtement, nous, que le bien public, c’était la liberté d’expression, dont le pluralisme est la condition, et que le grand pari de la démocratie était précisément de miser sur l’intelligence des citoyens, non leur infantilisation. »
D’un autre côté, à quoi s’attendre de la part de quelqu’un qui a déclaré en décembre 2014, quatre mois après son arrivée au ministère de l’Economie, alors qu’il s’exprimait devant un parterre de dirigeants d’entreprises :
« J’ai bien compris que l’invitation qui m’avait été faite, c’était essentiellement de briser les tabous […]. Alors la première chose, c’était de dire ‘pourquoi je suis socialiste‘. Parce que ça, c’est un vrai tabou […]. Et pourquoi je crois que c’est utile d’être socialiste aujourd’hui. […] Moi je suis socialiste et je l’assume. Et être socialiste aujourd’hui me paraît une nécessité de bâtisseur, parce que c’est croire qu’à certains moments de notre histoire il y a une France qui se réveille, qui veut autre chose, et à qui il faut donner la place. »
Vive la République, vive le socialisme et vive la Правда !