Un jour, le célèbre investisseur Peter Lynch fit cette remarque : « si vous consacrez plus de 13 minutes à analyser les prévisions économiques et boursières, vous avez perdu 10 minutes ». L’économiste Oskar Morgenstern (1902-1977) ne l’aurait pas désapprouvé.
Dernièrement, alors que je prenais mon petit-déjeuner, je me suis mis à penser à Morgenstern en parcourant les titres financiers de mon journal. C’était un « homme de chiffres » qui en comprenait les limites.
Dans les articles des journaux, on trouve un certain nombre de « faits ». Je vous propose de les étudier et de voir si vous pouvez dire quelle est l’erreur commune à tous :
« L’inflation annuelle en Chine est d’environ 5% »…
« Le mois dernier [en Europe], l’inflation a, contre toute attente, grimpé de 1,9% à 2,2% dans la Zone euro, dépassant pour la première fois en plus de deux ans l’objectif de la BCE d’une inflation légèrement inférieure à 2%. Pour certains économistes elle atteindra environ 2,5% au cours des deux prochains mois ».
« L’inflation [à l’exclusion de la nourriture et de l’énergie] était toujours faible, à 1,1% en décembre ».
« Au Royaume-Uni, l’inflation approche les 4% »…
« A titre officieux, la Fed a révélé que son objectif est une inflation d’environ 2% ».
« Les prévisions convergent autour de 1,75% et 2% ».
La liste est loin d’être complète mais cet échantillon est suffisant pour prouver mes dires. L’erreur sous-jacente ici revient essentiellement à l’idée que les responsables gouvernementaux peuvent calculer un vrai taux d’inflation au dixième de pour-cent près. Et ce n’est pas tout ! Les responsables gouvernementaux peuvent également viser une inflation à la hausse comme à la baisse avec une tolérance à l’erreur d’un dixième de pour-cent.
▪ C’est ici qu’Oskar Morgenstern entre en scène. Morgenstern était un économiste d’origine allemande installé à Vienne. Lorsqu’Adolf Hitler envahit l’Autriche, il se trouvait aux Etats-Unis. Il décida alors de s’y installer. Ce fut une bonne idée. Aujourd’hui, Morgenstern est principalement connu pour avoir fondé avec John von Neumann la théorie des jeux.
J’ai pensé à lui à cause de son célèbre essai intitulé « Qui Numerare Incipit Errare Incipit » (« celui qui commence à compter commence à se tromper »). Certes, il n’a pas été le seul à avoir pris à parti les économistes pour leur abus des statistiques, mais son analyse sérieuse est ancrée dans ma tête.
Grosso modo, Morgenstern explique que nous devrions être plus conscients des erreurs que véhiculent de tels chiffres. Il a critiqué la façon dont les chiffres sont rapportés et utilisés : on leur prête une exactitude qui n’existe pas.
Voici ce qu’il écrit dans son essai et qui nous donne une petite liste de péchés : « les changements dans le pouvoir d’achat total des consommateurs inférieurs au milliard (c’est-à-dire pour une variation de moins de 0,5%) sont rapportés et pris au sérieux. Les indices de prix pour les prix de gros et de détail sont présentés avec deux décimales, même s’il y a eu tellement d’étapes de calcul que rien que les erreurs d’arrondis peuvent empêcher un tel degré de précision. Les chiffres du chômage de plusieurs millions sont donnés à moins d’un millier près (c’est-à-dire, avec une ‘précision’ d’un centième de un pour-cent), alors même que l’incertitude porte certainement sur 100 000, voire un million peut-être dans certains cas ».
Toutefois, malgré les erreurs énormes de tels chiffres, les gens les traitent avec le plus grand sérieux. Les hausses de salaires, dans certains cas, sont basées sur des changements des indices de prix. Les gens planifient et prennent d’importantes décisions en se basant sur des données aussi peu fiables.
« L’économie n’est pas vraiment une science », écrit Morgenstern, « comme l’utilisation libre de chiffres soi-disant précis semblerait l’indiquer ». Il laisse entendre que de tels chiffres correspondent aux taux d’erreur estimés. Par exemple, l’inflation pourrait être de 2%, plus ou moins 2%.
Interpréter ainsi les chiffres rendrait l’énoncé suivant entièrement creux et dépourvu de signification, ce qu’il est effectivement pour l’essentiel : « l’inflation a contre toute attente grimpé de 1,9% à 2,2% dans la Zone euro ». Et vous vous moqueriez devant un énoncé tel que « les prévisions se situent dans un intervalle entre 1,75% et 2% ».
En tant qu’investisseur, vous devez étudier l’ensemble des chiffres économiques avec doute et scepticisme. Ils ne sont pas précis. Ils ne peuvent jamais l’être.
Bien pire est l’idée que nous devrions cibler un certain taux d’inflation. L’idée qu’on puisse croire qu’un « objectif d’inflation » est tout sauf ridicule me met hors de moi. Nous ne pouvons même pas la mesurer et la Réserve fédérale pense qu’elle pourra la contrôler ! Non seulement la contrôler mais la guider avec précision à 2% !
En tant qu’investisseur, je pense que c’est une grande erreur de s’attarder à réfléchir aux chiffres sur le chômage, le PIB, les indices de prix, et tout ce fatras qui est rapporté et commenté par presque tout le monde. Tout cela est une imposture. Selon moi, vous pourriez être un excellent investisseur sans jamais analyser un indice de prix à la consommation dans votre vie. En fait, cela pourrait plutôt vous nuire, en vous donnant peur d’investir lorsque la situation économique semble inquiétante… ou en vous rendant réticent à vendre parce qu’elle semble très brillante.
On pourrait rapporter que l’inflation officielle aux Etats-Unis est de 2%, mais elle pourrait être quatre fois supérieure. En termes d’orientation, cela suffit pour savoir que les prix augmentent. Vous n’avez pas besoin de l’indice des prix à la consommation pour comprendre que les dollars dans votre poche ont moins de valeur, tout comme vous n’avez pas besoin d’un thermomètre pour comprendre qu’il fait glacial dehors.
Lorsque l’inflation augmentera vraiment, les économistes seront les derniers à le savoir.
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