▪ John Graunt était un "arithméticien politique". C’est ainsi qu’au 17ème siècle on nommait ceux qui ne s’appelaient pas encore des économistes et se penchaient sur des estimations de la richesse nationale.
Ce riche mercier londonien fut en réalité le fondateur des statistiques et de la démographie. Né en 1620, il n’avait que cinq ans lors de l’épidémie de peste qui fit périr un quart des Anglais. Adulte, il voulut tenter de mettre au point un système préventif pour éviter la propagation de la peste dans Londres et décida de s’intéresser aux Bills of Mortality. Ces registres étaient tenus depuis 1527. En 1592, la ville de Londres décida de compléter les simples informations de décès de leurs causes ; en 1603, les renseignements collectés étaient publiés par les employés municipaux tous les jeudis à 10h00. Le rapport était vendu un penny la page et l’abonnement coûtait quatre shillings par an.
John Graunt s’attacha à éplucher ces rapports en espérant trouver des informations sur la propagation de la peste. Il dut déchanter : les données n’étaient pas vraiment exploitables.
Nos vieilles à bâton rouge en rapportaient donc très peu de cas et leur silence devait être particulièrement lucratif… ou enivrant |
▪ Les chercheuses à bâton rouge
La collecte des informations avaient été dévolue à de vieilles femmes "renommées pour leur ignorance de la médecine et leur goût des boissons alcoolisées". L’attribut de leur éminente fonction était un bâton rouge. En fait, il s’agissait probablement de femmes ayant exercé le plus vieux métier du monde qui, arrivées à un certain âge et ne pouvant plus vivre du commerce de leurs charmes, trouvaient là une activité rémunérée. Elles acceptaient volontiers une petite pièce ou une pinte pour rapporter que la mort causée par une inavouable vérole (un diagnostic qu’elles pouvaient établir sans problème compte tenu de leur expérience professionnelle) était une "consomption". Quant à la peste, la déclarer valait pour la famille du mort un bannissement certain. Nos vieilles à bâton rouge en rapportaient donc très peu de cas et leur silence devait être particulièrement lucratif… ou enivrant.
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John Graunt se rendit vite compte que les registres qu’il compulsait étaient en réalité inutiles pour son propos : la prévention de la peste. Tenace, il publia malgré tout Observations naturelles et politiques, mentionnées dans un index postérieur, sur les Bills of Mortality, par John Graunt, citoyen de Londres, se référant au gouvernement, à la religion, au commerce, à la croissance, à l’air, aux maladies et aux changements de ladite cité.
Malgré ce titre à rallonge, l’ouvrage connut un succès certain auprès de la Royal Society, sorte de cercles d’intellectuels et de scientifiques de l’époque. Et pour cause : il contient les premières tables de survie connues.
"Sur cent individus conçus, il en survit au bout de
Un système de retraite par répartition au 17ème siècle eut été parfaitement viable… |
Calcula John Graunt qui déduisit aussi que seulement 7% des gens mouraient de vieillesse.
Lecteur du 21ème siècle, vous noterez au passage qu’un système de retraite par répartition au 17ème siècle eut été parfaitement viable…
▪ La morale des statistiques de survie
Pétrir tous ces chiffres pour n’en rester que là eut été — vous en conviendrez, cher lecteur — mesquin. John Graunt était un homme de morale et de conviction. Je vous livre donc son commentaire :
"Au demeurant si toutes choses (que je n’ai fait que deviner) étaient clairement et véridiquement connues, l’on verrait bien quelle petite partie de la population accomplit des travaux et occupations nécessaires, à savoir combien de femmes et d’enfants ne font rien et n’apprennent qu’à dépenser ce que d’autres ont gagné. Combien sont de simples sybarites et pour ainsi dire de simples joueurs de leur métier. Combien vivent en confondant les pauvres gens par des notions inintelligibles de théologie et de philosophie. Combien en persuadant les personnes, crédules, délicates et litigieuses que leurs corps ou leurs biens sont en danger. Combien en se battant comme soldats. Combien en faisant commerce de simples plaisirs et d’ornements. Et combien en s’attachant au pas des autres dans l’oisiveté. Et en revanche, combien peu s’emploient à gagner par leur travail la nourriture et l’abri nécessaires. Et sur le nombre d’hommes qui réfléchissent, quelle petite quantité étudie véritablement la nature des choses".
Contrairement à ce qu’il pensait, il y a loin des statistiques aux bonnes décisions |
Graunt se convainquit que de disposer de chiffres publics permettrait d’envisager d’une nouvelle façon les gouvernements et la répartition des richesses. Dans un sens, il avait raison. Mais contrairement à ce qu’il pensait, il y a loin des statistiques aux bonnes décisions.
Quiconque regarde la table de survie du 21ème siècle en France comprend que le système de retraite par répartition — dans lequel ceux qui travaillent paient pour ceux qui ne travaillent plus — n’est pas viable et que prétendre le sauver rajoute l’aveuglement à la bêtise.
Et quiconque assimile l’augmentation du PIB — qui n’est qu’une somme de dépenses — à une augmentation des richesses sans regarder comment les dépenses sont financées (le déficit public ou l’emprunt sans contrepartie) fait une lourde erreur.
[NDLR : Ne tombez pas dans ce piège : préparez et assurez votre capital retraite dès aujourd’hui. Les recommandations de Simone Wapler pleuvent vous y aider… il suffit de les suivre !]