▪ Nous venons de rentrer du ranch, en Argentine. Voici un petit résumé de notre séjour. Il ne présente guère d’intérêt financier… sauf si vous vous intéressez à la manière de ne pas gagner d’argent en élevant du bétail et en cultivant des vignes. Mais la vie ne concerne pas que l’argent. Et si ces Chroniques s’en étaient tenues à l’économie et aux investissements ces 10 dernières années, votre correspondant aurait perdu la raison depuis bien longtemps.
A notre arrivée au ranch depuis Salta, nous n’avions jamais vu les terres si vertes. Après trois ans de sécheresse, il a plu.
« Nous avons eu 250 millimètres de pluie cette année, a rapporté Jorge. « Près de quatre fois plus que l’an dernier ».
Les collines étaient vertes. Les montagnes étaient vertes. Le mont Cachi, que nous voyons depuis la vallée, était blanc, couvert de neige. Même le désert était vert.
« C’est magnifique… tellement spectaculaire », a dit Elizabeth tandis que nous roulions dans la vallée. Mais l’eau qui avait permis tout ce vert rendait notre arrivée difficile. Nous n’avons pas pu traverser la rivière sur le gué habituel. Nous avons dû conduire une demi-heure de plus. Puis, en arrivant à la ferme, où se trouve généralement un lit de rivière à sec, nous sommes tombés sur un nouveau cours d’eau. Pouvions-nous traverser ? Nous n’en savions rien. Mais il y avait des traces de pneu menant dans l’eau et ressortant de l’autre côté. Nous avons mis le camion en mode 4×4, nous nous sommes lancés — et nous avons pu traverser sans trop de difficultés.
Au ranch, tout le monde semblait heureux. Jorge avait un grand sourire. Maria semblait détendue. Tous les gauchos aussi — Natalio, Javier, Pedro, Norberto, Gustavo et Jasimiro — tous semblaient de bonne humeur.
D’abord, nous avons attribué cette ère d’allégresse à la nouvelle pelleteuse. Puis nous avons réalisé que c’était grâce à la pluie.
« Oh, c’est un excellent outil », a dit Jorge au sujet de la pelleteuse. « On peut faire des choses impossibles avant. On a pu enlever beaucoup de cailloux dans les champs. Et on a pu installer une conduite d’eau, pour que le bétail dans les champs n’ait pas besoin de marcher jusqu’à la rivière ».
Afin de vous donner une idée de l’ampleur de ces améliorations d’infrastructures, la conduite d’eau est longue de cinq kilomètres. Elle capte l’eau d’une source dans les montagnes et l’amène au milieu du pâturage d’altitude.
« Eh bien… vous avez fait tout ça avec la pelleteuse ? » Nous étions impressionné.
« Non… on a juste dégagé la piste avec la pelleteuse. La tranchée, on l’a creusée à la main. On voulait garder la pelleteuse pour d’autres choses ».
▪ Dimanche dernier était un jour particulier au calendrier religieux, le dimanche des Rameaux. Nous l’avons célébré dans la petite église sur le ranch, avec un prêtre venu d’une petite ville dans le fond de la vallée. Nous ne sommes pas vraiment un croyant convaincu. Mais nous ne manquons jamais un bon spectacle, surtout s’il offre l’espoir d’une vie éternelle. Pour vous dire la vérité, nous serions ravi d’accepter une vingtaine d’années de plus. Mais on nous propose l’éternité, qui sommes-nous pour la refuser ?
En arrivant à l’église à l’heure dite, nos « rameaux » à la main… nous n’avons trouvé personne sur place, sinon Maria, qui nous a expliqué que le padre avait été retardé par la rivière.
Lorsqu’il est enfin arrivé, il était accompagné de dizaines d’autochtones… en majeure partie des femmes et des enfants. Nous avons dit bonjour à tout le monde, et nous sommes présentés au prêtre. C’était un remplaçant, le padre habituel était à Rome pour une mission spéciale.
« D’où venez-vous ? » a-t-il demandé.
Nous avons expliqué que nous étions une famille de la diaspora irlandaise, qui vivions actuellement aux Etats-Unis.
Il semblait être agréable… chaleureux et ouvert. Il a rassemblé les fidèles devant la porte, et s’est lancé dans un discours remarquable.
En deux mots, Jésus est entré à Jérusalem sur un chemin parsemé de rameaux de palmes, de la manière traditionnellement réservée pour accueillir un roi. Il devait bien savoir que c’était un piège, mais il a tout de même suivi la prophétie d’Isaïe, entrant dans la ville sur un âne.
Puis est arrivée la partie remarquable…
« Et vous avez là une famille d’Irlandais qui sont propriétaires du ranch », a déclaré le prêtre. « Vous avez beaucoup de chance, parce que les Irlandais sont très religieux. De très bons catholiques ».
« Vous pouvez donc suivre leur exemple. Ils vous donnent le bon exemple. Obéissez-leur. Lorsqu’ils vous disent de travailler, vous devez travailler. Et aidez à faire de ce ranch d’élevage une grande réussite ».
« D’où est-ce qu’il vient ? » a murmuré Edward.
Nous l’avons découvert plus tard : de l’Espagne franquiste ! Il avait quitté son pays en 1970, et vivait dans la vallée depuis.
Peut-être aurions-nous dû corriger ce malentendu. Nous ne sommes pas catholiques, nous sommes épiscopaliens. Et nous ne sommes pas vraiment irlandais.
D’un autre côté… qui s’en soucie ? Ce n’est pas non plus un vrai ranch d’élevage…
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