La Chronique Agora

La guerre mexicaine n’aura pas lieu

Les gesticulations de M. Trump masquent une réalité inquiétante pour les Etats-Unis… et pour l’économie dans son ensemble.

Deux choses à signaler ces derniers jours.

La première : nous avions raison, en fin de compte. M. Trump ne va pas se livrer à une guerre totale en matière de commerce – du moins pas avec le Mexique. Sa déclaration retentissante sur une hausse potentielle des taxes douanières si le flot d’immigration illégale ne prenait pas fin n’était sans doute qu’un autre de ses tours d’homme de spectacle.

Provoquer une fausse dispute… conclure un faux deal… et déclarer une fausse victoire.

Un super deal

Voici ce qu’en dit le New York Times : 

« L’accord permettant d’éviter les taxes douanières que le président Trump a annoncé en fanfare [vendredi dernier] est majoritairement composé de mesures que le Mexique avait déjà promis d’appliquer lors de discussions avec les Etats-Unis ces derniers mois, selon des personnes au courant des négociations dans les deux pays.

 La déclaration conjointe de vendredi annonce que le Mexique a accepté ‘le déploiement de sa Garde nationale dans tout le pays, avec une priorité à sa frontière sud’. Sauf que le gouvernement mexicain s’y était déjà engagé en mars durant des négociations secrètes entre Kirstjen Nielsen, alors secrétaire à la Séurité intérieure, et Olga Sanchez, ministre de l’Intérieur mexicaine, selon les autorités. »

Durant le week-end, M. Trump a également tweeté – deux fois – que l’accord portait aussi sur des achats alimentaires en quantité :

« LE MEXIQUE A ACCEPTE DE COMMENCER A ACHETER IMMEDIATEMENT DE GRANDES QUANTITES DE PRODUITS AGRICOLES DE NOS SUPER AGRICULTEURS PATRIOTES ! »

Ni les Mexicains ni les Américains n’ont pu trouver trace de cela dans l’accord négocié. Il ne semble pas y avoir de logique apparente entre le fait que les Mexicains achètent la production agricole américaine et une réduction de l’immigration illégale… et on ne sait pas pourquoi, si cela avait un sens économiquement parlant, ils n’achetaient pas déjà de nourriture aux Etats-Unis.

De toute façon, les pays n’achètent généralement pas de nourriture ; les entreprises en achètent, pour la revendre ensuite avec profit. Quant aux agriculteurs, ils ne cultivent pas leur maïs par patriotisme, mais parce qu’ils doivent gagner leur vie.

Mais sinon, c’était un super accord !

Au sud du Rio Grande, donc, les choses reviennent à ce qu’elles étaient – les immigrants illégaux traversent encore la frontière tandis que le Mexique « travaille très dur » à accomplir ce dont les Etats-Unis ont été incapables – les en empêcher.

La grande simulation

Au nord de la rivière, les choses continuent de se traîner dans la même direction – celle d’une autre grande simulation.

Les chiffres de l’emploi US sont sortis en fin de semaine dernière… et ils étaient lamentables. La « meilleure économie jamais vue » n’a créé que 75 000 emplois le mois dernier, bien au-dessous des 185 000 attendus.

Jusqu’à présent, l’économie Trump a créé en moyenne 25 000 emplois de moins, tous les mois, que la précédente administration.

Les chiffres de l’emploi n’avaient rien de surprenant, ceci dit. Depuis des semaines, une récession guette l’économie américaine. Mises en chantier, prix des logements, défauts de paiement, ventes finales, rendements obligataires – tous ces éléments pointent vers un ralentissement.

On ne vit pas pour toujours. Aucune expansion n’est éternelle. Lorsqu’on est la personne la plus âgée au monde, ce n’est généralement qu’une question de semaines avant que le corbillard ne se présente.

Les chiffres moroses de l’emploi sont un signe normal de vieillissement. Il n’y a pas à s’en alarmer. Ce qui est horrible, c’est ce qu’il s’est produit après la publication de ces chiffres.

L’industrie financière perd contact avec le réel

Ces derniers jours, nous avons examiné le fossé qui se creuse entre l’économie réelle et l’industrie financière. Nous avons observé plusieurs indicateurs – richesse des ménages/PIB, Wilshire 5000/PIB, main-d’œuvre/Dow Jones – et avons vu qu’il n’y avait jamais eu une telle distance entre les deux.

Comment est-ce arrivé ? Les autorités ont créé de l’argent factice et l’ont prêté à des taux factices. Cet argent est allé en majorité à l’économie financière – non à l’économie réelle.

Le Fed fund rate s’applique aux prêts au jour le jour. Il concerne la partie courte de la courbe des rendements – notamment l’argent pour les calls et les obligations et notes de court terme.

On ne peut pas construire une usine ou une maison, lancer une entreprise ou développer une nouvelle technologie avec de l’argent brûlant. La production réelle a besoin de temps… et d’un financement de long terme.

Seuls les spéculateurs s’intéressent à de l’argent aussi brûlant. Ils peuvent l’utiliser pour faire jouer l’effet de levier sur les actions et les obligations : ils savent qu’ils peuvent s’en débarrasser et sortir de leurs positions en un instant.

Pour eux, la chose la plus importante, c’est le taux d’intérêt appliqué à l’argent qu’ils ont emprunté. A mesure que l’économie s’affaiblit, les spéculateurs gagnent en audace, pariant que la Fed réduira à nouveaux les taux, de sorte que leurs coûts deviennent négatifs.

C’est ainsi qu’au lieu de vendre les actions parce qu’une récession rendra les entreprises de l’économie réelle moins profitables, ils les ont achetées. Les marchés ont regagné du terrain.
C’est peut-être factice, raisonnent-ils – les prix boursiers, les guerres factices, les taux d’intérêt, les chiffres de l’emploi et de l’inflation…

… Mais cela devient encore plus factice alors… que la fête continue !

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