Il y a toujours quelque chose de drôle, dans la vie publique…
En public, des gens sensés et faisant preuve de jugement dans leur vie personnelle endossent le rôle de personnages emplis de convictions infondées et d’intolérance
Le couple dont le fils « a un problème de drogue » veut que le gouvernement se lance dans un programme de soins d’envergure nationale.
Le type qui ne parvient pas à obtenir que les services de propreté de sa ville ramassent les ordures sur le pas de sa porte veut faire le ménage dans un gouvernement situé à l’autre bout du monde.
La femme qui se demande si elle doit prendre son parapluie est persuadée que la planète se réchauffe.
Il est toujours plus simple d’aller régler les problèmes des autres au lieu de régler les nôtres. C’est l’un des grands avantages, lorsque l’on vit à l’étranger : la vie publique est pleine de problèmes appartenant aux autres.
Imaginez qu’un groupe de Français propose de supprimer les remboursements de la Sécurité sociale, de démolir vos monuments préférés ou d’instaurer le culte de Satan dans votre église.
Vous crieriez au scandale.
Mais lorsque de semblables outrages se produisent dans une langue étrangère… ils sont souvent amusants et étonnants.
Le spectacle est pris comme une comédie, et non une tragédie. Comme le dit notre ami Nassim Taleb, nos propres intérêts ne sont pas en jeu.
A l’étranger, nous ne disposons pas des signaux, du contexte et des connexions émotionnelles nous permettant de prendre au sérieux ces outrages.
Nous lisons les gros titres en secouant la tête et en souriant. Les mythes et mystères de ces lieux n’ont aucun pouvoir sur nous.
Et donc, lorsqu’un groupe de manifestants de gauche a défilé dans Salta (Argentine), hier, nous n’avons pas su comment l’interpréter.
« De quoi s’agissait-il ? » avons-nous demandé.
Parallèlement, des échauffourées ont éclaté à la Nouvelle-Orléans, lundi. Un camp des manifestants voulait à tout prix déboulonner les statues des héros de la guerre, Robert E. Lee, Jefferson Davis et P.G.T. Beauregard. L’autre camp était là pour défendre les statues.
Selon ABC News :
« D’après la police, de nombreuses personnes ont été arrêtées, dimanche, alors que des centaines de manifestants s’affrontaient autour du sort réservé aux monuments confédérés, à la Nouvelle-Orléans.
Selon les services de police de la Nouvelle-Orléans, trois manifestants ont été arrêtés et poursuivis pour trouble à l’ordre public, dimanche après-midi, près de Lee Circle, à la Nouvelle-Orléans, après une bagarre dans le cadre de la manifestation concernant les monuments confédérés.
Plus de 700 personnes assistaient à ces manifestations, dimanche, opposant deux camps autour du projet municipal visant à supprimer les monuments confédérés. »
Puis, jeudi soir, des vandales ont dégradé le monument à la mémoire de P.G.T. Beauregard, le recouvrant d’une pancarte où il était écrit : « ceci est une violence historique, nous la refusons
Nous ne savons pas trop ce que c’était censé signifier. Mais nous savons de quel côté nous sommes : celui des pierres.
Une guerre de libération et non de Sécession
Le général confédéré Robert E. Lee fut l’un des plus grands guerriers de l’histoire américaine. Comparés à lui, les généraux bardés de décorations qui fréquentent actuellement la Maison-Blanche — Mattis, McMaster, Kelly – font plutôt figure de gratte-papier.
Mais intéressons-nous à P.G.T. Beauregard, le héros de la première bataille de Bull Run.
Né dans une plantation de canne à sucre, à Saint-Bernard, en Louisiane, le petit Pierre Gustave Toutant Beauregard ne parlait pas anglais jusqu’à ce que ses parents l’envoient à New York pour apprendre la langue.
De là, il a été admis à West Point puis il a débuté sa carrière militaire. Il a servi son pays au cours de la Guerre américano-mexicaine… puis exercé les fonctions de « superintendant » à West Point.
Lorsque la Louisiane a déclaré son indépendance, qu’a-t-il fait ? A-t-il défendu sa terre natale ? Ou bien combattu contre elle ?
D’abord, corrigeons un quiproquo largement répandu. Bon nombre de gens qualifient cette période de « Guerre Civile » : non seulement c’est un oxymore, mais en plus c’est inexact.
Une guerre civile se livre entre deux factions ou plus, dans le but de prendre le contrôle du gouvernement. La guerre qui a eu lieu entre 1861 et 1865 n’avait rien à voir avec cela.
Au contraire, c’était une guerre nationale de libération. Les états du sud ont fait sécession de l’Union : un droit qui était inscrit dans le document fondateur des Etats-Unis, la Déclaration d’Indépendance.
Par la suite, ces états n’ont jamais cherché à contrôler ni influencer le reste des Etats-Unis d’Amérique.
Un gouvernement représente toujours un moyen par lequel quelques personnes tentent d’exploiter la multitude. Les sudistes ne demandaient rien de plus qu’être dépouillés et menés à la baguette par des gens de chez eux.
Mais cette guerre s’est déroulée il y a très longtemps.
La manipulation de vieux faits
Les faits se détériorent à la matière des isotopes du carbone. La véritable connaissance diminue selon le carré du temps écoulé et l’ampleur de l’évènement concerné.
En lieu et place, un mythe simplifié fournit une explication réconfortante, ceux qui y croient devenant ainsi encore plus bêtes que lorsqu’ils ne savaient rien.
Donc, lorsque Donald J. Trump est entré en scène, le décor était planté.
Selon le New York Times :
« ‘Les gens ne se rendent pas compte, voyez-vous. Quand vous songez à la Guerre Civile : pourquoi ?’ a-t-il confié à la personne qui l’interviewait…
M. Trump a enchaîné sur ce commentaire avec un tweet publié lundi soir affirmant qu'[Andrew] Jackson avait vu arriver la Guerre Civile et qu’il l’aurait empêchée s’il n’était pas mort 16 ans plus tôt. »
Presque aussitôt, d’éminentes personnalités sont montées au créneau, reprochant à Trump de remettre en question le récit flatteur.
Dans leur esprit, la « Guerre Civile » ne combattait qu’une seule cause. Même Chelsea Clinton en a immédiatement informé ses fans, sur Twitter : « l’esclavage ».
C’est ce qui a rendu cette guerre inévitable, juste et héroïque. Ecraser le Sud à grands frais était justifié car cela effaçait cette salissure sur l’écusson national.
C’est la seule explication politiquement correcte, à l’heure actuelle, de la « Guerre Civile ».
Choisir son camp
Mais ce pauvre petit Créole !
Pour P.G.T. Beauregard, les choses ont été beaucoup plus compliquées. Il avait une formation militaire. Sa mission était de protéger son pays… comme le lui commandaient ses supérieurs appartenant au monde civil.
La Louisiane a déclaré son indépendance en janvier 1861. Les Etats Confédérés d’Amérique lui ont alors proposé le grade de brigadier général. Que pouvait-il dire ?
« Non merci… Je reste chez les Yankees. »
Selon les critères actuels, il aurait pu refuser cette mission en indiquant que l’esclavage (un accord gagnant-perdant classique : les propriétaires d’esclaves étaient gagnants et les esclaves étaient perdants) était rédhibitoire.
Il aurait pu prendre la tête d’une manifestation, faire un sitting sur la pelouse, devant le bâtiment fédéral, en jouant de la guitare et en chantant Kumbaya. Il aurait pu exiger que les osties soient sans gluten, à l’église, également.
Mais cela se situait dans les années 1860, et sa terre natale était sur le point d’être envahie par une armée étrangère.
Au bout du compte, Beauregard a scellé son destin à celui de ses compatriotes sudistes. Et lorsque Lincoln a envoyé son armée en Virginie, il s’est tenu prêt à l’accueillir.
Les Yankees ont attaqué à Bull Run, en Virginie, en juillet 1861. Beauregard, à la tête de l’Armée des Etats Confédérés, a contre-attaqué et les a forcés à se replier sur Washington (DC).
Certains spécialistes des questions militaires pensent que Beauregard aurait dû enchaîner avec une action contre la capitale. Il aurait pu s’emparer de la Maison Blanche et du Congrès… et mettre un terme à cette guerre rapidement.
S’il l’avait fait, qui sait ce qu’il se serait produit ?
Peut-être que cela aurait épargné un million de morts au pays. Peut-être que l’on aurait mis fin à l’esclavage de façon ordonnée et non violente.
Et peut-être qu’aujourd’hui, ce serait les statues de Lincoln que l’on retirerait.