Après plus de quarante ans d’historique, la gestion indicielle, les trackers, affiche des performances supérieures à la très grande majorité des fonds activement gérés. Ce qui pose la question du bien-fondé des frais de gestion, surtout en période de vaches maigres et de taux négatifs.
Avez-vous entendu parler de ces expériences qui portent sur la performance d’un portefeuille boursier dont les actions seraient choisies par des chimpanzés lanceurs de fléchettes ou assimilés, et qui arrivent à la conclusion suivante : un choix d’allocation d’actifs effectué par un singe lanceur de fléchettes, donc purement au hasard, rapporterait plus qu’un portefeuille constitué par des traders professionnels ? En d’autres termes, le hasard et la gestion passive feraient souvent mieux les choses que la crème des gestionnaires d’actifs.
Cela se reflète sur le graphique ci-dessous. Durant la décennie 1990, une très grande majorité des gestionnaires d’actifs a fait moins bien que le marché.
Guillaume Nicoulaud, qui était encore il y a quelques années gérant d’un fonds actions US aux performances plus que remarquables, explique que « le gérant moyen réalise habituellement une performance égale à celle de l’indice moins les frais de gestion de son portefeuille – vous pouvez vérifier : c’est un fait statistique d’une robustesse à toute épreuve… ».
Au vu de ces faits, les résultats de gérants tels que Warren Buffett ou Bill Miller paraissent encore plus impressionnants. En effet, « en 48 ans d’activité, [Warren Buffett] a gagné de l’argent 46 fois (contre 37 fois pour l’indice S&P 500) et il a battu le marché 39 fois – c’est-à-dire dans plus de 80% des cas. […] Bill Miller, l’homme qui, aux commandes du Legg Mason Value Trust (LMVTX), a battu l’indice S&P 500 pendant 15 ans d’affilée (de 1991 à 2005) », poursuit Nicoulaud.
En clair, si vous n’avez pas la chance d’être client de l’un des (très) rares gérants dont la performance est supérieure à son indice de référence, vous auriez mieux fait d’acheter un tracker, c’est-à-dire un produit qui réplique exactement l’évolution d’un indice de référence et qui est de surcroit beaucoup moins onéreux en frais de gestion. C’est ce que l’on appelle la gestion passive.
Un constat vieux de 40 ans
Les professionnels de la finance n’ont pas attendu les expériences cocasses des singes joueurs de fléchettes pour tirer profit de cette anomalie.
En 1975, John C. Bogle, fondateur de la société Vanguard, révolutionnait le monde de la finance en créant la gestion en pilotage automatique, sans gérant, sur inspiration d’un article de recherche publié en 1974 par le prix Nobel d’économie, Paul Samuelson (Challenge to Judgment).
Son idée a consisté à créer un fonds contenant exactement les mêmes titres, dans les mêmes proportions, que l’indice S&P 500. La composition de l’indice étant publique, il est possible de le reproduire à peu de frais. Le fonds indiciaire (ou encore tracker ou ETF, pour exchange traded fund), qui propose une gestion autonome low cost répliquant automatiquement l’évolution d’un indice, était né.
En faisant sauter l’intermédiation de l’équipe de gestion, les trackers permettent d’afficher des frais de gestion de l’ordre de 0.1% pour les grands indices et de 0,4% à 0,7% pour des indices plus particuliers, là où les SICAV et les FCP (OPCVM dits « classiques ») affichent souvent des frais supérieurs à 2%. Une économie substantielle, en particulier en période de taux négatifs !
Après des débuts difficiles – dus notamment aux réticences des professionnels de la finance à voir la légitimité de leur salaires remis en causes – le double avantage des trackers sur les fonds gérés activement a donné lieu à un immense succès qui va en s’accentuant, comme en témoigne ce graphique du Busines Insider.
Le pionnier Vanguard a été rejoint par Blackrock, deux sociétés qui écrasent aujourd’hui le marché de la gestion passive.
Depuis quelques années, certains coutiers commercialisent des contrats d’assurance-vie spécialisés dans les trackers.
Tous les trimestres, notre spécialiste Mory Doré indique ses meilleures allocations d’actifs et les trackers correspondants pour vous aider à retrouver du rendement, notamment au sein de votre contrat d’assurance-vie. Pour profiter de ses conseils, en profitant d’un abonnement à tarif préférentiel à la Stratégie de Simone Wapler, il suffit de cliquer ici.]
Pourtant, malgré ses atouts, la gestion passive ne représente encore qu’environ un tiers de la gestion totale aux Etats-Unis.
Pourquoi la gestion active est-elle encore plébiscitée par les investisseurs ?
Les sociétés proposant des fonds activement gérés jouent évidemment sur le fait qu’elles sont en mesure de battre le marché, donc de promulguer un service de qualité. Or, la qualité se paie.
La communication des sociétés de gestion reposent sur une histoire très travaillée, là où les ETF sont par nature ennuyeux.
Une étude de Natixis Global AM indique que les conseillers en gestion de patrimoine français boudent la gestion passive :
« Les CGP sont convaincus que la gestion active surperforme la gestion indicielle à plusieurs […] ‘84% des conseillers financiers français pensent que les investisseurs ne sont pas tout à fait conscients des risques liés à la gestion indicielle’. […] Ils reconnaissent toutefois que les investissements indiciels ont un rôle à jouer dans la construction de portefeuilles diversifiés, mais ils craignent que leur utilisation soit motivée non par leur valeur ajoutée mais uniquement par leur faible coût ».
Précision : avec des frais de gestion de quatre à cinq fois moins élevés sur les trackers, je laisse le lecteur imaginer ce qu’il en est de la rémunération des CGP sur ce type de produit…
Dans les faits, un gérant souvent sous-performant qui prélève des commissions élevées
Voici les résultats de l’étude SPIVA (Standard & Poors Indices Versus Active Funds) pour les fonds européens à fin 2015 :
Cliquez sur le graphique pour l’agrandir
Sur 10 ans, 86.25% des fonds actions Europe ont fait moins bien que l’indice de référence. Pour les fonds actions US, c’est 98.87% ! Les résultats deviennent progressivement plus favorables aux fonds gérés activement lorsqu’on réduit l’échelle de temps. Il faut passer à un an pour qu’ils reprennent l’avantage sur la gestion passive.
Eugène Fama (Nobel d’Economie 2013) et Kenneth French ont étudié la question dans un article de 2010 intitulé Luck versus Skill in the Cross Section of Mutual Fund Returns, qui porte sur un échantillon de 3 165 fonds. Ils arrivent à une double conclusion. Non seulement très peu de gérants ont fait mieux que leur indice de référence une fois les frais de gestion pris en compte, mais le hasard a joué un rôle prépondérant dans leurs résultats ! (« some do extraordinarily well and some do extraordinarily poorly just by chance »)
On peut aussi relever le pari lancé à Warren Buffett en 2006. L’oracle d’Omaha avait déclaré lors de sa célèbre réunion annuelle : « je connais un placement meilleur à long terme que n’importe quelle combinaison de hedge funds« . Le prenant au mot, un professionnel de la finance lui a alors parié un million de dollars qu’il le battrait à horizon 10 ans sur la base d’un portefeuille composé d’une combinaison de hedge funds. Pari relevé et gagné en 2016 par Buffett qui avait proposé… un fonds indiciaire répliquant le S&P 500.
En somme, un tracker a par nature de très fortes chances de terminer l’année dans la catégorie des meilleurs fonds, et ce pour des frais très réduits.
Quels enseignements en tirer ?
A chaque nouvelle étude, les médias semblent redécouvrir une évidence : personne n’est capable de prévoir l’avenir. Ce constat est valable en matière de finances comme dans les autres domaines.
Pour ce qui me concerne, la conclusion qui s’impose est de ne pas surestimer ses capacités d’investisseur et de privilégier les trackers aux fonds gérés activement.
1 commentaire
En fait, le problème est incomplètement posé. Ne sont comparés que des performances de fonds bloqués définitivement sur longue durée (décennies).
* Or la vie demande régulièrement une respiration des montants épargnés en fonction de l’environnement personnel, même si l’épargne retirée est reconstituée ultérieurement. c’est là l’un des aspects où le pianotage personnel entre divers supports peut apporter un gain (on réalise ce qui semble avoir le moins de marge de progression, pas forcément ce qui a récemment produit les marges maxi, on réinvestira dans ce qui semble sous-coté). La statistique produite n’évalue pas cet apport.
* Un second cas de possibilité de pianotage devrait être lié à la conjoncture générale (et non personnelle), mais lui peut, dans bien des cas, être exploité par les gestionnaire à mandat suffisamment flexible. Comme ce type de mandat ne doit caractériser qu’une faible partie des fonds pris en compte, cela peut expliquer le fort taux de fonds à performance pénalisante.
* Resterait à évaluer les fonds de fonds, ou plutôt les fonds d’ETF, voire le pianotage personnel entre ETF, qui se résume à un planning d’entrée/sortie de secteurs professionnels ou géographiques. Les agrégats statistiques caractérisant ces types de comportement généralement plus ou moins partiels son toutefois probablement difficiles à constituer.
* Une analyse comparative des modes d’évolution de la composition des indices reproduits par les ETF mériterait également un commentaire.