Malgré une préférence marquée pour les placements sécurisés, la pandémie de COVID a révélé une diversité d’attitudes financières.
L’année dernière à la même époque, nous nous demandions si les Français étaient de bons épargnants. Même s’ils privilégient les placements peu risqués, et donc peu rémunérateurs, nous avions conclu que nos compatriotes étaient plutôt des épargnants avisés, du moins si l’on prend en compte leurs motivations. En effet, 42% d’entre eux cherchent à se constituer un pécule de précaution, par exemple pour faire face à des aléas de revenus liés à des problèmes de santé ou d’emploi. Dans ce cas, les actifs risqués sont à proscrire.
Cependant, il est généralement admis, pour expliquer l’importance des placements peu risqués dans le patrimoine des Français, que ceux-ci présentent une importante aversion au risque. Il est vrai qu’ils détiennent peu d’actions en direct – les Allemands et les Espagnols ont la même attitude, et les Italiens sont plus frileux encore – mais ils en détiennent aussi via l’assurance-vie, l’épargne retraite et les fonds communs de placement. Il est toutefois vrai que la détention d’actions a baissé depuis le début des années 2000 en France.
Dans une étude intitulée « Préférences et croyances pendant le ‘grand confinement’ : les attitudes vis-à-vis du risque de l’épargnant », Luc Arondel et Fabrice Étilé, deux chercheurs de l’École d’économie de Paris (PSE), se sont demandés si ce qu’ils nomment le « grand confinement » a modifié le comportement des épargnants.
L’aversion au risque évolue-t-elle en fonction des événements ?
Pour Arondel et Étilé, les études réalisées avant la pandémie sur les préférences face au risque n’aboutissent pas à des conclusions définitives : « Pas d’effets du chômage, de l’état de santé ou des changements familiaux ; une diminution de la tolérance au risque après des chocs économiques, notamment la ‘grande dépression’ de 2008 ; une augmentation de l’aversion au risque ou pas d’effets après des catastrophes naturelles (tremblements de terre, inondations, ouragans, tsunamis) et les famines ; une augmentation ou une diminution de la tolérance au risque après les conflits (guerres, violence politique) ».
Certains auteurs expliquent cependant « l’excès de prudence dans les choix de portefeuille des ménages depuis la crise de 2008 (en France, la demande d’actions a ainsi baissé de 50%) », par l’augmentation de l’aversion au risque pendant la « grande dépression« . Ils s‘appuient pour cela sur des « expériences menées en neuro-économie qui montrent que les ‘émotions’ négatives peuvent accroître l’aversion au risque : un choc négatif, par exemple la ‘peur’, serait susceptible d’expliquer une diminution de la tolérance au risque pendant la crise et donc une décroissance de la demande d’actifs risqués des ménages ».
D’autres chercheurs ont montré, qu’après le tremblement de terre survenu à l’est du Japon en 2011, les hommes étaient devenus plus tolérants au risque un an après la catastrophe et que ces effets étaient persistants cinq ans plus tard. En revanche, ils n’ont trouvé aucun effet à court ou à moyen terme pour les femmes.
Citons aussi Malmendier et Nagel qui ont montré que « les Américains qui, notamment dans leur petite enfance, ont vécu des périodes de faible rendement des titres (en particulier durant la ‘grande dépression’ qui a suivi la crise de 1929) » ont pris moins de risque dans leurs décisions d’investissement ultérieures. Ils montrent aussi que « leurs anticipations sur les rendements futurs » étaient également plus pessimistes que celles des personnes qui ont vécu des périodes de rendements élevés. Des effets qui « s’atténuent cependant au cours du temps ».
La pandémie de COVID n’a pas affecté le comportement des investisseurs
Depuis 2020, une vingtaine d’études ont été publiées pour savoir si la pandémie de COVID a fait évoluer le comportement des épargnants.
Arondel et Étilé, qui les ont toutes lues avec attention, avouent avoir eu du mal à se faire une idée claire : « Sept mesures permettent de conclure à une diminution de l’aversion au risque après le COVID, quatre trouvent des préférences stables et dix obtiennent une moindre tolérance. »
Une seule de ces études porte sur la France. Elle a été réalisée auprès de 200 étudiants de l’université de Bourgogne, interrogés avant et après la pandémie, et conclut à « une diminution de l’aversion au risque pendant la crise sanitaire ».
Les deux économistes de PSE préfèrent s’appuyer sur les résultats du panel Pat€r (pour Patrimoine et préférences vis-à-vis du temps et du risque) qu’ils ont initié avec TNS Sofres. Cinq vagues d’enquête ont été menées entre 2007 et 2020 qui ont permis de suivre des épargnants sur une petite quinzaine d’années.
Avec Pat€r, il a ainsi été démontré que « les attitudes vis-à-vis du risque étaient resté stables durant la ‘grande récession’, entre 2007 et 2014 : la psyché des individus n’avait pas changé durant la crise ». En est-il de même avec la crise du COVID ? Apparemment oui : les données exploitées par Arondel et Étilé montrent que, « comme pour les chocs économiques de 2008 et 2011, les préférences sont restées stables pendant la crise du COVID ».
Nous verrons les détails de cette étude dans notre prochain article.