Les fonds activistes apparaissent comme les héritiers pragmatiques de la théorie de Milton Friedman en promouvant la maximisation des profits et la discipline dans la gouvernance, tout en jouant un rôle correctif au sein de la démocratie actionnariale.
Hier, nous avons vu que l’impact des fonds activistes sur les entreprises est controversé. S’ils offrent parfois des gains à court terme pour les actionnaires, leurs interventions fragilisent souvent les entreprises ciblées à long terme. Mais, certains cas spécifiques montrent des effets positifs.
Des partisans de Milton Friedman ?
Finalement, on peut se demander si les fonds activistes ne sont pas les meilleurs défenseurs de la théorie de Milton Friedman selon laquelle « la responsabilité sociale de l’entreprise est d’accroître les profits », titre d’un article paru dans le New York Times Magazine en 1970.
Le célèbre économiste entendait rappeler avec cet article que les dirigeants d’une grande entreprise sont la plupart du temps des salariés, c’est-à-dire des employés des actionnaires.
Par conséquent, leur responsabilité est de faire ce que les actionnaires souhaitent, c’est-à-dire généralement faire des profits en respectant les règles du jeu concurrentiel « sans duperie ou fraude » et les lois. Les dirigeants salariés n’ont pas la liberté d’utiliser l’argent des actionnaires pour atteindre un objectif qui ne leur aurait pas été assigné, comme financer le logement des immigrés ou protéger la grenouille des Pyrénées.
Ces dirigeants peuvent, en revanche, tout à fait militer pour ces causes avec leur propre argent. Tout comme les actionnaires peuvent le faire avec le leur.
Pour Milton Friedman, les entreprises n’ont pas à avoir des responsabilités sociales. Seuls les individus peuvent en avoir et sont libres de dépenser leur propre argent, leur temps ou leur énergie à les assumer.
Il est intéressant de constater que les fonds activistes, sans forcément se revendiquer ouvertement de Friedman, revendiquent souvent que leur intervention est bénéfique dans le sens où elle serait source de création de valeur. Auditionnées par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’activisme actionnarial, les dirigeantes du fonds CIAM ont ainsi rappelé que « le premier rôle du fonds était d’encourager la performance, de générer un rendement supplémentaire pour les investisseurs, et donc de voir le cours de l’action monter ».
Les députés Woerth et Dirx notent d’ailleurs que, quel que soit le type de fonds, l’activisme consiste toujours à émettre des critiques précises et à demander des changements de gouvernance et/ou de stratégie. Toutes choses qui ne peuvent que déplaire aux dirigeants.
On remarquera d’ailleurs que Mark Desjardine et Rodolphe Durand, dans leur article critiquant les fonds activistes, citent un autre article, de leur collègue Frédéric Fréry, qui prétend que « le véritable rôle du dirigeant » est de « protéger l’entreprise de ses actionnaires » qui ne penseraient qu’au profit immédiat au détriment de la performance future de l’entreprise. Ces actionnaires ne seraient en quelque sorte que des prédateurs eux aussi !
En fait, l’activisme serait plutôt un aiguillon comme l’ont rappelé, dans une tribune du Monde en 2018, Caroline Ruellan et Pierre Nollet, alors respectivement présidente de Sonj Conseil et président d’Oxym Associates.
Il s’agit notamment d’inciter le conseil d’administration à jouer pleinement son rôle de contre-pouvoir. Pour les deux auteurs, « l’activisme actionnarial rappelle que le conseil d’administration n’est pas un organe de complaisance, qu’il doit avoir une connaissance affinée de l’entreprise, qu’il doit également rendre des comptes, tant aux actionnaires qu’aux parties prenantes ». Dans cette perspective, « l’activisme actionnarial doit être compris comme une opportunité pour nos entreprises, dans la mesure où il injecte de la discipline chez tous les acteurs ». Un argument qui est également celui de Colette Neuville (Adam) : le conseil d’administration « doit veiller à ce que les décisions prises par l’exécutif soient conformes à l’intérêt social et à celui des actionnaires ».
Renforcer la démocratie actionnariale
Pour terminer, laissons la parole à Michel Albouy. Professeur émérite de finance, il vient de publier un ouvrage intitulé Mythes et dérives de la finance au XXIe siècle (Economica) dans lequel un consacre tout un chapitre aux actionnaires activistes en se demandant s’ils sont néfastes.
S’appuyant sur plusieurs études, Albouy prend en quelque sorte le contrepied de tous ceux que nous avons précédemment cités, notamment Desjardine, Durand et Fréry, défenseurs du management au détriment de l’actionnaire.
Il note que les fonds activistes « proposent des solutions stratégiques, opérationnelles et financières qui permettent de redresser les entreprises visées dans deux tiers des cas ». Il ajoute que les hedge funds activistes, « en prenant pour cibles des entreprises disposant de faibles opportunités de croissance ; distribuant moins de cash que leurs pairs ; versant des rémunérations significativement plus élevées à leurs dirigeants ; adoptant des mécanismes de défense anti-OPA ; possédant un actionnariat institutionnel plus important », influencent la gouvernance des entreprises dans le sens de l’intérêt des actionnaires et contribuent ainsi à créer de la valeur.
Albouy montre également que les actionnaires activistes « ciblent généralement des entreprises qui sous-performent par rapport à leurs concurrents mais également par rapport à leur historique ». Ils ont aussi « un impact positif à long terme (5 ans) sur les performances opérationnelles et financières des firmes visées ainsi que sur leur valorisation ». Cela confirme, écrit Michel Albouy, « la fonction disciplinaire de ces fonds activistes à l’égard du management en place ».
Les nombreuses études consultées par Michel Albouy démontrent par ailleurs qu’il n’y a pas de gains à court terme « qui viendraient compromettre les performances opérationnelles à long terme des entreprises ».
Bref, contrairement à tous ceux qui prétendent que les fonds activistes sont néfastes, le professeur Albouy assure qu’ils « contribuent à renforcer la démocratie actionnariale » et qu’ils viennent « combler une lacune dans la performance mais également parfois dans la gouvernance des entreprises ».
Pour lui, par conséquent, nul besoin de réglementer pour limiter l’intervention des activistes. La meilleure défense des dirigeants est à trouver dans l’engagement auprès des actionnaires. Rien de mieux finalement qu’une « bonne gouvernance respectueuse des intérêts des actionnaires et leur fidélisation » pour faire fuir les activistes !