Les gains de productivité réalisés depuis 40 ans ne se retrouvent pas dans les salaires. Mais le coupable n’est pas celui qu’on croit.
Comment des faits peuvent-ils donner lieu à des interprétations et des opinions radicalement différentes ? C’est un sujet que j’ai déjà abordé à propos des dernières statistiques d’Oxfam et de la Banque mondiale au sujet des riches et des pauvres.
Oxfam met l’accent sur l’accroissement des inégalités tandis que la Banque mondiale note que la pauvreté recule. Les riches volent-ils les pauvres ? « Oui » clament certains, « non » soutiennent d’autres.
Autre fait : la productivité augmente mais moins vite que le salaire minimum, le SMIC.
Depuis 1990, la productivité a augmenté de 185% tandis que le SMIC a augmenté de 152%.
Voici ce qu’écrit Bruno Bertez, l’auteur du blog qui publie ce graphique, ancien patron de presse fondateur de L’Agefi en France :
« Le graphique ci dessous pointe clairement le vol, le hold-up dont sont victimes les salariés depuis le début des années 80. Le bénéfice des gains de productivité est confisqué. Il n’est plus partagé. Le contrat social implicite est déchiré. Il n’existe de richesse que produite par le travail, même le capital physique n’est que du travail accumulé. Donc il n’y a aucune raison de baisser la part du travail dans la valeur ajoutée. »
Voyons un peu une autre interprétation.
« Il n’y a aucune raison de baisser la part du travail dans la valeur ajoutée ».
Si, il y a au contraire beaucoup de raisons.
Le capitalisme consiste à vouloir à produire plus avec moins. Moins de tout : moins de capital, moins de travail, moins de matières premières. Ce qui mesure tout cela est le prix.
Si le prix du travail est coûteux, la part de travail sera réduite. Si la matière première est coûteuse, on se débrouillera pour en employer moins. Et si le capital est coûteux – parce que les taux d’intérêt sont élevés – on essaiera d’utiliser moins de capitaux, quitte à employer plus de main d’œuvre ou de matières premières pour arriver au même résultat.
La recherche de parcimonie en matières premières a donné lieu à des avancées considérables en résistance des matériaux. Ne mettre que la matière qui était utile, là où elle était utile fut tout l’objet des réflexions de Gustave Eiffel ; la Tour Eiffel est la preuve matérielle du bien fondé de son analyse et de ses calculs. Depuis Eiffel, la matière est dégraissée là où elle est un poids inutile.
La recherche de parcimonie en main d’œuvre a donné lieu à la division du travail, à la taylorisation, à la mécanisation des tâches.
A chaque choix, le coût du capital est pris en compte. Le capital physique est bien du travail accumulé, s’il correspond à de l’épargne, ce qui était le cas jusqu’au milieu de XXème siècle. Pour pouvoir disposer de ce travail accumulé, de cette épargne, il faut l’acheter avec des intérêts. Les banques agglomèrent l’argent des épargnants pour le prêter à des entrepreneurs ayant besoin de capitaux.
L’avènement du créditisme et les politiques de baisse de taux forcée
Mais au milieu du XXème siècle, tout change. L’argent factice apparaît. Les banques prêtent de l’argent qui n’existe pas encore et non plus seulement de l’épargne. Par conséquent, le coût du capital baisse. C’est l’avènement du « créditisme ».
L’idéologie keynésienne prétend par ailleurs qu’en cas de récession, il convient de baisser le prix que les banques paient pour créer l’argent factice. Dans ces conditions, puisque le capital est bon marché, autant diminuer la main d’œuvre — qui se renchérit du fait des charges sociales.
Si un industriel hésitait à automatiser une vieille chaîne de production en empruntant à 8%, peut-être sautera-t-il le pas s’il trouve à emprunter à 3%. La part du travail, c’est-à-dire de la main d’œuvre, diminuera. Statistiquement, la productivité augmente mais ce n’est pas celle du salarié, c’est celle qui est due à sa disparition.
Face à des faits, des chiffres, des statistiques, il peut exister une multitude d’interprétations possibles. Certains remettent en cause le capitalisme, le libre-échange, la mondialisation. Fermez les frontières, prenez l’argent des riches et donnez-le aux pauvres qui en ont besoin, taxez ce qui rentre et tout ira mieux, disent-ils.
Mais ce phénomène existerait-il si nous ne vivions pas dans un système où « les Etats-Unis fournissent la fausse monnaie et la Chine les produits bon marché » ? Dans un système où tout crédit serait adossé à une épargne réellement existante et si les taux d’intérêt rémunéraient justement cette épargne ?
Tricher sur les prix, la monnaie et les taux d’intérêt comme le fait le système monétaire et financier actuel ne peut conduire qu’à de mauvaises allocations de capital et à des distorsions qui brouillent le chemin vers de véritables gains de productivité, les seuls créateurs de vraies richesses.
Le système monétaire et financier nourrit les zombies et il vampirise l’épargne.
7 commentaires
Il me semble que votre clavier a « fourché » dans l’interprétation du graphique :
« Autre fait : la productivité augmente mais moins vite que le salaire minimum, le SMIC. » C’est exactement l’inverse puisque, comme vous le soulignez : « Depuis 1990, la productivité a augmenté de 185% tandis que le SMIC a augmenté de 152%. »
cordialement,
En premier lieu, le fait que le SMIC augmente moins rapidement que la productivité n’implique absolument pas que la part des salaires dans la valeur ajoutée diminue. Il aurait fallu comparer la productivité à l’évolution du salaire moyen horaire. Si le gouvernement décide d’augmenter le smic moins rapidement que la productivité, on va tout simplement assister à une augmentation de la part des travailleurs dont le salaire se situe au dessus du smic. Par ailleurs, il y a une différence entre l’évolution globale de la productivité, et celle des moins qualifiés concernés par le smic.
» Si le gouvernement décide d’augmenter le smic moins rapidement que la productivité, on va tout simplement assister à une augmentation de la part des travailleurs dont le salaire se situe au dessus du smic »
Ca alors, qu’est-ce qu’on observe justement dans les statistiques : https://fr.wikipedia.org/wiki/Salaire_minimum_interprofessionnel_de_croissance
» En 2005, 16,3 % de la population active était rémunérée au SMIC2. En janvier 2018, 1,98 million de salariés des entreprises du secteur concurrentiel (hors apprentis, stagiaires et intérimaires) sont rémunérés au SMIC, soit 11,5 % des salariés, dont 58,5 % de femmes2. »
Une diminution de la part de salariés payés au smic…
En revanche je ne crois pas que les taux bas encouragent l’automatisation au détriment du travail. Il me semble que les économistes libéraux ont démontré que l’automatisation ne réduit pas la demande globale de travail, elle permet simplement d’augmenter la production rapportée au nombre d’heure travaillées, réduisant les prix et entrainant une plus grande prospérité à l’échelle collective.
Le crédit adossé à la création monétaire est purement inflationniste, il est à distinguer du véritable capital, il ne permet pas de créer par magie des ressources qui ont été consommées et ne sont donc pas disponible pour investir (produire des biens de production). C’est l’analyse de Mises. Au contraire, en décourageant l’épargne (donc la formation de capital), les taux bas freinent l’investissement et les gains de productivité.
Ce qu’il se passe quand les taux sont à 3% plutôt qu’à 8%, c’est que le gars qui aurait de toute façon voulu automatiser sa chaine de production car il obtient un retour sur investissement en moins de 5 ans se retrouve en compétition avec le gars qui réalise qu’à 3% il peut autofinancer un investissement immobilier et même dégager un cashflow positif, ce qui n’aurait jamais été le cas sur ce type d’actif à faible risque avec un taux à 8%.
En général, la banque a vite choisi entre l’entrepreneur cherchant à financer un actif intangible ou rapidement déprécié, et l’investisseur capable de fournir un actif tangible en garantie. Au lieu d’investissements productifs, vous vous retrouvez avec des bulles sur les actifs financiers.
1 – Autre fait : la productivité augmente mais moins vite que le salaire minimum, le SMIC.
2 – Depuis 1990, la productivité a augmenté de 185% tandis que le SMIC a augmenté de 152%.
Il y a contradiction entre 1 et 2.
Le robot est un outil comme la faucille et le marteau. La productivité se calcule par salarié, pour le capital, on préfère le mot, rentabilité ou profit.
Daniel : le concept de productivité du capital existe aussi, il s’agit du rapport entre la valeur ajoutée et le stock de capital fixe.
Concernant le premier point il s’agit juste d’une petite coquille. La productivité a augmenté plus rapidement que le SMIC.