La création d’une zone monétaire en Europe était une idée en or à l’origine. Mais sa conception bancale, issue de calculs purement politiques par des dirigeants soit naïfs soit cyniques, l’a transformée en horreur pour les peuples. Même les esprits les plus europhiles (le prix Nobel Joseph Stieglitz, l’un des pères fondateurs de l’euro Otmar Issing) commencent à émettre les plus sérieux doutes sur son avenir. Sans réformes, l’effondrement se profile.
10 novembre 1989. Ce qu’aucun observateur n’imaginait voir intervenir de son vivant est sur les écrans de télévision du monde en entier, en direct et en continu. Le mur de Berlin n’est plus. Le rideau de fer, destiné selon la propagande communiste à protéger les Européens de l’est, heureux habitants du paradis socialiste sur terre, de la corruption de l’enfer capitaliste de l’ouest s’effondre dans la foulée. L’ouest a gagné la guerre froide sans qu’un seul coup de fusil ne soit tiré. Le processus enclenché en 1980 en Pologne, dans les chantiers navals de la Baltique, avec les syndicalistes de Solidarność, voit la victoire du pape Jean-Paul II sans divisions blindées.
Les classes politiques occidentales, qui n’avaient rien vu venir, sont prises d’un vertige. François Mitterrand, homme des années 1930 (il était né en 1916), voit resurgir ses cauchemars de jeune homme, lorsqu’il assistait à la montée inexorable de la puissance hitlérienne, qui verra se perpétrer le plus grand massacre de l’histoire de l’humanité. Plus de 50 ans plus tard, sous ses yeux de chef d’Etat, les deux Allemagnes, la RFA à l’ouest, et la RDA à l’est, vont s’unifier, créant la première puissance européenne. La nouvelle Allemagne lui fait craindre qu’elle pourrait tourner le dos à son partenaire privilégié depuis 1957 (signature du Traité de Rome) et investir son arrière-cour historique, la MittelEuropa, où elle va désormais disposer d’un quasi-monopole d’influence et commercial.
Le président Mitterrand propose alors au chancelier allemand, Helmut Khol, un deal. La France ne fera rien pour s’opposer au processus de réunification allemande mais voit là une occasion historique d’imposer une vieille idée, la mise en place d’une monnaie unique, créant de fait et de droit un ciment inaltérable au coeur du « couple franco-allemand », et évitant la marginalisation de la France.
En fait, l’idée n’est pas neuve.
L’ECU, un ancêtre oublié
Les institutions européennes en 1979 avaient déjà créé l’ECU (European Currency Unit, ou unité de compte européenne), censé préfigurer, si ce n’est une monnaie unique, à tout le moins une monnaie commune. De nombreux agents économiques, à juste titre, réclamaient cet outil. On parlait de marché unique, d’entreprises européennes ; il devenait insupportable de faire le change à chaque passage de frontière (ce qu’on a du mal à imaginer aujourd’hui), et pour les comptables, les investisseurs, de jongler avec une mosaïque de devises locales. Autant de freins au développement harmonieux du commerce.
Au fil des années, les agents économiques menaçaient d’adopter le Deutsche Mark, devise représentative d’une grande puissance économique et surtout extrêmement stable. A la différence des monnaies utilisées par des voisins sympathiques mais pas très rigoureux dans la gestion de leurs finances et de leurs affaires publiques, comme l’illustraient les dévaluations à répétition qui faisaient partie des folklores espagnol, italien, français…
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Pour éviter une humiliante « deutschemarkisation » de l’économie européenne (à l’image de la dollarisation des pays d’Amérique latine), l’adoption d’une devise européenne s’imposait. La chute du mur de Berlin, événement politique, allait offrir aux dirigeants européens une divine opportunité historique d’instituer une monnaie unique, acte purement économique.
A partir de là tout est allé très vite, avec la préparation du traité de Maastricht et son adoption par les Etats-membres en 1992. Vendu aux peuples comme la pierre philosophale qui ouvrirait la voie à la prospérité universelle, le chemin vers la monnaie unique (devenu euro du fait de la musique désagréable du mot ECU aux oreilles allemandes) était pourtant semé d’embûches, comme nous le verrons demain.
2 commentaires
Bonjour,
désolé mais cette histoire est fausse. L’euro n’a pas été créé comme cela. Les états unis sont à l’origine de la construction européenne, il voulait l’euro, document déclassifié de 1965 à voir sur le site de l’UPR. Rien à voir avec cette histoire d’Allemagne. Les Américains sont derrière tout cela, ce n’est pas les problèmes économique européen qui ont obligé l’adoption de cette monnaie.
Et ce n’est pas une monnaie unique, voir par exemple dans la conférence de Vincent Brousseau (15ans à la BCE)
https://www.upr.fr/conferences/vincent-brousseau-leuro-avant-pendant-et-apres
doc de 1965: 42min20
décryptage de l’euro: 1h14’30
Bonjour Baptiste, merci pour vos commentaires mais je ne peux que vous inviter à être prudent dans vos formulations, un peu péremptoires à ce stade. Grâce à vous au demeurant, j’ai pu découvrir la très intéressante conférence de Vincent Brousseau, mais n’ai rien entendu de contradictoire avec mes notes parues sur le site de la Chronique Agora. Quant au débat sur le fait que l’euro est une monnaie unique ou pas, il me parait relever de celui du sexe des anges. Quoiqu’il en soit, sa fragilité reste la même. Je constate cependant que Vincent Brousseau et moi arrivons aux mêmes conclusions pour le futur de l’euro, lui avec une approche très technique, avec une analyse plus politique de mon côté. Pour ce qui concerne la genèse de la devise européenne, je me suis limité à évoquer l’ECU, sans remonter plus loin. Dans sa conférence de 2015, Vincent Brousseau signale que Robert Marjolin, qui avait fait ses études aux États-Unis (où il avait rencontré sa future épouse, une artiste américaine), est allé en 1965 à Washington, alors qu’il était commissaire européen, exposer les ambitions à long terme de la CEE en matière monétaire, avec la perspective d’une monnaie commune (l’ECU en fait, et les prémices du « serpent monétaire européen »). Cela ne veut pas forcément dire qu’il s’agissait d’une instruction du gouvernement américain. D’autant que sur le sujet de la construction européenne, les administrations américaines ont eu des approches variées, depuis l’espérance d’une intégration forte (« L’Europe, quel numéro de téléphone ? », selon Henry Kissinger), étape intermédiaire peut-être avant l’instauration du chimérique et hypothétique « gouvernement mondial » cher à DSK, jusqu’à la méfiance à l’égard du risque d’émergence d’une puissante potentiellement concurrente.