La réponse des hommes politiques à la révolution numérique sera-t-elle adéquate ? Cette économie s’accommode mal de centralisation, de « grands plans » et de « pactes ». Elle préfère la concurrence loyale et la liberté d’action pour grandir.
Un Français qui se serait endormi à la fin des Trente Glorieuses et qui se réveillerait en 2016 pour s’intéresser au paysage politique ne serait pas complètement perdu. Une grande partie de nos dirigeants ont en effet débuté leur carrière au milieu des années 1970. Ce même Français serait en revanche absolument perdu en matière de technologie, tant la révolution numérique, qui n’en est qu’à ses balbutiements, a changé le monde dans lequel on vit.
Mais la génération formica qui nous gouverne ne semble pas avoir conscience de l’ampleur des bouleversements à venir. Elle se complaît au contraire dans des grilles de lecture caduques, et l’on se demande ce qu’il faudrait qu’il arrive pour qu’elle prenne conscience du poids qu’aura la technologie sur l’avenir de la France.
Des indépendants répondant à une économie de la demande et les laissés pour compte
Faire prendre conscience des bouleversements et de la transformation numérique au monde politique, c’est justement la vocation de l’association d’entrepreneurs et d’investisseurs français France Digitale. Pour ses dirigeants, les développements technologiques en cours ne ralentissent pas mais accélèrent, et avec eux les vagues de transformations qu’ils déclenchent. Si notre société ne s’adapte pas à temps, la robotisation et l’intelligence artificielle (IA) auront pour conséquence de scinder le secteur privé en deux. D’un côté, on trouvera des indépendants participant à une économie à la demande et, de l’autre, des millions de personnes qui resteront sur le carreau.
Par ailleurs, la France pourrait assez rapidement passer du peloton de tête des économies mondiales au groupe des pays du tiers monde. Oussama Ammar, co-fondateur et associé de The Family, une société privée d’accompagnement et d’investissement dans les startups, parle de « dette infrastructurelle ». Cette notion recouvre une carence en entreprises innovantes qui peut être le résultat d’un simple saut technologique raté.
La meilleure ou la pire des choses dans l’histoire de l’humanité ?
Dans le même temps, les derniers développements en matière d’intelligence artificielle ouvrent la voie à la mise en place d’une société digne des meilleurs scénarios de Stanley Kubrick et de James Cameron. Début novembre, on apprenait que des chercheurs de l’Université d’Oxford financés par DeepMind (le département de recherche sur l’IA de Google) ont mis au point un logiciel nommé LipNet. Ce programme informatique parvient à lire sur les lèvres avec une précision de plus de 93%, là où les meilleurs professionnels humains plafonnent à 79%.
Fin octobre, des IA de Google Brain parvenaient à crypter des messages sans y avoir préalablement été formées. Le site techcrunch.com apportait le commentaire suivant : « Cela signifie que les robots seront capables de se parler entre eux en utilisant des méthodes que nous ou d’autres robots ne pourrons pas cracker ». Comme l’a déclaré Stephen Hawking, l’intelligence artificielle sera « soit la meilleure soit la pire des choses jamais arrivées à l’humanité ».
Tuer la mort !
Enfin, 600 ans après le début de la Révolution scientifique en Europe occidentale, les projets à moyen-long terme ne consistent plus seulement à soigner l’homme et à guérir les maladies, mais à le rendre immortel. En septembre 2016, Mark Zuckerberg a annoncé qu’il souhaite prendre part au combat en vue de l’éradication de toutes les maladies, avec pour date butoir l’année 2100. Mais cela fait plusieurs années que Google travaille via Calico sur un projet visant à « tuer la mort ».
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« Quand on veut tuer les maladies et la mort, on fait autant de la politique que du business ! », commente le journaliste Laurent Alexandre. Remarque d’autant plus pertinente que Wikileaks nous apprenait en octobre 2016 que le patron de Facebook s’était tourné vers le camp Clinton pour développer ses compétences politiques…
Qu’attendre de l’Etat vis-à-vis de la révolution numérique ?
Gouverner, c’est prévoir.
Pour que les individus soient en mesure de faire face au marché du travail de demain, les politiques d’éducation doivent changer afin que les nouveaux diplômés disposent de compétences à même de satisfaire la demande. La libre concurrence de l’enseignement est la solution la plus à même de minimiser le décalage entre l’offre et la demande. Libre à chaque université de définir son programme, libre à chaque étudiant de choisir celui qui lui semble le plus pertinent. Comme l’explique Oussama Ammar, co-fondateur de l’incubateur d’entreprise TheFamily, « ça éviterait que l’Etat décide que les étudiants vont apprendre à développer du Flash et qu’un Steve Jobs qui décide de ne pas mettre de Flash dans son Ipad rende caduque une génération complète de développeurs ».
Sur le plan de la politique économique, le rôle du politique n’est pas d’enfiler le costume de l’entrepreneur pour développer un « OS souverain » ou une autre lubie de technocrate. Pas plus qu’il n’est de décider des secteurs d’activité qui doivent vivre et de ceux qui doivent mourir. Tous devraient être traités de la même manière. Le choix de la protection d’industries déclinantes, qui n’est motivé que par des raisons électoralistes, se fait nécessairement au détriment des autres industries.
Outre la production de talents, une réglementation et une fiscalité stables et légères constituent les meilleurs moyens pour conserver et attirer le capital, qui est la chose la plus mobile du monde. Au contraire, la France semble suivre la meilleure politique pour se laisser dépasser doucement (pour le moment) par le reste du monde, en particulier par l’Amérique et par l’Asie qui sont en train de prendre une avance considérable.
Les conséquences du développement de l’IA doivent être anticipées. Elon Musk déclarait début novembre : « Les robots prendront vos emplois, les gouvernements devront vous payer ». En France, au milieu du XIXe siècle, un actif sur deux travaillait dans le secteur agricole, contre un sur trente aujourd’hui. Cette transition s’est opérée avec un niveau de chômage qui est resté contenu.
Est-ce que cette fois, c’est différent ? De nombreux commentateurs estiment que la révolution en cours n’aura pas grand-chose de schumpétérienne, au sens où la disparition d’emplois qui aura lieu dans nombre de secteurs d’activité ne donnera pas lieu à la création conjointe de nouvelles activités économiques. Cela tient notamment au fait que là où les révolutions technologiques précédentes se sont produites lentement, celle qui est en cours se produit beaucoup plus vite.
On pourrait bien ne pas être près d’inverser la courbe du chômage, et c’est toute la question du revenu universel – à laquelle je me garderai bien d’apporter une réponse – qui se pose.
L’importance des données personnelles
Dans le domaine anthropologique (avec le développement des NBIC, ces technologies qui permettront peut-être un jour de « tuer la mort »), certains estiment que la puissance des GAFA (Google, Apple, Facebook Amazon) dans le domaine des données personnelles rend nécessaire un débat de société.
Laurent Alexandre souhaite par exemple la mise en place de contrepouvoirs démocratiques face aux GAFA. Il est évidemment plus facile en politique de s’écharper au sujet de nos origines gauloises que de débattre des limites au rôle que pourraient jouer au sein de nos sociétés des entreprises comme Google. Le moteur de recherche accumule désormais un pouvoir tel qu’il en est réduit à prendre ses distances vis-à-vis de certains secteurs d’activité pour soigner son image de marque et rassurer les craintifs. Boston Dynamics, la société de la robotique à usage militaire que Google a racheté en 2013, est officiellement à vendre depuis mars 2016.
Alain Juppé, que les sondages – qui ne se trompent jamais – nous présentent comme notre futur président, nous a concocté un programme « Numérique » tout à base de « Plans », de « Pacte » et d’autres mesures dirigistes à la Montebourg, du genre « Encourager l’orientation vers les entreprises innovantes d’une partie de l’épargne collectée dans l’assurance-vie ». La partie en lien avec l’éducation vaut le détour en cela qu’elle prévoit notamment de « Développer la capacité ‘d’apprendre à apprendre’, le sens de l’initiative, la culture du pitch ».
Sans être « décliniste », ce genre de gadgets risque malheureusement de se révéler insuffisants.