▪ Tous les matins, en se penchant un peu à son balcon qui surplombe Gojô, la Cinquième avenue, votre correspondante fait l’inventaire des momiji sur les collines environnantes.
Momiji, c’est le petit nom de l’érable japonais… mais aussi de la couleur rouge qu’il prend à l’automne. On entend beaucoup parler de la saison des fleurs de cerisier — eh bien, l’automne et la "chasse aux feuilles rouges", momiji-gari, sont presque aussi importants. Des foules de visiteurs se pressent dans les parcs et jardins de Kyôto pour admirer le vermillon des érables qui résonne contre l’or des gingkos.
Il me vient à l’esprit qu’une autre sorte de rouge s’étend de jour en jour en ce moment : celui qui teinte de plus en plus intensément les finances américaines. Ben Bernanke a annoncé son assouplissement quantitatif, cette semaine. Il était couru d’avance, bien entendu… et les 600 milliards réinjectés dans l’économie d’ici le mois de juin prochain ont réjoui les marchés.
▪ A la Chronique Agora, on s’en réjouit également — mais pour des raisons différentes. Nous pressentons que les mois qui viennent seront intéressants. Très intéressants. Voire franchement distrayants. Parce que, bien entendu, l’assouplissement quantitatif ne marche pas.
Revenons au Japon, si vous voulez bien — où, sous les frondaisons rougeoyantes marche un peuple sinon ruiné, du moins paralysé par une décennie de stagnation économique totale. Et ça malgré un recours assez massif à la même arme monétaire que celle dégainée cette semaine par Ben Bernanke.
Marc Mayor, rédacteur en chef de La Lettre de Marc Mayor, nous en disait plus hier :
"Le Japon a eu recours aux mesures de politique monétaire dites ‘non conventionnelles’ dès mars 2001. Tokyo a alors sorti l’artillerie lourde pour booster son économie engluée dans la déflation et une croissance digne d’un escargot asthmatique. La Banque du Japon, la BoJ, s’est mise à acheter des obligations du gouvernement japonais".
"Pour une fois, je ne jouerai pas au cynique, ou si peu", continue Marc. "Oui, le succès a été au rendez-vous, je le reconnais. Oui, les Bourses ont rebondi à l’annonce officielle de l’assouplissement quantitatif. Oui, le Nikkei a bondi de moins de 12 000 points à près de 14 500 points en six semaines. Oui encore, il a touché un sommet après ces six semaines d’espoir".
Mais malheureusement… ça n’a pas duré.
"Ensuite, les choses se sont gâtées. Ce soudain optimisme a disparu aussi vite qu’il avait surgi de la planche à billets. La bourse japonaise a perdu 45% au cours des quatre mois suivants. Le Nikkei s’est fortement ancré dans une tendance baissière, conclue par un plus bas touché en avril 2003 — 45% en-dessous du pic issu des six semaines de grâce. Et le Japon a glissé dans une décennie perdue pour les investisseurs".
Une décennie perdue… au moins. Car aux dernières nouvelles, le Pays du Soleil Levant n’est pas exactement sorti d’affaires. Le Nikkei est encore près de 25% au-dessous de ses sommets de 2001. Et si l’on applique la même recette aux actions américaines (et européennes, d’ailleurs)… il va falloir prendre votre mal en patience.
Comme le rappelait Bill, "pour aller du plancher au sommet, il faut en général entre 16 et 20 années. Si l’on prend janvier 2000 comme était le sommet… lorsque le Nasdaq a atteint son sommet… nous avons encore six années environ à patienter. Mais si le sommet était le plus haut atteint par le Dow en 2008… oh là là, nous pourrions attendre 2028 avant d’atteindre finalement le plancher".
Ah, cher lecteur, pensez à tous les érables rouges qu’on pourra admirer d’ici là !
Meilleures salutations,
Françoise Garteiser
La Chronique Agora
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