L’élection de Donald Trump fragilise la normalisation des relations amorcée par l’administration sortante avec les pays qui faisaient alors l’objet de restrictions commerciales. Trump a en effet menacé de revenir sur l’assouplissement des sanctions contre l’Iran. Quant à Cuba, la mort de Fidel Castro a été l’occasion de rappeler que le nouveau gouvernement reviendrait sur les accords signés par Obama en l’absence de réformes politiques et économiques.
L’Europe est de son côté embourbée dans ses propres tensions géopolitiques. L’annexion de la Crimée par la Russie a déclenché une série de sanctions commerciales destinées à mettre la pression sur le régime de Vladimir Poutine. A défaut de verser dans le militarisme, les restrictions commerciales sont devenues un instrument privilégié par les Etats soucieux d’affirmer leur puissance sur la scène internationale.
Les gouvernementaux occidentaux prétendent régulièrement utiliser les sanctions commerciales pour affaiblir des régimes autoritaires qui fragiliseraient la sécurité internationale et les droits fondamentaux des êtres humains.
Bien sûr, la sincérité de cet argument reste à démontrer. Et pour cause, ces mêmes gouvernements ne rechignent jamais à collaborer avec des régimes autoritaires lorsqu’ils y trouvent un intérêt. Mais soyons indulgent et concédons un instant que les motifs au nom desquels les embargos sont décrétés sont sincèrement philanthropiques. Ceux qui promeuvent de bonne foi ces pratiques devraient néanmoins revoir leur jugement dans la mesure où les embargos sont relativement inefficaces et en plus injustes.
Une pratique autoritaire qui ne correspond à aucun principe de justice
L’embargo est une pratique qui porte atteinte aux droits fondamentaux des individus parmi lesquels la liberté d’échanger. Prétendre lutter contre des régimes liberticides en adoptant des pratiques autoritaires relève de la contradiction. Bien sûr, les partisans de ces sanctions nous assurent qu’elles sont principalement destinées à déstabiliser le personnel politique des régimes oppressifs. Mais sur le plan juridique, elles visent avant tout des citoyens. En France, le fait de contrevenir à des embargos vous expose à de lourdes amendes et peines de prison, notamment prévues par le code douanier.
Les embargos répriment donc des innocents dont le seul crime est d’échanger avec ceux qui ont l’infortune d’être assujettis à des gens considérés – à tort ou à raison – comme des voyous.
Il s’agit là d’une sanction qui ne correspond à aucun principe de justice et de proportionnalité, tant à l’égard des populations dominées par des tyrans qu’à l’égard de celles qui cherchent à échanger avec elles. Les populations civiles ne sont pas responsables des crimes commis par les délinquants qui ont su accaparer le pouvoir dans leur pays. Il n’y a donc aucune raison de les punir.
Les restrictions commerciales n’empêchent pas les dictateurs de s’enrichir
Les restrictions commerciales prétendent fragiliser les tyrans sur le plan économique. Mais les despotes ne sont pas ceux qui dépendent le plus de la liberté des échanges pour satisfaire leurs désirs. Bon nombre d’oligarques et de dictateurs à travers le monde sont presque toujours dans la capacité de vivre par l’exploitation des populations civiles. L’absence de commerce international à Cuba – principalement due à l’hostilité du régime castriste vis-à-vis de la libre-entreprise – n’a pas empêché Fidel Castro d’accumuler une fortune que le magazine Forbes a estimé à environ 900 millions de dollars.
La fermeture de la Corée du Nord aux échanges internationaux n’a pas non plus anéanti le train de vie de Kim-Jong Un qui disposerait de plusieurs centaines de millions de dollars dans des banques chinoises. Même constat pour les dirigeants iraniens comme l’Ayatollah Khamenei.
Anéantir le libre-échange affecte donc principalement les populations civiles les moins bien loties. Les embargos réduisent les chances – déjà bien maigres – des individus exploités d’élever leur niveau de vie en échangeant avec l’extérieur, quitte à recourir aux voies informelles de l’économie souterraine et de la contrebande pour échapper aux radars de leurs oppresseurs.
[NDLR : Lorsque vous n’avez pas d’autre choix que de soudoyer un officier à l’étranger… comment le faire sans se faire arrêter ?
Lorsque l’on m’a menacé lors d’un voyage, j’ai tourné les choses très simplement, en une question :
« Je sais que je dois payer une amende, comment dois-je procéder ? Je peux vous payer directement ? ».
Il a touché ses 50 dollars et j’ai pu rentrer chez moi.
Cette astuce – et de nombreuses autres tout aussi utiles – figurent dans cet ouvrage écrit par un ancien agent secret. Pour vous le procurer, il vous suffit de cliquer ici.]
La détresse économique et sociale renforce les tyrans
Si les partisans des embargos ne nient pas nécessairement le fait qu’ils affectent avant tout les populations civiles, ils arguent néanmoins que cibler les civils permet d’exercer une certaine pression politique sur les despotes. Cet argument cynique, qui tend à instrumentaliser la détresse populaire, part de la certitude qu’un despote tire son pouvoir de sa capacité à garantir un certain niveau de richesse. Entraver le développement économique d’un pays placé sous embargo permettrait donc de diriger la colère des civils pour mettre les despotes dans des situations délicates. Ces derniers seraient tôt ou tard obligés de satisfaire les revendications des pays qui mettent en place ces embargos pour éviter de faire face au mécontentement des civils appauvris.
Il y a cependant quelques raisons d’être sceptique.
Il n’est pas certain du tout que le développement économique des populations civiles concorde toujours avec les intérêts des despotes. Le maintien de la pauvreté, au contraire, est un puissant outil de domination politique. Pour un despote, une population qui acquiert un certain niveau de vie peut constituer un danger dans la mesure où la richesse confère aux civils une plus grande capacité à s’adonner à diverses formes de contestations politiques. Il est au contraire plus difficile de se révolter le ventre vide. Ceci peut par exemple expliquer pourquoi de nombreux dictateurs dans des endroits pauvres, comme l’Afrique, arrivent si longtemps à tenir leur pays d’une main de fer sans voir leur pouvoir quotidiennement remis en question.
Dans la même perspective, trois économistes issus de l’école d’économie de Toulouse et du MIT (Gilles Saint-Paul, Davide Ticchi, et Andrea Vindigni) ont récemment publié un papier dans lequel ils expliquent que certains gouvernements ont intérêt à fragiliser la condition de leurs sujets pour ensuite cultiver un sentiment de dépendance économique via divers mécanismes de transferts budgétaires (redistribution, services publics, protection sociale).
La pauvreté constitue un puissant alibi politique car elle entretient l’illusion que les programmes et les services gouvernementaux, réputés être au service des plus modestes, sont indispensables. La richesse affaiblit quant à elle l’opportunité d’entretenir le discours misérabiliste qui justifie régulièrement l’action gouvernementale en matière économique. Les partisans des embargos oublient donc que la pauvreté et la détresse sociale entretiennent souvent la légitimité politique des personnes que l’on cherche à déstabiliser.
Les embargos nourrissent les idéologies autoritaires et affaiblissent la sécurité internationale
Les embargos nourrissent les sentiments nationalistes sur lesquels les régimes autoritaires s’appuient pour fonctionner. Les restrictions commerciales suscitent bien souvent chez les civils une certaine hostilité que le personnel politique des pays visés arrive généralement à diriger sans trop de difficultés contre les gouvernements qui émettent ces restrictions.
Castro s’est longtemps servi de l’embargo américain pour cultiver chez sa population une haine anti-occidentale. L’embargo a fourni un puissant alibi utilisé pour faire diversion afin de masquer aux Cubains les véritables raisons de leur misère, tout en permettant à Castro de se poser en défenseur des intérêts locaux.
On observe une réaction similaire en Russie. Les sanctions commerciales européennes, loin d’affaiblir Vladimir Poutine, renforcent le nationalisme russe et encouragent le gouvernement à verser dans une surenchère toujours plus autoritaire pour flatter la fierté de ses sujets. Cela permet là encore de détourner l’attention des civils des problèmes locaux.
Il n’est pas certain que tous ces régimes politiques arriveraient à entretenir ces instincts tribaux primitifs si les adversaires désignés optaient pour une plus grande ouverture commerciale. Les interdépendances économiques, sociales et culturelles qu’une telle ouverture impliquerait réduiraient la crédibilité des discours revanchards qui constituent le fonds de commerce des régimes nationalistes et autoritaires. Le conditionnement idéologique serait affaibli.
Le libre-commerce des biens, des services et des idées est donc l’arme la plus puissante contre les régimes autoritaires. C’est exactement pour cela que les dictatures ont toujours été les régimes les plus fermés. Plutôt que l’autarcie, il faut donc opposer l’ouverture aux tyrannies.
Enfin les embargos, tout comme les mesures protectionnistes, sèment la discorde là où le commerce augmente le coût des attitudes belliqueuses et réduit les incitations guerrières. Les embargos fragilisent donc la sécurité internationale là où le commerce est source de paix.
Les embargos sont inutiles et, pire, nuisibles
Les embargos s’avèrent en général inefficaces. Certes, on a pu assister à des changements de posture de la part de pays placés sous embargo. C’est notamment le cas de l’Iran, de l’Afrique du Sud ou encore de la Birmanie. Mais ces changements ne sont-ils pas imputables à d’autres facteurs ? L’évolution de ces régimes politiques n’aurait-elle pas été plus rapide en l’absence de sanctions commerciales ? Autant de questions au regard desquelles il n’existe aucune certitude.
Même si l’on admet une certaine causalité entre les restrictions commerciales et l’évolution de certains régimes autoritaires, peut-on affirmer que les résultats obtenus valaient les coûts induits par ces mesures répressives ? Il n’y a là encore aucun moyen de le vérifier.
Conduire une politique répressive en l’absence de certitude sur son utilité est donc inopportun sauf si l’on est un fervent partisan de l’arbitraire comme mode de gouvernance.
En ce qui nous concerne, nous préférons le principe de primauté du droit en affirmant que les sanctions commerciales sont des instruments de politique étrangère qui devraient être abandonnés par les pays civilisés.
1 commentaire
En ce qui nous concerne, nous préférons le principe de primauté du droit en affirmant que les sanctions commerciales sont des instruments de politique étrangère qui devraient être abandonnés par les pays civilisés.
—> Puis la conccurrence par la baisse des salaires ne devrait-elle pas être aussi abandonnée ? Tant par les pays civilisés ou pas ?