▪ W.P., fidèle lecteur, nous a écrit un long e-mail très intéressant — dont je vous livre quelques extraits ci-dessous. En effet, il pose une question qui intrigue de nombreux épargnants et investisseurs depuis que les banques centrales ont mis en place leurs mesures de relance.
"Comme la plupart des Européens, je lis les journaux, j’écoute le journal télévisé, je m’informe sur les réseaux sociaux et je m’inquiète sur le devenir de notre Europe, voire du monde, tel qu’il a été manipulé par des ‘sachants’ des secteurs bancaires et financiers depuis des décennies", commente W.P.
"[…] En ma qualité de non-sachant, j’ai l’impression d’assister à un jeu de domino japonais dans lequel les pays de la Zone euro les moins riches entraînent inexorablement les autres vers une chute fatale. […] Cette chute progressive fait peur aux Etats du monde les plus riches, Etats-Unis et Chine notamment".
"Elle fait surtout peur aux citoyens européens que nous sommes, car comment l’argent prêté à ces pays sera-t-il remboursé ? Par le retour à la croissance ? Par la rigueur ? C’est ce que prétendent nos politiques : par la hausse des impôts sur les ménages et la baisse des dépenses publiques qui devrait permettre de supprimer les déficits, puis de dégager des excédents budgétaires pour enfin rembourser la dette".
Mais… se demande ensuite W.P., "qui a procuré des richesses aux banques et aux institutions financières ? Le peuple, par son travail et son épargne… Toutefois, l’aveuglement des politiques, nous force à constater que la crise a atteint un sommet. L’obsession est toujours la même : éviter que les détenteurs de capitaux ne subissent les conséquences des pertes accumulées par les banques ou les Etats auxquels ils ont prêté. Le prix à payer est la baisse des salaires, la hausse des impôts (directs ou indirects), la montée du chômage… Bref un désastre".
En s’appuyant sur l’exemple espagnol, W.P. a une suggestion à faire. Au lieu de continuer à déverser des tombereaux d’argent nouvellement créé dans les coffres des banques… pourquoi ne pas suivre un schéma différent ?
"Comment sauver les banques et redonner du pouvoir d’achat au peuple ?", reprend-il. "La simulation ci-après est basée sur le prêt consenti à l’Espagne, son taux d’intérêt sur une période de 10 ans. L’estimation de la population est fictive, sans aucune réelle base de données, seulement une projection pour comprendre l’idée de ce mécanisme de relance de l’économie et de sauvetage des banques. Les chiffres et les montants énoncés ne sont que des approximations et ne doivent en aucun cas être une source de contestation. Le seul intérêt résidant dans la perspective d’une réflexion".
"PRINCIPE :
Etat dont la population est d’environ 40 millions d’habitants.
Personnes en situation de pauvreté (chômeurs, familles surendettées, jeunes en situation précaire, personnes âgées avec peu de ressources, etc.), estimation un million de foyers.
L’Etat, par l’intermédiaire de sa banque centrale, prête à ces familles la somme de 100 000 euros à taux 0%, soit un montant de 100 milliards d’euros".
"Cette somme nominative est déposée sur un compte bancaire au libre choix du bénéficiaire.
Cette somme est bloquée pour une période de 10 ans et ne peut en aucun cas faire l’objet de retrait de la part du bénéficiaire".
"La banque dépositaire versera un intérêt de 4% l’an, à verser mensuellement au titulaire du compte, soit un versement mensuel d’environ 340 euros, exonéré de fiscalité. Cette somme pourrait paraître dérisoire pour certains, mais parlez-en aux Espagnols, aux Grecs, au Portugais et aux Irlandais… et plus près de chez nous aux Français dans le besoin".
"AVANTAGES :
Sur une base évoquée ci-dessus, les banques seront recapitalisées à hauteur de 100 milliards d’euros, soit pour mémoire, le montant de l’aide financière accordé à l’Espagne sans se soucier du sort des Espagnols et des autres Européens avant eux".
"Les familles disposeront d’une somme supplémentaire de 340 euros pour consommer, rembourser leurs crédits et notamment ceux relatifs aux emprunts immobiliers. On notera pour les banques le double intérêt du système".
"Le montant des sommes réinjecté dans l’économie nationale peut être estimé à 340 millions d’euros par an et sur une période de 10 ans de 3,4 milliards d’euros.
"Les pouvoirs publics pourraient diminuer une partie importante des aides allouées aux diverses familles nécessiteuses et donc diminuer une partie des dépenses publiques. Les banques pourront recouvrer le montant mensuel des crédits immobiliers ou autres en prélevant à la source les mensualités ad hoc, ce qui donnera une bouffée d’oxygène aux familles endettées et surtout une dignité".
"La banque centrale aura la sûreté de récupérer sa créance par le biais des banques, même si aucun intérêt n’aura été produit, mais eu égard aux sommes d’argents introduites dans l’économie nationale, il s’agit d’une véritable aide efficace et constructive".
"INCONVENIENTS :
Le plus au niveau des entreprises, de la reprise de l’activité économique n’est pas garanti. Il s’agit d’un effet ponctuel, même sur une période de 10 ans. On peut craindre un effet pervers à son terme lorsque les foyers bénéficiaires se verront privés de cette aide financière. Toutefois, l’aide directe aux banques déplait à tous les citoyens et cette idée pourrait paraître politiquement correcte et être vue comme une forme d’assistanat aux plus défavorisés, tout en aidant les banques et l’Etat".
▪ Vu comme ça, effectivement, la solution proposée par W.P. semble claire, efficace et d’une netteté tout à fait gratifiante. Peut-être même qu’elle fonctionnerait.
Mais pour ça, il faudrait mettre de côté trois facteurs importants.
Le premier, c’est la liaison incestueuse entre banques centrales, système bancaire et Etats. Le capitalisme de copinage bat son plein entre ces trois compères… et maintenant qu’ils ont trouvé la combine pour augmenter les bonus, faire grimper les actions et renflouer les caisses à moindre prix — il faudrait un miracle (ou un cataclysme) pour qu’ils lâchent le somptueux butin qu’ils se partagent depuis des années maintenant.
Le deuxième concerne l’économie elle-même. Ce dont elle a besoin, ce n’est pas de plus d’argent. La solution proposée par W.P. consisterait à appliquer les mêmes vieilles recettes — de manière peut-être un peu plus profitables pour les gens comme vous et moi… mais sans rien changer aux circonstances fondamentales.
Lesquelles sont : une croissance à bout de souffle, une économie qui a besoin de se recentrer, des dettes qui doivent être épongées ou éliminées, des réformes structurelles absolument nécessaires. Tant que tout ça n’a pas été accompli, toute mesure prise revient à balayer la poussière sous le tapis. Certes on ne le voit pas… mais elle est toujours là, et l’odeur de moisi se fait de plus en plus forte.
Enfin, il y a un troisième facteur — et c’est le plus important. Simone Wapler, de La Stratégie de Simone Wapler nous en parlait jeudi, dans la "métaphore du supermarché" :
"Les opérations des banquiers centraux ont consisté jusqu’à présent à distribuer des bons d’achat, mais pas aux clients-approvisionneurs de notre supermarché. Ces bons ont été donnés aux chefs de rayon (les gouvernements) et aux caissiers (le système bancaire). Ces opérations se soldent par un échec, sauf pour les intéressés évidemment".
"Les gouvernements ont ainsi trouvé à financer leurs promesses électorales stupides et à payer encore plus de postes de chefs de rayon. Les investissements ralentissent car on ne peut à la fois financer l’augmentation des frais de fonctionnement du supermarché et le développement de nouveaux produits".
"Les banques font croire qu’elles sont assainies. Elles ne le sont évidemment pas puisque nous avons des taux négatifs. Ceci signifie que les gens qui ont de grosses sommes d’argent préfèrent payer pour avoir une créance signée d’un Etat ou d’une multinationale, plutôt que de laisser leur argent dans une banque (car un compte au solde créditeur est en réalité une créance que vous détenez sur votre banque)".
Bien sûr, gouvernements et banquiers centraux ne vont pas crier sur les toits qu’ils se sont enrichis sur votre dos avec leurs opérations de création monétaire. Pas vu, pas pris. Ils vont continuer à profiter de l’ignorance. Si nécessaire, ils seront prêts à distribuer des bons d’achat à la foule. L’helicopter money de Ben Bernanke décollera bientôt".
Simone termine d’ailleurs sur une conclusion implacable :
"Cela ne marchera pas mieux puisque la création de monnaie n’a rien à voir avec la création de richesse. Mais cela prolongera l’illusion. Les prévaricateurs continueront à s’enrichir car — comme Richard Cantillon l’a démontré il y a trois siècles — ceux qui sont au plus près de la source de création monétaire en profitent toujours. Les malheurs sont pour ceux qui en sont éloignés. Les faux-monnayeurs officiels ont encore de beaux jours devant eux puisque le peuple n’a pas de mémoire. Donnez-lui des bons d’achat et il se croit plus riche. Ca ne coûte rien, c’est l’Etat qui paie, pour paraphraser notre président".
Meilleures salutations,
Françoise Garteiser
La Chronique Agora