Je mentionnais hier que je connaissais Benazir Bhutto dans les années 70 à Harvard. C’était une personne vive et très intelligente. Ses amis l’appelaient "Bennie". Au lieu de la confier à un lycée traditionnel, ses parents l’avaient envoyée dans une école privée — un couvent au Pakistan. Bennie était donc assez innocente et peu au fait des us et coutumes du monde, en particulier du monde occidental tel qu’il était à Boston en pleine ère disco. Et pourtant, Bennie avançait sans peur (et parfois seule), les yeux grand ouverts, absorbant tout ce que les Etats-Unis avaient à lui offrir. Très tôt, Benazir Bhutto commença à écrire pour le journal de l’école, le Harvard Crimson, parlant de tout, depuis les événements sportifs des étudiants de première année jusqu’aux visites sur le campus d’hôtes distingués comme Henry Kissinger ou son propre père, l’ancien Premier ministre du Pakistan Ali Bhutto (ce dernier avait aidé à organiser le voyage de Kissinger à Pékin, voyage qui avait permis de poser les bases de la visite de Nixon en Chine). Lorsque Bennie prenait la parole dans les dîners, on savait qu’on aurait une discussion longue et intéressante, pleine de ce que mon ancien colocataire appelait des "Bennie-visions". Oui, elle avait des opinions tranchées.
Au cours des ans, alors que je suivais sa carrière, je me suis toujours demandé comment Bennie Bhutto faisait pour trouver un équilibre entre sa modernité personnelle et l’islam traditionnel d’un pays comme le Pakistan. En 1979, son père a été inculpé, puis a subi un procès fantoche avant d’être exécuté. Bennie et sa mère traversèrent alors des temps difficiles, assignées à résidence. Je pense toutefois que Benazir Bhutto se pensait insensible aux balles parce qu’elle s’était tirée des difficultés de la politique pakistanaise pour devenir la première femme premier ministre d’un pays islamique. Cela ne devait pas durer, parce qu’on trouvait trop de gens se nourrissant aux râteliers des sinécures et de la corruption. Benazir était une menace pour tout cela, notamment pour le pouvoir des services d’espionnage et de la police secrète du Pakistan. Dans sa course au changement, Benazir Bhutto s’est également trouvée mêlée à sa propre forme de corruption familiale. C’était dommage, car par certains aspects, Bennie était devenue une caricature de la mauvaise utilisation du pouvoir, un peu comme Imelda Marcos et ses placards pleins de chaussures.
Bennie a vécu de nombreuses années à Dubai, Londres et New York. Elle avait "assez d’argent", si vous voyez ce que je veux dire. Elle n’avait pas besoin de revenir au Pakistan. Mais en octobre 2007, elle est arrivée à Karachi, où elle a été accueillie par des foules en délire — dont un homme qui essaya de lui passer un bébé, apparemment pour qu’elle l’embrasse. Sauf que le bébé était relié à une bombe qui a explosé en tuant 140 personnes. Cela planta le décor de ce que furent les mois suivants pour Bennie.
Tout s’est terminé pour Benazir Bhutto il y a quelques jours à Rawalpindi, avec deux balles et une bombe, si l’on en croit la presse. Benazir, RIP. Elle ne méritait pas une telle fin. Personne ne la mérite.
La mort de Benazir Bhutto est tout de même une parfaite illustration de la raison pour laquelle l’Occident doit se concentrer sur la construction de ses propres systèmes énergétiques et de son économie au sens large. Thoreau a écrit : "débitez votre propre bois, il vous réchauffera deux fois". Nous devrions donc nous préparer et faire ce qu’il y a à faire pour survivre dans ce monde. Extraire de l’argent-métal, extraire la chaleur de la Terre — et nous méfier de tous ceux qui sont prêts à relier des nourrissons à des bombes.
Meilleures salutations,
Byron King
Pour la Chronique Agora
(*) Byron King est diplômé de la faculté de Droit de Harvard et exerce actuellement en tant qu’avocat à Pittsburgh, en Pennsylvanie.