Quelle est la valeur de la monnaie ? La spéculation actuelle sur les monnaies virtuelles pose la question des qualités que doit présenter une « monnaie de garde ».
Nous avons identifié cinq catégories de cybermonnaies, puis réparti les cybermonnaies existantes entre ces catégories et esquissé un pronostic sur l’évolution de chacune. Puis nous avons tiré quelques leçons des « forks » successifs de Bitcoin. Pouvons-nous prévoir les conséquences dans le domaine monétaire ?
Les cybermonnaies sont solidement installées dans le paysage, et en grand nombre. Beaucoup échoueront ou resteront marginales. Quelques-unes seront très progressivement acceptées en tant que moyens de paiement, ce qui est leur véritable vocation. Certains systèmes ne seront que le banc d’essai d’une idée nouvelle que les systèmes dominants reprendront si elle se révèle utile et fiable. Mais d’autres cryptomonnaies naîtront continuellement, tant il est facile et tentant de lancer un nouveau système, y compris en réutilisant tout ou en partie des systèmes existants.
Si les cybermonnaies se présentent bien comme concurrentes des monnaies étatiques, et si la plupart affichent des ambitions mondiales, il est illusoire de penser qu’un seul système de paiement, et donc une seule monnaie, puisse assurer un jour la totalité des transactions dans le monde. Même Bitcoin ne traite encore qu’une part infime du volume total des transactions de paiement et il bute déjà sur des limites techniques assez sévères pour que leur franchissement soulève des controverses qui mènent à la scission du réseau et à l’émergence de monnaies concurrentes.
Dans leur immense majorité, les systèmes de paiement resteront dans une petite niche. Les autres buteront tôt ou tard sur leurs limites techniques bien avant d’avoir pris une place majeure dans l’univers des systèmes de paiement. Comme pour Bitcoin, les désaccords sur les solutions à apporter entraîneront des scissions et donc l’apparition de nouvelles monnaies, et les utilisateurs se reporteront sur d’autres monnaies jusque-là secondaires. L’avenir est donc bien à la coexistence durable de systèmes de paiement répondant à des cas d’usage différents et à des goûts différents des utilisateurs en termes de facilité, de sécurité, etc.
Un évènement inattendu est récemment venu conforter ce pronostic. La première application Ethereum à atteindre un volume d’utilisation important est un jeu enfantin analogue à Pokemon (Cryptokitties c’est-à-dire « Cryptochatons »), qui a brusquement généré des dizaines de milliers de transactions par jour et pose des problèmes de performance à la plateforme Ethereum elle-même, et donc indirectement aux autres applications réputées plus « sérieuses ».
Quand des Cryptochatons perturbent les monnaies virtuelles
En dehors des systèmes de paiement, les utilisations les plus critiques ne seront pas nécessairement les plus « sérieuses », et tous les systèmes qui connaîtront le succès iront vite vers la saturation, ce qui nous éloigne encore de l’idée d’une chaîne de blocs universelle. Les technologies popularisées par Bitcoin ont vocation à être utilisées dans une multitude de systèmes distincts.
Pour que l’ensemble fonctionne, ces systèmes doivent pouvoir communiquer à travers des passerelles qui assurent notamment le change entre monnaies indépendantes. Ce service est actuellement rendu par des sites spécialisés, qui constituent le point faible du système. En concentrant un grand nombre de transactions et en hébergeant des comptes sans être répliqués à travers le réseau, ces sites sont en effet vulnérables aux pirates et aux restrictions imposées par les autorités.
Une fonction de change intégrée avec Ripple
Ripple a introduit un autre mécanisme de change pair à pair, où chaque utilisateur peut proposer un échange qui sera publié de façon analogue à une transaction bitcoin. Si cet échange est accepté par un autre utilisateur, il sera effectué directement sous forme d’une ou plusieurs transaction(s) standard, donc sans passer par un tiers. Ce système est encore limité par le nombre d’utilisateurs et de propositions, mais on peut logiquement s’attendre à ce qu’il se généralise. Il deviendra alors courant qu’une transaction débite un compte dans une monnaie et crédite l’autre dans une autre monnaie, le change étant effectué au vol de façon instantanée.
Cette fonction de change intégré dissociera complètement les deux rôles fondamentaux de la monnaie : moyen de paiement et réserve de valeur. Le payeur pourra n’obtenir la monnaie de paiement que juste avant la transaction, et de son côté le vendeur pourra la convertir immédiatement en une autre de son choix. Chacun pourra choisir une ou plusieurs « monnaies de garde », tout en utilisant les autres monnaies comme « monnaies de règlement ». Les deux choix ne sont liés que par l’obligation pour le système de règlement de donner accès à une des monnaies de garde choisies.
Il est probable que, parmi le grand nombre de systèmes de règlement, chaque utilisateur en sélectionnera quelques-uns pour son usage, selon ses interlocuteurs habituels et notamment la population de marchands qui acceptent ce moyen de paiement, mais aussi en fonction de la facilité d’apprentissage et d’utilisation, du coût et de la sécurité des transactions, ainsi que des fonctions annexes proposées. Si la monnaie du système de règlement choisi n’est pas utilisée également comme monnaie de garde, les modalités de sa création et de sa gestion sont sans importance puisqu’elle n’est détenue que pendant le temps de la transaction. Les systèmes conçus spécifiquement pour le paiement généraliste auront évidemment l’avantage, et l’effet réseau donnera toujours un avantage déterminant à ceux qui ont le plus grand nombre d’utilisateurs, aujourd’hui Bitcoin.
Au contraire, le choix d’une monnaie de garde est durable et engage l’avenir, mais est totalement subjectif puisque déterminé par un pronostic quant à sa valeur future. Les caractéristiques liées à son utilisation comme moyen de paiement, donc celles du système de paiement qui la définit, sont d’une importance très secondaire. Ce choix peut porter sur des centaines de cybermonnaies, dont celles qui ont une vocation monétaire généraliste, mais aussi celles qui sont internes à des systèmes ayant une vocation spécifique différente. Certains préféreront même la monnaie de systèmes qui ont une autre utilité que le règlement généraliste, pensant asseoir leur valeur sur une utilité « intrinsèque » autre que celle de moyen d’échange.
Les critères de choix d’une « monnaie de garde »
Pour une monnaie de garde, les critères importants sont les modalités de création et de gestion des unités de compte. Logiquement, une monnaie intrinsèquement déflationniste, dont la quantité est fixée une fois pour toutes ou augmente de façon dégressive comme Bitcoin et la plupart de ses dérivés, devrait être préférée en tant que réserve de valeur. Mais il est possible que certains continuent à faire confiance aux organisations étatiques et donc à préférer des monnaies fiat nationales ou des cybermonnaies indexées, ou à croire que la création monétaire doit suivre la création de richesses (comme le professent la plupart des économistes) et donc à privilégier des monnaies dont la masse croît d’un pourcentage fixe. En revanche, on peut penser que des monnaies dont la création et la distribution seraient entièrement discrétionnaires ne susciteraient que la méfiance.
En résumé, même si chacun n’en utilisera qu’un tout petit nombre, la diversité des cas d’usage et des opinions laissera la place à plusieurs centaines de systèmes et donc de monnaies alternatives.
Reste la question de la valorisation de ces monnaies. Il est difficile de déceler dans les valorisations actuelles autre chose que de la spéculation : ça monte parce que les gens achètent, et ils achètent parce qu’ils pensent que ça va monter – le type même de la prophétie autoréalisatrice.
Faute de savoir leur attribuer une valeur « intrinsèque », une notion dont il faut se résigner à admettre qu’elle est dénuée de sens, une théorie de la coexistence entre monnaies devrait essayer de décrire les mécanismes psychologiques qui concourent à leur valorisation en se déguisant souvent en raisonnements plus ou moins rationnels.
Les mouvements généraux de hausse ou de baisse des prix sont la résultante émergente et donc imprévisible des innombrables jugements de valeur individuels, intégrés par un système d’information dont le marché est l’exemple le plus efficace.
Chaque cybermonnaie restera volatile de par sa nature même, mais grâce à la multitude des monnaies, l’ensemble du système sera robuste : en cas de défaillance ou de simple menace sur une monnaie, il sera toujours possible de limiter les dégâts en se reportant à temps vers une autre.
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On ne peut plus raisonner sur Bitcoin seul comme s’il résumait tout l’univers des cybermonnaies. Mais il ne faut pas oublier que, à elles toutes et a fortiori pour chacune prise en particulier, les cybermonnaies ne représentent qu’une part infime des transactions monétaires et de la masse des investissements : 5% de la valeur de l’or existant et 0,5% de la valeur des actions.
Comme Bitcoin, chaque système a des limitations intrinsèques indépassables, mais toutes les améliorations réalisables seront réalisées, et celles qui conviennent à tout ou partie de la population des utilisateurs seront adoptées.
A ce stade du raisonnement, il faut faire la distinction entre ce que permettent et permettront les techniques d’une part, et d’autre part ce qu’autorisent ou autoriseront les Etats, qui ne pourront pas rester passifs et tenteront de préserver leurs privilèges par tous les moyens à leur disposition. Il se trouvera même des soi-disant économistes pour les conforter et pour tenter de convaincre le public que ces privilèges sont nécessaires et dans l’intérêt des citoyens. Mais ce qu’ils interdisent, auront-il la possibilité de l’empêcher ? Il est à peu près certain que les mesures techniques n’y suffiront pas, en dehors du sabotage pur et simple. Il y faudra des mesures légales et réglementaires assorties de lourdes peines. Mais on voit mal comment il serait possible d’empêcher ou de contrôler toutes les cybermonnaies. Là encore, le grand nombre est une garantie de robustesse du système.