La nouvelle est tombée hier après-midi : l’Irlande connaît 26% de croissance. Fichtre ! Pourtant aucun gisement d’hydrocarbure n’y a récemment été découvert. Les moutons y restent ce qu’ils sont et leur laine n’a aucune caractéristique extraordinaire. La demande mondiale de kippers, ces petits harengs fumés qui accompagnent votre petit-déjeuner, n’a pas bondi. Alors, quelle est la recette extraordinaire de l’Irlande ?
La lecture du communiqué de presse nous apprend d’abord qu’il s’agit d’un chiffre révisé communiqué par l’Office central de la statistique (CSO). Premier chiffre 7,8%, et révision 26,3%. A ce stade de ma lecture l’idée m’a effleurée que les Irlandais devraient prendre leurs fonctionnaires de la CSO, les aligner contre un mur et… les bombarder de tomates et oeufs pourris pour crime arithmétique. Car lorsque votre coefficient d’erreur est de 337%, vous pourriez au moins avoir la décence de ne pas fatiguer les yeux et les neurones des gens avec des décimales. Vous dites gentiment que la croissance est de l’ordre de 10% à 30% et vous allez boire une bière au pub.
En avançant dans la lecture (indigeste, le haggish est un plat exquis par comparaison) du communiqué de presse, il ressort que ce chiffre vertigineux est dû à une magouille fiscale. Supposons que la société Tartampion – qui produit des truffes en Périgord – installe son siège social en Irlande car la fiscalité des entreprises y est très douce. Les chênes truffiers sont des investissements de la société Tartampion. L’Irlande comptabilise alors dans son PIB les chênes truffiers mycosés de la société Tartampion.
« On inclut dans notre position de capital ou dans nos investissements internationaux le bilan entier de la société qui se relocalise en Irlande », a déclaré Michael Connolly, statisticien au CSO. « La révision très spectaculaire a accru la capacité de production de l’économie et impacte aussi la comptabilisation des exportations et des importations (…). En revanche, l’incidence sur l’emploi est limitée. »
Et voilà le travail. Plutôt relax, le métier de statisticien au CSO. On ne s’encombre pas de détails superflus.
Chez Agora, on m’accuse parfois d’avoir la phobie des fonctionnaires ce qui n’est pas tout à fait exact. Simplement, cette prétention des planificateurs à vouloir tout régir en s’appuyant sur des statistiques fumeuses est irritante. Qu’est-ce que vraiment la croissance de l’économie réelle, celle qui permet de payer des salaires ? Pourquoi le déficit (des dépenses publiques non financées) est-il compté dans le PIB ?
Il y a une grande différence entre un « fonctionnaire de proximité » chargé de faire respecter un droit essentiel et les armées de technocrates ou Janet Yellen et Mario Draghi.
En faisant récemment des recherches sur une toute petite minière canadienne, je suis tombée sur un fonctionnaire important du Nunavut Impact Review Board, l’organisme chargé d’examiner et d’évaluer les effets écologiques des projets miniers dans la région du Nunavut.
Cette personne est chargée de délivrer le futur permis d’exploitation de la minière sur laquelle j’ai jeté mon dévolu, et que j’ai sélectionnée comme recommandation pour ma lettre Crise, Or et Opportunités.
Evidemment, on peut penser que si la minière saccage toutes les petites fleurs roses et pollue l’eau du Nunavut, ce fonctionnaire du NIRB sera tenu pour responsable par ses proches. Cela fait une grande différence avec Janet Yellen ou Mario Draghi…