L’assurance-vie luxembourgeoise possède des avantages par rapport aux contrats français mais son « triangle de sécurité » ne vous apporte pas une protection totale.
Le principe de ségrégation des actifs veut que les primes versées par le souscripteur sont enregistrées au passif du bilan de la compagnie d’assurance et déposées auprès d’un dépositaire indépendant approuvé par le CAA, l’autorité luxembourgeoise.
Cette règle est censée garantir la disponibilité des fonds en cas de faillite de la compagnie d’assurance. Or, le journaliste Nicolas Ducros explique sur L’AGEFI actifs :
« Un tel raisonnement met de côté l’éventualité du défaut du dépositaire lui-même dont ni l’assureur, ni l’assuré ne sont à l’abri. […] Dans le cas où le patrimoine distinct ne serait pas suffisant pour couvrir les créances, les assurés disposent d’une créance sur les autres actifs de l’entreprise mais il s’agit alors d’un privilège – et non pas d’un superprivilège – subordonné aux dettes envers l’Etat, les organismes sociaux et les salariés. »
Pour pallier ce risque, il convient de vous renseigner sur l’identité de la banque dépositaire et de privilégier un acteur too big to fail, n’exerçant si possible que l’activité de banque de dépôt.
Le « super privilège » vous fait passer devant l’Etat et les salariés de l’établissement défaillant
Dans un précédent article, j’écrivais : « l’épargnant bénéficie de la garantie apportée par l’Etat luxembourgeois à hauteur de 100% de la valeur de rachat du contrat via un fonds de garantie qui concerne tous les capitaux déposés sur le territoire luxembourgeois. » Cet argument, énoncé de manière définitive et sans plus de précisions par certains commerciaux, doit cependant être démystifié.
Je cite à nouveau Nicolas Ducros :
« Le super privilège est la seconde règle spécifique au Luxembourg, dont l’activation survient en cas de défaillance de l’assureur. Pour autant, il ne s’agit nullement d’une garantie de remboursement mais d’un privilège commun à tous les assurés. Dans le détail, ce principe conditionne l’ordre de dédommagement des créanciers, il place le souscripteur devant l’Etat et les salariés […]. »
Mais des assurés de compagnies d’assurance luxembourgeoises ont déjà essuyé des pertes
Les deux affaires PanEurolife (2004) et Excell Life (2012) amènent à s’interroger sur l’efficacité du super privilège. De ces deux affaires, c’est la seconde qui a eu le plus de retentissement et qui a à nouveau occupé le devant de la scène début 2017, suite à un arrêt rendu en appel le 18 janvier.
En l’espèce, le CAA avait retiré les agréments d’Excell Life après avoir détecté de sérieuses irrégularités commises par la compagnie d’assurance dans le cadre de la commercialisation d’actifs très risqués dont la valorisation a mal tourné. La compagnie d’assurance a été mise en liquidation judiciaire en juillet 2012 et les assurés n’ont pu récupérer qu’une partie de leur mise.
Plutôt que d’aller dans le sens de la loi luxembourgeoise en appliquant le principe de mutualisation des risques, les juges ont distingué deux catégories d’investisseurs. Ainsi, les sommes récupérées n’ont pas été redistribuées aux assurés au prorata des sommes investies, mais elles ont été réparties en fonction de la valeur de chaque actif.
En clair, les investisseurs ayant pris position sur les actifs très risqués ayant entraîné la chute d’Excell Life après que leur valeur se soit très fortement amoindrie y ont laissé plus de plumes que les autres investisseurs.
Selon cette jurisprudence, le périmètre du super privilège protège les actifs et non leur valeur intrinsèque. En cas de faillite de l’assureur, le risque de perte n’est donc pas mutualisé et les provisions techniques sont cantonnées fonds par fonds. L’hypothèse du « pot commun » est écartée et les investisseurs se trouvent discriminés en fonction de leur profil de risque.
Sur le blog du cabinet de CGP bordelais Montaigne Patrimoine, on commente ce jugement dans les termes suivants :
« Cette affaire et ses rebondissements sont à suivre de près, car : c’est la première à traiter du super privilège en présence d’unités de comptes montrant de fortes moins-values ; cela va donner une jurisprudence avec une explication claire des conséquences du super privilège ; les compagnies ayant cité les contrats luxembourgeois comme le luxe ultime en cas de faillite de l’assureur vont devoir revoir leur copie ».
Il faudra donc attendre de nouveaux arrêts pour voir se confirmer le périmètre du super privilège.
Comme déjà dit, la panacée n’existe pas. Vous serez toujours responsable de vos choix d’investissement. Si vous ne comprenez pas comment fonctionne un fonds d’investissement que vous propose votre conseiller, n’y souscrivez pas. Concernant votre profil d’investisseur, ne prenez pas de risques que vous ne pourriez pas assumer si les choses devaient mal tourner. Enfin, ne confiez votre épargne qu’à une société réputée de longue date pour son sérieux, de manière à écarter au maximum le risque de voir votre épargne exposée à des infractions successives commises par votre compagnie d’assurance, comme ça a été le cas dans l’affaire Excell Life.
Le Luxembourg, malgré sa bonne santé économique, est vulnérable en cas de faillites en cascade
Même dans l’hypothèse où la garantie de l’Etat luxembourgeois devait être activée, elle n’offre aucunement une garantie totale de remboursement.
La prospérité du Luxembourg dépend grandement de sa réputation en matière de respect du droit de propriété. Néanmoins, en cas de faillites en chaîne, par exemple suite à une brusque remontée des taux, la garantie étatique se révèlerait aussi théorique que celle son homologue française.
Certes, la dette publique du Luxembourg ne s’élève qu’à 20% de son PIB. Certes, avec seulement 1,1% de créances douteuses (« non-performing loans » – NPL dans le tableau ci-dessous) au sein de son système financier, le Luxembourg faisait partie en juin 2016 des pays de l’UE faisant l’objet d’un « niveau de créances douteuses faible et n’ayant pas connu une augmentation significative durant la crise » (2 Mds€). La France se situe dans le même groupe, mais avec des statistiques bien moins flatteuses. Le ratio européen moyen se monte quant à lui à 5,1% de créances douteuses pour un total de 1 092 Mds€.
Cliquez sur le graphique pour l’agrandir
Source : Parlement européen
Mais à fin 2016, l’encours global en assurance-vie au Luxembourg se chiffrait à 173 Mds€, soit plus de 350% du PIB de ce pays. A titre de comparaison, en France, l’encours global en assurance-vie se montait à 1 657 Mds€ à fin mai 2017, soit « seulement » 75% du PIB (2 229 Mds€ en 2016).
Par conséquent, dans l’hypothèse de la faillite d’une compagnie d’assurance donnée, mieux vaut effectivement avoir placé son épargne au Luxembourg qu’à Chypre (44,8% de créances douteuses).
Cependant, plusieurs faillites simultanées en Europe du sud seraient susceptibles d’entraîner de grosses difficultés en Europe du nord. Or, avec un secteur financier de cette dimension, on voit mal comment le Luxembourg pourrait faire honneur à ses obligations envers les assurés.
Que conclure de tout cela ?
Le contrat d’assurance-vie luxembourgeois constitue bien une voie intéressante. Si vous en avez les moyens, il vous permettra avant tout de gérer votre épargne financière de manière véritablement sur mesure, avec plus de souplesse au niveau des règles d’investissement dans une grande variété de fonds (internes et externes). C’est, à mon sens, l’argument majeur pour souscrire un contrat au Luxembourg.
Par ailleurs, ce pays largement francophone jouit d’une bonne santé financière et propose aux épargnants un cadre juridique certes plus sécurisé qu’en France, mais qui n’apportera pas une protection totale à votre épargne.
Le contrat d’assurance-vie luxembourgeois n’est pas le remède à tout que promettent certains commerciaux, pas plus que ne l’est d’ailleurs tout autre produit d’épargne. C’est à vous qu’il revient de décider où placer votre argent, en prenant toujours un maximum de précautions.
[NDLR : Comment gérer au mieux votre assurance-vie dans un contexte qui redevient très incertain ? Comment vous prémunir contre une éventuelle activation de la Loi Sapin ? Comment fonctionne vraiment un contrat d’assurance-vie de droit luxembourgeois ? Tout est expliqué ici.]
3 commentaires
Bonjour
Merci pour la citation.
Les touts derniers développements de l’affaire Excell Life incitent d’autant plus à la prudence car le dernier avis rendu va contre la distinction entre les fonds souscrits.
Les assureurs luxembourgeois sont à la manœuvre face à cette decision qui les embarasse.
La souplesse de gestion, le professionnalisme, la discrétion, la gestion internationale du patrimoine sont autant de facteurs qui militent toutefois pour les contrats luxembourgeois.
Cordialement
Excellent article !
Concernant excel life, sachez que la décision d’appel est differente, et applique les regles luxembourgeoises telles que rédigées dans la loi de 94
Donnez moi votre mail, je vous ferai passer la decision (que j’avais envoyé également à Nicolas)
Il ne faut pas s’arrêter a la protection des actifs selon moi. je crois au too big to fail, et je pense que l’etat français interviendra toujours en cas de risque de faillite sur un acteur systemique (comme elle l’a fait indirectement via la CDC en 2011 avec Groupama)
L’assurance vie lux trouve ses vrais avantages dans la portabilité internationale, la neutralité fiscale du Luxembourg ou les règles d’éligibilité d’actifs. Pour le reste (faillite, Sapin), je suis plus modéré
J’avais écrit ca il ya quelque mois sur ce theme
https://www.professioncgp.com/article/paroles-dexperts/tribune/le-mythe-de-l-assurance-vie-luxembourgeoise.html
a dispo pour en parler
Bien à vous
Bonjour,
Nous sommes des victimes de Excell Life International et plus particulièrement de Paul Michonneau qui s’est octroyé une somme d’argent conséquente sur ce qui devait être « une retraite paisible ».
Je souhaiterais être mis en relation avec d’autres victimes afin de faire intervenir des journalistes très intéressés par ce thème et surtout spécialistes de ce type d’escroquerie financière. N’hésitez pas à me contacter