▪ Nous continuons le récit de notre récent séjour andin… en nous intéressant à une autre activité qu’il vaut mieux éviter — les vignobles.
Cette histoire de vignes nous est tombée dessus comme la misère sur le pauvre monde. Nous l’ignorions quand nous l’avons achetée, mais il y a un vignoble sur la propriété. Il fait moins de deux acres… et est dissimulé dans une vallée lointaine, à deux heures de cheval de la maison principale. L’endroit est magnifique, mais pas du tout efficace, et pas franchement productif.
Mais lorsque nous avons fait du vin, nous nous sommes aperçu qu’il était très bon. Du malbec de haute altitude, apparemment.
« Il est écologique », a ajouté Jorge, puisque nous n’avons pas la moindre idée en ce qui concerne les engrais chimiques — que, de toute façon, on ne peut pas amener jusqu’ici.
Nous avons donc décidé de planter plus de vignes — en grande partie pour donner quelque chose à faire aux gauchos, mais aussi pour améliorer le paysage. Nous en avons désormais près de cinq hectares. Et que ça nous plaise ou non, nous sommes donc « dans le vin ». En quelque sorte.
▪ Quelle terrible chose pour un dilettante ! Nous avons fait appel à un consultant pour nous expliquer tout ça. Nous regardant avec une pitié mêlée de désapprobation — un air qu’on réserve d’ordinaire aux alcooliques ou aux syphilitiques –, il a commencé :
« Eh bien, quand j’ai commencé à jouer au golf il y a quelques années, je me suis entraîné et entraîné. J’y ai passé beaucoup de temps et dépensé beaucoup d’argent. J’envisageais de devenir professionnel. Quand j’ai joué avec un vrai pro, je lui ai donc demandé son avis ».
« Il m’a dit : ‘prenez deux semaines pour y réfléchir… puis jetez vos clubs et ne jouez plus jamais’. C’était un bon conseil. Vous devriez faire la même chose avec votre affaire viticole ».
« Il y a trois parties, dans tout ça. Il faut cultiver le raisin. Il faut faire le vin. Il faut le vendre. Tout le monde peut faire pousser du raisin, quand on est au bon endroit. Et n’importe qui peut faire du vin. Le pays en ruisselle. Mais il faut être un vrai génie pour le vendre. C’est bien là le problème. Si vous ne pouvez pas le vendre, autant ne pas se donner la peine de planter la vigne, de presser le raisin ou de faire le vin. Et je vais vous le dire franchement, vendre du vin n’est pas facile ».
« Regardez les chiffres. Où que vous soyez, il faut au minimum 5 $ pour produire une bouteille. C’est là simplement le coût de la main-d’oeuvre… des matériaux… de la bouteille… du bouchon et ainsi de suite. Difficile de faire beaucoup baisser ce coût, sauf à opérer à très grande échelle, et très efficacement ».
« Là où vous êtes, en revanche, tout sera beaucoup plus cher. Parce qu’il faut trois heures pour aller de chez vous à Cafayate, où se trouvent tous les experts et les choses nécessaires au vin ».
« Chaque bouteille vous coûtera probablement six ou sept dollars… voire dix… avant d’être expédiée quelque part pour être vendue. Puis le distributeur voudra une grosse tranche du gâteau… l’importateur (si vous vendez en-dehors de l’Argentine) se servira à son tour… et le détaillant ou le restaurant voudront aussi une bonne partie du prix au détail. Vous n’aurez pas la moindre possibilité de négocier. Parce que vous êtes minuscule, et nouveau dans le secteur. Vous ne gagnerez pas un centime en vendant dans le milieu de gamme. Mais à moins qu’un guide réputé vous donne une note dépassant les 90, vous ne pourrez guère aller au-delà du milieu de gamme ».
« C’est comme tout le reste. Vous pouvez être compétitif sur le prix… ou sur la qualité. Si vous choisissez les prix bas, vous serez en concurrence avec de gigantesques vignobles produisant des millions de litres de vin. Ils gagnent quelques centimes sur chaque litre — s’ils ont de la chance ».
« Mais pour vous, c’est impossible — pas avec votre production et vos coûts ».
« Si vous choisissez la qualité, vous devez avoir une bonne histoire à raconter… et la bonne manière de le faire. Ce ne sera pas facile non plus. Tout le monde essaie de vendre une histoire. Et ils ont tous de bien meilleurs contacts… et plus d’expérience… que vous ».
« Certaines des familles du coin sont dans le vin depuis trois ou quatre générations. Croyez-moi, elles savent vendre du vin bien mieux que vous ».
« L »histoire’, par ici, c’est ce qu’ils appellent du ‘vin de haute altitude’. Ou du ‘malbec de haute altitude’. Apparemment, ça fait vendre. Le vin est censé être plus intense, comme le soleil par ici. Et les nuits froides semblent mieux fixer le sucre dans le fruit. Le vin est plus fort que celui produit plus bas. Pas mal de gens le préfèrent ainsi. Quand en boit pendant un certain temps, les vins normaux semblent insipides en comparaison ».
« Vous avez un bon point de départ avec votre ranch. Une minuscule vallée protégée. C’est aussi le vin le plus haut de l’endroit, probablement. Mais même si vous pouviez raconter votre histoire, vous ne pourriez pas vendre votre vin parce que vous ne produisez pas assez pour intéresser un vrai distributeur. Il n’y a pas assez d’argent pour eux. Et il ne vaut pas non plus la peine de dépenser l’argent nécessaire pour les relations publiques et le marketing — votre opération n’est pas à assez grande échelle. La seule manière d’y parvenir serait de vous y mettre sérieusement… de produire beaucoup, beaucoup plus de vin… d’embaucher de vrais professionnels pour le faire… et pour le commercialiser ».
« Il faudrait que vous dépensiez des millions. Vous avez peut-être l’argent maintenant. Mais les vrais pros ont le savoir-faire. Et si vous voulez vous y mettre sérieusement, vous devrez transférer beaucoup d’argent vers les gens qui en savent plus long que vous. Si vous le faites assez longtemps, une fois que tout sera terminé, vous serez aussi ruiné qu’eux ».
« Sérieusement, je vais vous dire ce que vous devriez faire. Produisez-en un peu… envoyez-le vers les Etats-Unis… et donnez-le à vos amis. Vous serez content. Et vous ne perdrez pas trop d’argent ».
Le conseil semblait bon.
Mais que faire ? Si nous n’élevons pas de bétail et si nous ne produisons pas de vin… que reste-t-il ? Que feront les gauchos ? Pourquoi la ferme elle-même existe-t-elle ?
« Don Bill », Jorge, l’intendant du ranch, est venu nous voir juste avant notre départ.
« Merci pour la pelleteuse. Ça nous a beaucoup aidés. Et merci d’avoir investi dans la ferme. Vous savez, l’ancien propriétaire n’y consacrait pas du tout d’argent. Nous n’avions pas de machines. Nous étions comme en chute libre. Mais maintenant, il me semble que nous progressons. Les raisins ont bonne mine, cette année. La vallée est verte, grâce à toute la pluie. Nos nouveaux réservoirs vont bientôt fonctionner. L’endroit devient enfin ce qu’il est censé être. C’est très beau… et nous sommes très heureux de vous avoir avec nous ».
Hmmm…..
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