Ceux qui me lisent savent que je n’ai pas l’habitude de pratiquer un patriotisme outrancier. Mais là, je me gonfle d’orgueil et veux vous communiquer mon plaisir chauvin. Nous partageons, avec l’Australie et l’Afrique du Sud, l’apanage d’avoir les explorateurs miniers les plus astucieux du monde.
Ce n’est pas moi qui le dis : c’est le très respectable Wall Street Journal — et à la une, s’il vous plaît (édition américaine du 20 mars dernier).
Nos audacieux explorateurs se sont-ils frottés à des terres vierges, à des climats hostiles, ont-ils combattu d’épouvantables bêtes sauvages, ont-ils pioché à des profondeurs réputées inaccessibles ? Non, justement. Ils ont su éviter toutes ces vicissitudes pour trouver plus vite et en dépensant moins d’argent ce que tous leurs concurrents recherchent. Ils explorent le sous-sol du Musée Royal de l’Afrique Centrale, situé dans une banlieue de Bruxelles.
Cobalt et uranium à Bruxelles
Ce vestige du colonialisme possède en effet des archives extrêmement précieuses. Des cartes précises et des échantillons de roches y sont minutieusement conservés dans son sous-sol. Tout est parfaitement bien documenté par nos amis belges : relevés topographiques, échantillons géologiques, photographies, croquis couvrant la période 1885-1960 et le Congo.
Des ingénieurs civils cherchaient alors des nappes phréatiques, ou du cuivre, ou de l’étain, ou de l’or, ou des choses intéressantes pour l’époque. Mais si au passage, ils tombaient sur quelques bizarreries comme du cobalt ou de l’uranium, ils le consignaient. Une des fiertés du département géologie du musée est d’exposer un bloc d’uranium tiré du gisement qui a fourni la matière fissile des bombes nucléaires américaines qui mirent fin à la seconde Guerre Mondiale.
Des archives qui valent de l’or
Ce qui explique la présence des Français d’Areva. En fait, il est bien plus facile de prospecter en sachant où l’on va, plutôt qu’à l’aventure. Un billet pour Bruxelles et quelques géologues munis d’appareils d’analyse non destructive ne sont rien au regard de coûteuses expéditions. L’idéal pour débroussailler le sujet, en somme.
La recrudescence de visiteurs au Musée Royal de l’Afrique Centrale souligne la pression qui existe actuellement pour trouver rapidement de nouvelles sources de matières premières. De poussiéreuses archives délaissées se transforment désormais en mine d’or.
L’or encore méprisé
Je poursuis sur ma revue de presse et aborde un autre sujet : la perception du métal jaune par les media dans le monde. Ses récentes performances sont largement minimisées sur tous les continents.
Voici un petit florilège de citations traduites au vol :
Vendredi 13 avril, MarketWatch (US)
"L’or a clôturé en hausse de 10,20 $ à New York, proche de son plus haut de l’année. Mais la semaine avait vu le métal jaune rester inerte face à ses facteurs haussiers traditionnels : un dollar affaibli, des métaux en hausse, des facteurs politiques et économiques variés"… Résumé : l’or ne monte pas autant que ce qu’il devrait
Mardi 17 avril, TheStreet.com (US)
"On prête à la Fed l’intention de contenir l’inflation à 2% par an. Tout chiffre inférieur va probablement refroidir la demande d’or que certains investisseurs achètent pour contrebalancer l’érosion due à la montée des prix à la consommation." Résumé : des crétins achètent de l’or à des fins financières
Mercredi 18 avril Reuters (Tokyo)
"L’or a légèrement monté hier… mais le marché est dans un état d’esprit de prise de bénéfices à l’approche du niveau des 700 $." Résumé : l’or monte, mais ça ne devrait pas durer.
Seuil psychologique et seuil intellectuel
Oui, l’or hésite et la barre des 700 $ l’once constitue un seuil psychologique. Seuil psychologique et émotion sont d’ailleurs les deux ressorts des meilleures tragédies écrites par M. le Marché. Pour éviter de se trouver emporter par ses tragédies, mieux vaut avoir recours au seuil intellectuel : il met l’or au dessus de 1 600 $ l’once (pic de 1980 corrigé de l’inflation).
Aucun des fondamentaux qui ont propulsé l’or (parti à moins de 300 $ en 2001) n’a changé. La hausse reste sournoise et n’est pas encore perçue comme ce qu’elle est réellement : la manifestation d’une inflation encore absorbée par les entreprises, encore peu visible par les consommateurs, et non compensée par des taux d’intérêt décents.
Le seuil psychologique ne sera pas 700 $. Il sera bien au-dessus. N’oublions pas : plus la hausse de l’or sera douce, plus le sommet sera élevé. A 700 $, l’or reste une matière première comme une autre. A 1 600 $, il témoignera d’une émission monétaire inconsidérée.
Cette émission de papier-monnaie n’est d’ailleurs pas le monopole des USA et arrêtons de nous gargariser (ou gémir) de l’euro fort. L’euro est moins faible que le dollar, c’est tout.