** Si vous êtes positionné sur un marché à risque, vous mettez votre capital en danger à chaque seconde. Peut-être que les marchés ne sont pas si risqués que ça actuellement. Peut-être que la situation n’est pas si catastrophique. Bon nombre d’entreprises s’en tirent bien malgré tout. Mais je m’inquiète de voir le marché des dérivés vivre sa propre vie.
– Dans son ensemble, ce marché est passé de 1 000 milliards de dollars de valeur faciale il y a cinq ans à 34 000 milliards de dollars aujourd’hui. On a donc pris un marché qui existait à peine pour en faire quelque chose qui représente plus de trois fois le PIB américain.
– Ce n’est pas forcément une mauvaise chose. En fait, les produits dérivés du crédit sont une bonne chose, tant que rien ne tourne mal. Tout va bien tant que les prix des actifs continuent de grimper et tant qu’aucun problème sérieux n’entame l’optimisme ambiant. L’avantage des produits dérivés, c’est qu’ils fournissent une grande quantité de liquidités. Ils aident bon nombre de choses à fonctionner correctement. Ils font grimper les prix des actifs ; ils enrichissent les gestionnaires de hedge funds.
– Mais personne ne sait jusqu’à quel point une obligation adossée à la dette hypothécaire pourrait perdre sa valeur en cas de crise — crise qui pourrait d’ailleurs être en train de se dérouler. Personne ne sait vraiment ce que ces choses valent par rapport à leur valeur financière implicite, et encore moins ce qu’elles valent par rapport à un baril de pétrole, un verre d’eau ou une once d’or. Ce n’est pas un exercice purement théorique. Je parle là d’un excès de papier dans le monde, par rapport à une offre limitée de "matière".
– Ce lien entre actifs papier et "matière" constitue la base essentielle de tout investissement en ressources naturelles. Et cette base est particulièrement à l’ordre du jour actuellement, alors que le dollar US chute. Si l’on regarde les marchés de matières premières en termes de dollars canadiens, par exemple, on pourrait affirmer qu’ils ont atteint leur sommet il y a un an de ça. Le pétrole n’est pas plus cher, en dollars canadiens, qu’il l’était il y a un an — et il en va de même pour beaucoup de ressources naturelles. En termes de dollars, par contre, elles sont bien plus élevées qu’il y a 12 mois.
– Alors sommes-nous confrontés à un marché haussier provenant du traditionnel déséquilibre offre/demande ? Ou bien s’agit-il d’une autre sorte de déséquilibre offre/demande ? Assistons-nous à un scénario où il n’y a pas assez de "matière" par rapport à l’avalanche de papier — non seulement de dollars, mais également de produits dérivés et de bien d’autres espèces d’actifs papier faisant jouer l’effet de levier ?
** Tout cela nous mène à un secteur que nous affectionnons particulièrement, l’eau. Pourquoi l’eau ? Ca tient en un mot : la rareté.
– Nous aimons les choses rares ; elles font de bons investissements. Les actifs papier sont devenus trop populaires. Je veux me mettre de l’autre côté de cette transaction ; je veux me débarrasser de mes actifs papier, et les échanger contre les choses qui nourrissent et font tourner le monde… et en particulier contre ce qui étanche la soif planétaire au quotidien.
– Cela me rappelle une anecdote : lorsque j’avais 18 ans, je suis allé randonner dans la Sierra. Le voyage a duré deux semaines. On portait tout — pas de ravitaillement en cours de route. Nous transportions donc toute notre nourriture, et tout notre carburant. C’était ma première randonnée, et je ne savais pas qu’un sac à dos pouvait peser 40kg. C’était extrêmement lourd au début, surtout pour une première expérience. Mais à mesure que les jours passaient, on s’habituait… et le sac devenait également plus léger, puisque nous utilisions ce que nous portions.
– Puis, après quatre ou cinq jours de régime "aliments lyophilisés", nous avons commencé à beaucoup apprécier là VRAIE nourriture — et en particulier les caramels à la vanille que nous avions apportés. Je ne me rappelle pas lequel d’entre nous avait rapporté ces bonbons, mais nous étions plusieurs à avoir quelques sortes de sucreries au début du voyage. Le deuxième jour, nous avons mis tous nos bonbons sur une serviette, et nous les avons répartis. Chacun choisissait ce qu’il voulait. J’avais pris tous ces caramels, rien d’autre — et je ne les ai pas mangés durant sept… huit… neuf jours. Je n’ai rien touché. Tous les autres ont mangé les leurs. Au dixième jour, c’était une idée fixe pour tout le monde.
– A ce moment-là, j’ai pu échanger ces petites confiseries contre cinq, voire dix dollars — parce qu’un billet de banque n’avait littéralement aucune valeur dans cet environnement. C’était incroyable ! Je pouvais également échanger ces caramels contre des services. Je pouvais demander qu’on me porte des choses, par exemple. Nous avions des tentes — lesquelles ajoutaient entre 2,5 et 3 kg à un sac. Je disais donc : "si tu veux quelques caramels, porte ma tente aujourd’hui".
– A la fin de nos deux semaines de randonnée, je suis retourné à la civilisation avec 56 $ en poche — des dollars de 1978, valant environ le double des dollars actuels. J’ai donc littéralement pu échanger une sorte de "ressource essentielle" dans cet environnement contre des capitaux et de l’énergie. Je pense que le monde dans lequel nous vivons récompensera les investissements de ce style. Il faut acheter des ressources lorsque la plupart des gens ne s’en soucient pas vraiment. Ensuite, graduellement, vous aurez l’occasion de les échanger contre des capitaux… ou contre toute autre chose de valeur.