A la barre de la Fed comme à celle des Etats-Unis, des capitaines audacieux tentent d’éviter le naufrage. Du moins, c’est le point de vue de leurs soutiens. Et peu importe qu’ils aient mené leur barque vers des écueils jusqu’alors.
Nous donnerions tout pour être aussi insouciant, optimiste et stupide qu’un boursicoteur américain !
Selon notre calcul, les actions américaines sont survalorisées à hauteur de 25 000 à 30 000 Mds$. L’indice Wilshire 5000, qui regroupe toutes les entreprises américaines cotées en Bourse, a en temps normal une valorisation correspondant à environ 80% du PIB américain. Ce rapport est désormais de 200%, c’est-à-dire 120 de trop.
Que leur faut-il ?
Qu’est-ce qui pourrait détourner les investisseurs de la Bourse ? Un tsunami déferlant sur Manhattan ? Une guerre nucléaire ? Une invasion de morts-vivants ?
Une guerre se déroule déjà sous nos yeux et l’un des combattants possède l’arme nucléaire dans son arsenal. L’inflation est à 8% et elle devrait rapidement franchir la barre des 10%. Le marché obligataire a envoyé son signal de récession le plus fiable : l’inversion des courbes de taux, tant redoutée.
Et le gouvernement de Joe Biden envisage de mettre en place les taux d’imposition sur le revenu les plus élevés du monde développé. Fox News :
« Le budget que le président a révélé prévoit plusieurs hausses d’impôts pour les ultra riches et pour les entreprises.
Si ces hausses d’impôts devenaient effectives, les taux d’imposition sur les ménages américains et sur les entreprises américaines deviendraient les plus élevés du monde développé, d’après d’une nouvelle étude publiée par la Tax Foundation, un groupe de réflexion non partisan. »
Il y a fort à parier que ce projet de loi sera rejeté.
De son côté, la Fed est déterminée à relever ses taux pour lutter contre l’inflation.
L’horizon s’assombrit
La remontée des taux d’intérêt va gripper le moteur du refinancement. Il ne sera plus possible de refinancer la dette à taux moindres. La dette se refinancera désormais avec des taux plus élevés. Cela entraînera une réduction drastique de la dette et, partant, de l’économie.
Bon nombre de ménages et d’entreprises vont réaliser qu’ils se sont endettés à l’excès lorsque tout allait bien. Maintenant que l’horizon s’assombrit, ils seront incapables de refinancer leur dette. Ils seront incapables de rembourser leur dette.
Que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé, les prix des actifs vont baisser.
On pourrait penser que cela pourrait inquiéter les boursicoteurs. Eh bien, pas du tout ! Voici le titre surréaliste d’un article publié par MarketWatch :
« Les prix des contrats à terme sur les indices américains augmentent à l’heure où les investisseurs se préparent à une hausse brutale des taux d’intérêt. »
Larry Lindsey évoque le sujet, toujours sur MarketWatch.
« ‘Je pense que nous nous dirigeons vers une récession, probablement au prochain trimestre’, explique Larry Lindsey dans un entretien sur CNBC.
‘L’inflation érode le pouvoir d’achat des consommateurs, lesquels vont devoir réduire leurs dépenses’, explique-il.
L’ancien gouverneur de la Fed explique également que la banque centrale n’est absolument pas en mesure de contrôler l’inflation. »
Parmi les commentaires avisés (qu’on peut compter sur les doigts de la main), l’avis qui prévaut est que la Fed n’aura pas le choix. Après avoir gonflé les prix des actifs de manière insouciante au cours des quatorze dernières années, la Fed doit désormais reconnaître son erreur et dégonfler les prix.
- Elle a abaissé et maintenu ses taux d’intérêt à des niveaux bien trop bas (en territoire négatif !) pendant bien trop longtemps (près de quatorze ans).
- Ces taux artificiels ont créé une économie artificielle qui dépend du crédit ultra bon marché.
- Le crédit ultra bon marché a créé une culture de spéculation et d’endettement endémique, qui a abouti à une montagne de dette, tant publique que privée, qui s’élève désormais 87 000 Mds$, soit près de 50 000 Mds$ de plus qu’en 2007.
- Avec une dette aussi importante, les investisseurs, les entreprises, les ménages et le gouvernement prient pour que les taux d’intérêt restent bas. Pour maintenir les taux à des niveaux bas, la Fed a dû faire tourner la planche à billets et favoriser l’endettement. La Fed et plusieurs autres banques centrales ont injecté 25 000 Mds$ sur les marchés depuis le sauvetage de Wall Street en 2008-2009.
L’argent bon marché et la planche à billets ont produit une inflation inéluctable. Les confinements mis en place pour lutter contre la pandémie de Covid, les barrières au commerce et les sanctions commerciales (notamment contre la Russie, l’un des plus gros exportateurs d’énergie) ont concouru à amplifier l’inflation.
Toutes les banques centrales du monde
Et maintenant… Que peuvent faire les banques centrales face à une inflation à deux chiffres ? Elles n’ont pas le choix. Ni en Europe. Ni au Royaume-Uni. Ni aux États-Unis.
Elles doivent prendre le taureau par les cornes. David Stockman explique :
« Les idiots [de la Fed] n’auront pas d’autre choix que de mettre un frein bien plus brutal que prévu à l’expansionnisme monétaire au cours des huit prochains mois. Car ils devront composer avec une inflation de l’ordre de 8-10% en rythme annuel, voire plus, alors que la contraction du PIB ne se verra qu’au quatrième trimestre 2022 ou début 2023. »
Toutes les grandes banques centrales, à l’exception de la banque centrale russe, dont le taux directeur est déjà de 20%, sont embarquées dans le même bateau. Elles ont toutes suivi le même cap. Et elles doivent désormais naviguer sur une mer agitée.
Elles doivent fermer les écoutilles, baisser les voiles et affronter la tempête.
Ce serait la chose raisonnable à faire. C’est ce à quoi devraient s’attendre les investisseurs.
Mais les investisseurs sont insouciants. Ils sont toujours confortablement installés sur leurs chaises de bureau, baignés par la lumière du soleil couchant, dans l’attente d’un autre verre. Peu importe les événements (tremblements de terre, Troisième Guerre mondiale, épidémie de peste…), ils sont convaincus que le capitaine Jerome Powell les protègera contre vents et marées.
Et vous savez quoi ? Ils ont peut-être raison. Ce brave Achab, qui parcourt les hautes mers de la finance, pourrait être assez fou, assez faible ou assez stupide pour aggraver une situation déjà bien mal embarquée.