** On lui a donné plusieurs noms — conglomérat, holding d’investissement, version plus jeune et plus réduite de Berkshire Hathaway… Toutefois, pour certains, il s’agit simplement de la meilleure société d’investissement du monde, et elle est en détresse. Ce dernier point de vue est selon moi le plus juste.
– Leucadia National existe depuis longtemps. Depuis 1978, l’entreprise a augmenté sa valeur à un rythme annuel de 20%. Chaque dollar investi dans Leucadia en 1978 en vaut aujourd’hui 900 — un record qui n’atteint pourtant pas celui de S&P 500 sur cette période, avec un retour 16 fois plus important.
– Leucadia achète des actions démodées à bas prix, souvent en faillite, puis elle s’attelle à la réhabilitation de l’entreprise. En résumé, Leucadia est un vautour.
– Pourtant, récemment, les résultats n’ont pas été excellents. Ian Cumming et Joseph Steinberg, respectivement président du conseil d’administration et PDG, s’accordent à dire que les résultats de ces deux dernières années n’ont pas été bons.
* Leur prise en compte de ce point dans la lettre annuelle de l’entreprise est pour le moins perspicace. Tout d’abord, ils se souviennent d’une période similaire, vers la fin des années 1990, lors d’une hausse colossale du prix des actifs. A cette époque, Leucadia a vendu nombre des ces positions en échange de gros bénéfices — des ventes qui, rétrospectivement, avaient l’air géniales.
– Cumming et Steinberg remarquent aussi la compétition des "gestionnaires de fonds de couverture de 35 ans — des sociétés de private equity qui n’ont jamais connu de marché baissier — et autres investisseurs désireux d’investir au plus haut dans des actions à risque avec de l’argent ayant apparemment peu de valeur". Ils les appellent des "optimistes malavisés".
– Les Leucadiens avancent cependant eux aussi quelques raisons de garder un certain optimisme en l’avenir. Ils remarquent que, parmi la dizaine d’entreprises maintenant une notation AAA, quatre font l’objet d’une enquête pour dommages financiers présumés. En discussion avec le représentant de la banque, Cumming et Steinberg racontent que le banquier qui a "autorisé de telles opérations va certainement sauter".
** Leucadia est assis sur une pile de liquidités : près de 1,6 milliard de dollars prêts pour les futurs investissements à l’heure même où j’écris cette chronique. Comme le disent Cumming et Steinberg, leur philosophie fonctionne en "deux modes" : soit ils investissent dans des opérations à haut rendement, soit ils attendent sur la touche. Il n’existe pas de meilleure façon de jouer sur le cycle du crédit que de suivre Leucadia et ses excès de cash.
– J’apprécie également le fait que Cumming et Steinberg possèdent 25% de Leucadia à eux deux. La compensation est modeste, seulement 650 000 $ de salaire chacun l’année dernière — une paille, comparé aux 1,8 million qu’ils avaient reçu en 2003. C’est une chose que l’on ne voit que rarement.
– Il fut un temps où les investisseurs auraient trouvé absurde qu’un homme qui dirige une entreprise n’en possède pas la majeure partie. C’est un fait noté par Frederick Lewis Allen dans son livre The Big Change ["Le grand changement", ndlr.], un aperçu intéressant et divertissant des changements sociologiques aux Etats-Unis, publié en 1952. Allen décrit d’un changement radical dans le domaine de la propriété d’entreprise.
– En 1900, le capitalisme était bien du capitalisme. Les entreprises étaient dirigées par leurs propriétaires, des gens qui avaient placé ou gagné le capital avec lequel ils finançaient leurs affaires… Il semblait alors terriblement irrationnel qu’un homme puisse diriger le destin d’une entreprise en ne possédant qu’une fraction infime de son capital, comme c’est pourtant souvent le cas aujourd’hui.
– Leucadia nous ramène un peu à ce fonctionnement, puisque la direction possède une grande part de l’entreprise. Leurs intérêts et les vôtres en tant qu’actionnaires sont donc les mêmes.
– Un investissement sur Leucadia est également un pari sur le flair d’investisseur de Cumming et Steinberg. Les commentateurs baissiers s’inquiètent des plans de succession, étant donné que Cumming et Steinberg approchent de la fin de la soixantaine, tout comme on s’inquiète du remplacement de Buffett et Munger. Heureusement, la gestion d’argent est un jeu qui se joue jusque tard dans la vie. Marty Whitman avance toujours cahin caha du haut de ses quatre-vingt ans, et Sir John Templeton a dépassé les quatre-vingt-dix ans. Les inquiétudes concernant la succession de Cumming et Steinberg me semblent donc un peu prématurées.
– Quoi qu’il en soit, j’adore Leucadia en tant qu’action à long terme — aussi longtemps que Cumming et Steinberg tiennent les rennes. C’est aussi un excellent moyen pour l’investisseur lambda de s’essayer au "marché des vautours"…