Dans vos affaires patrimoniales, vous pouvez être amené à transmettre des titres de société non cotées. Comment les évaluer afin d’acquitter les droits correspondants sans litige fiscal ?
Deux arrêts de cours d’appel méritent que l’on s’y arrête pour mieux comprendre la façon de mener une « bonne » évaluation.
Le premier ayant été rendu au bénéfice de l’administration fiscale (cour d’appel de Paris, 6 novembre 2017, n°15/02003) et inversement pour le second, à son détriment (cour d’appel de Chambéry, 20 novembre 2018, n°14/01735).
Si ces dossiers ont été jugés en cour d’appel, c’est – pour reprendre les mots du doyen Beignier – que « le Droit est rentré dans sa phase pathologique ». Les symptômes de la maladie sont classiques, le contribuable voulant minorer l’assiette et l’administration la majorer.
Commençons par l’arrêt parisien. Il concernait une affaire complexe d’évaluation patrimoniale dans le cadre du défunt ISF, mais intéresse ceux qui ont des droits de mutation à acquitter.
Prime de risque sur les activités
Une partie du débat tournait autour de l’application d’une prime de risque sur des droits sociaux. La société opère dans le secteur de la haute couture et produit des modèles principalement sous la griffe d’une talentueuse égérie.
Les vérificateurs avaient retenu dans un premier temps un coefficient de 0,8, ce qui dans leur esprit correspondaient à un risque moyen, qu’elle accepta de porter à 0,9 dans la phase pré-judiciaire de ce contentieux fiscal, celle où l’on discute encore en face à face…
Le fisc acceptait d’une part de tenir compte de l’empreinte personnelle de la styliste – on n’est plus très loin ici du concept de « l’homme-clef » ou en l’espèce de la femme-clef ; et d’autre part il intégrait notamment la conjoncture économique du moment – nous étions en pleine crise ; les contribuables avançaient le Rapport annuel 2008 de l’AMF qui rendait compte des fortes turbulences de capitalisation des sociétés cotées et plus particulièrement celles appartenant au même secteur que la société.
Les contribuables sollicitaient une augmentation de ce coefficient afin de parvenir à un rabais d’assiette de 22,2% de plus sur la base du « caractère versatile » de la mode et des aléas climatique dont on sait qu’ils influent grandement sur la consommation de vêtements.
22% de trop, ont répondu finalement les juges, relevant que les écrits de l’AMF visent les sociétés cotées en bourse, ce qui n’était pas le cas de la société en question. De là, le juge de l’impôt recentre cette partie du dossier : la valeur se voit « appréhendée à partir de ses éléments intrinsèques ».
Le magistrat va donc élaguer et ne retenir que des éléments de faits pour valider le coefficient 0,9 :
- La crise des subprime n’a visiblement pas touché l’entreprise puisque son chiffre d’affaires et son résultat ont été en hausse constante en dépit de cet environnement difficile. Cette réalité contredit totalement la thèse des redevables qui avançaient un « contexte de crise dans le secteur de l’habillement qui justifierait des décotes de 60% et 30% ». Autrement dit, et c’est cela qui compte et non quelques spéculations hasardeuses, la société apparaît ici comme un îlot de prospérité quand bien même tout le secteur naviguerait sur un océan de pertes !
- Au surplus, la créatrice n’a pas la notoriété des grands couturiers. Selon les contribuables, son seul talent et une administration familiale fragiliseraient la pérennité de la société. La cour parisienne s’aligne cependant sur la conclusion de l’administration fiscale : « l’empreinte familiale n’est pas forcément un risque accru », d’autant, préciseront les juges, que « les éléments versés aux débats démontrent que l’empreinte familiale de la société n’a pas entravé la croissance et la bonne santé de l’entreprise ». Deux fonds d’investissements avaient injecté des fonds dans la société, un élément qui selon nous montrait bien que la concentration sur la personne et la famille des fondateurs ne rebutait pas forcément des investisseurs tiers…
Quelle proportion du chiffre d’affaires ?
Enfin, l’autre arrêt de la cour de Chambéry relève l’importance de croiser les données d’une expertise pour parvenir à la valeur vénale, c’est-à-dire le prix le plus proche possible de ce que le marché, non pas boursier mais de gré à gré, pourrait permettre d’obtenir.
En l’espèce, il s’agissait ici d’évaluer des parts sociales d’un cabinet d’expert-comptable.
L’évaluateur se contenterait de relever le chiffre d’affaires (CA) et de le multiplier par un coefficient obtenu par agrégations d’observations sur des transactions d’affaires. On peut être tenté par cette facilité puisque des sources fiables et renommées proposent de tels barèmes :
- Nos confrères des éditions Francis Lefebvre le remettent à jour une fois l’an environ dans leur Mémento Transmission d’entreprise 71220 ;
- Ou encore l’UNASA. Très prosaïquement, on entend parfois dire : « cela vaut x fois le chiffre d’affaires ».
L’administration avait évalué les parts dans l’affaire à 100% du CA.
Cependant, l’expertise judiciaire à laquelle s’est rangée le TGI de Chambéry puis la cour d’appel croisait ce taux de référence avec l’analyse du portefeuille de clientèle dudit expert-comptable. Un fonds libéral qui n’était achalandé que de très petites entreprises formant un ensemble de 183 clients, avec une recette unitaire annuelle d’un peu plus de 2 500 €, soit nettement moins que la moyenne de la profession ; qui plus est, des entreprises dirigées par des personnes de plus de 50 ans dont la succession était incertaine avec le risque de fermeture et de perte du client pour l’expert-comptable…
L’expert judiciaire avançait plus raisonnablement un taux de référence circonstancié à 85%, soit une minoration d’assiette de 15%.
L’évaluateur indépendant citait pour mémoire la cession d’un cabinet de Megève qui avait abouti à une valorisation finale assez proche de la sienne.
Le contribuable a eu gain de cause, le juge de l’impôt voyant en la valeur calculée par l’expert-judiciaire « une juste évaluation du cabinet d’expertise comptable » tandis que la comparaison « conforte les résultats calculés par l’application des autres méthodes, ce qui reste l’objectif ».
Pour l’évaluation de titres non-cotés, aucune méthode n’est érigée en dogme absolu par Bercy ; la prise en compte des faits circonstanciés importe autant que la rigueur ou les méthodes choisies. La modération doit dicter vos choix d’arguments et éviter les prétentions fantaisistes.
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