La Chronique Agora

Biden est-il une bonne nouvelle pour l’Europe ?

Après les années Trump, le monde se prépare à une présidence Biden… avec soulagement dans la majeure partie. Cet optimisme est-il fondé – notamment en ce qui concerne l’Europe ?

« On a gagné ! »

Pour les médias grand public, l’élection présidentielle américaine n’était pas un combat entre démocrates et républicains, ni une affaire interne aux Etats-Unis. Au contraire, ce scrutin a été quasiment traité comme une lutte entre le bien et le mal, l’intelligence contre l’ignorance, et sa couverture médiatique a pu donner l’impression aux Français que son issue était vitale pour eux.

Après de longues journées de décompte, de contestations, de tweets consternants et de tensions, le verdict est tombé : la victoire revient aux démocrates. Seuls quelques soutiens indéfectibles à Donald Trump contestent encore sa défaite et refusent de reconnaître l’élection de Joe Biden.

La France – et, il faut le reconnaître, l’Europe dans son ensemble – a salué le départ imminent de l’actuel président des USA. Avec cette élection, la planète passe de l’obscurité à la lumière – et peu importe que cette victoire qui nous paraît si évidente et souhaitable sur le Vieux continent ait été arrachée avec un différentiel de suffrages des plus minces. A croire que des dizaines de millions d’Américains n’ont pas notre clairvoyance et ne savent pas ce qui est bon pour eux (et pour le reste de la planète) !

Ici, chacun s’accorde à dire que le monde ira mieux une fois Biden à la Maison Blanche, que la crise sanitaire pourra enfin être traitée correctement, que la paix règnera et que la situation économique de la planète s’améliorera. La réalité est pourtant que Joe Biden ne fera pas forcément mieux que Donald Trump sur tous ces sujets, et plus particulièrement sur les questions économiques.

L’isolationnisme disparaîtra-t-il avec Trump ?

Les premiers temps de la présidence de Donald Trump ont été marqués par la multiplication des droits de douane divers. Utilisant l’arme fiscale pour promouvoir l’isolationnisme, il a multiplié les taxes à l’importation.

Impossible d’oublier ses taxes sur l’acier et l’aluminium qui, concernant des matières premières à faible valeur ajoutée et au poids économique décroissant, avaient un petit goût de combat d’arrière-garde. Sur l’ensemble de son mandat, les analystes de taxfoundation.org estiment que plus de 80 Mds$ de taxes à l’importation ont été créées.

Si le locataire de la Maison Blanche a fait, comme à son habitude, une affaire personnelle et politique de la mise en place de ces droits de douane, lui en attribuer l’entière paternité serait lui donner trop de crédit. N’oublions pas que les dernières années ont été marquées par une augmentation sans précédent des mesures protectionnistes dans tous les blocs économiques majeurs.

Même l’Europe, qui joue volontiers les vierges effarouchées en la matière, est une grande adepte des droits de douane. Pas plus tard que le mois dernier, de nouvelles taxes à l’importation ont été décidées contre la Chine. Elles concernent, ironie de l’histoire, les imports d’aluminium qui subiront une taxe allant de 30,4% à 48,0% de la valeur marchande.

Début novembre, la Commission européenne a annoncé de nouvelles barrières douanières qui concerneront cette fois les importations américaines.

Cette « taxe Boeing », autorisée par l’OMC après des années de tractations, dépasse en fait largement le combat politico-commercial entre les géants Boeing et Airbus puisque le bouquet de mesures inclura des taxes de 15% sur les avions et de 25% sur des produits agricoles (tabac, alcools forts…) et industriels (tracteurs, pelleteuses…). L’assiette taxable est évaluée à quatre milliards de dollars.

Les barrières douanières établies ces dernières années ne sont en aucun cas le fait d’un caprice de Donald Trump mais bien un symptôme de l’air du temps. Europe, Etats-Unis et Chine claquemurent leurs économies depuis la crise des subprime, et l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche n’inversera pas cette tendance mondiale du jour au lendemain.

Quelles perspectives pour les exports européens ?

A ce jour, Joe Biden n’a pas communiqué sur ses intentions quant aux droits de douane appliqués au commerce avec l’Europe et le reste du monde. Le 8 novembre, le Wall Street Journal en était encore à s’interroger sur les intentions du président élu en la matière.

Cette incertitude est le signe que la question est, au mieux, encore au stade de la réflexion et, au pire, un sujet qui fâche que le démocrate s’est bien gardé d’aborder durant la campagne.

Quand bien même le nouveau président déciderait de détricoter ce qui avait été fait lors du précédent mandat, les conséquences pour les Européens seront des plus réduites. Sur les 80 Mds$ de taxes à l’importation mis en place sous la présidence de Donald Trump, seuls 1,8 Md$ (soit 2,25%) concernent des importations européennes. Revenir quatre ans en arrière serait une goutte d’eau dans le commerce Europe-USA.

L’Europe doit se prendre en main (et s’assumer)

Joe Biden ne sera pas un homme providentiel pour notre économie et nos exportations. Sa position pro-européenne est largement un fantasme du Vieux continent, et même s’il souhaitait de nouveau ouvrir le marché américain à nos exportateurs, il devrait composer avec une majorité politique des plus précaires. Quand bien même irait-il au bout de la démarche d’ouverture, l’impact serait négligeable sur notre balance commerciale globale.

Plutôt que de se passionner pour une élection-feuilleton outre-Atlantique qui ne nous concerne que de loin, les médias et citoyens européens feraient mieux de se concentrer sur la politique de commerce international suivie par l’Europe. Elle est bien loin de l’image que nous nous en faisons, et nous avons l’avantage d’être souverains en la matière.

L’Europe est devenue experte dans l’art de se faire passer pour la victime de la mondialisation et pour la grande perdante des échanges internationaux. Ce qui est moins souvent dit, c’est que notre balance commerciale est excédentaire (+197 Mds€ en 2019) et que nous sommes champions des taxes à l’importation.

En 2018, sur les 1 979 Mds€ d’importations dans l’Union européenne (UE), 25 Mds€ de droits de douane ont été collectés. Ce montant représente quasiment 1,3% de la valeur totale des marchandises importées. Plus significatif encore, ces 25 Mds€ de droits de douane représentent à eux seuls 13% du budget de l’UE.

Plutôt que d’attendre (ou de prétendre attendre) un revirement de la Maison Blanche qui, en plus d’être hypothétique, aura un effet anecdotique, l’Europe mériterait d’assumer sa souveraineté.

Nous sommes dans un bloc économique qui manie déjà avec brio les taxes à l’importation, dont certaines à des niveaux punitifs. Nous les appliquons à nos partenaires commerciaux américains comme asiatiques, et sommes bien loin des canons du « libre échange ».

Les USA et les pays d’Asie n’ont aucune raison de nous ouvrir leurs marchés intérieurs si nous ne faisons pas de même. La bonne nouvelle est que la question de l’ouverture de l’Europe sur le monde ou de son isolationnisme peut être traitée directement au niveau de la Commission européenne. C’est un choix de société que doivent faire ensemble les citoyens européens – et nul besoin d’impliquer les soubresauts de la Maison Blanche pour y parvenir.

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