La plus grande déception, pour un homme moderne de plus de 50 ans, se produit probablement lorsqu’il regarde dans le miroir.
Nous disons cela non comme un homme qui vient de passer ses vacances en maillot de bain, mais comme quelqu’un qui a passé ces derniers jours à lire la presse financière. Les deux choses sont similaires, dans le sens où chaque fois qu’on regarde, c’est pire.
Un bref résumé du business model du secteur subprime : les prêteurs ont remarqué qu’il y avait un marché parmi les gens qui ne peuvent se permettre d’acheter une maison, et ne se qualifient pas non plus pour le crédit nécessaire pour les acheter. A première vue, prêter de l’argent à ces gens ne semble pas être une activité dans laquelle il serait raisonnable de se lancer. Mais les emprunteurs subprime pourraient faire de jolis poissons, ont raisonné les requins, tant qu’ils peuvent rembourser leurs traites. Les scribouillards ont fait les calculs. Les stratégistes ont fait les prévisions. Même si quelques cas ne parvenaient pas à rembourser, la hausse du marché immobilier ferait grimper la valeur du nantissement. Un nouveau secteur financier est donc né… et rapidement, les brasseurs d’affaires et les entrepreneurs — comme les petits génies des dot.coms qui les ont précédé — se sont retrouvés au volant de Ferraris, à déguster du Château-Pétrus.
Le Orange County Register, en Californie :
"Pour Kal Elsayed, ancien cadre chez New Century Financial, une grande société de prêt basée à Irvine, conduire un cabriolet Ferrari pour se rendre au travail dans une entreprise fournissant des prêts immobiliers à des gens ayant des revenus bas et un mauvais historique de crédit pouvait sembler prétentieux, reconnaît-il aujourd’hui. Mais, dit-il, ce n’était rien comparé aux jets privés qu’avaient les cadres d’autres sociétés".
"’On perdait contact avec la réalité, après un temps, parce que c’est juste comme ça que les gens vivaient’, a déclaré M. Elsayed, 42 ans, et qui a passé neuf ans chez New Century avant de partir pour lancer sa propre société de prêt immobilier en 2005. ‘On a gagné tant d’argent qu’on avait du mal à le croire. Et il n’y avait pas besoin de faire quoi que ce soit. Il suffisait de se montrer au bureau’".
C’est cette dernière ligne qui a attiré notre attention et fait naître notre déception. Cela nous a rappelé comment chaque génération de génies est plus tard démasquée, apparaissant comme des fraudeurs et des idiots. Cela nous a également rappelé combien nous, les êtres humains, sommes faibles d’esprit et simplets ; nous finissons toujours par avaler nos propres couleuvres.
L’Homo Sapiens Economicus moderne croit au capitalisme. Il y croit comme il croyait autrefois à la Sainte-Trinité ou à l’Immaculée Conception — comme un dogme. Il s’empare de la doctrine et de ses excès sans questions ni arrière-pensées. Et il en fait un désastre semblable à celui que ses ancêtres ont fait avec les Croisades.
C’est aussi vrai pour les lumpeninvestisseurs que pour les maîtres de l’univers.
Rappelez-vous des paroles apaisantes d’Henry Paulson :
"Il y a des problèmes de crédit, mais ils sont limités", a déclaré le secrétaire au Trésor US à des journalistes à Tokyo durant une tournée de quatre jours en Asie. Le secteur financier américain est sain, et la plupart des institutions ne ressentiront pas "un gros impact".
Mais un gros impact, c’est exactement ce que ressentent les institutions — après qu’elles aient battu des ailes et pris leur envol. En général, elles s’écrasent lamentablement.
Les génies de la finance ont remanié, acheté et vendu la dette subprime jusqu’à entendre les premiers craquements signalant l’effondrement. Ils pensaient que le crédit étant bon tant que les propriétaires pouvaient payer leurs traites. Et ils ne voyaient aucune raison que les propriétaires ne puissent PAS payer leurs traites, tant qu’ils avaient un emploi. C’était là leur couleuvre — et ils l’ont avalée. Dans un monde de plein emploi, il n’y avait aucun motif de voir les prêts mal tourner — en théorie. Mais les théories apparaissent selon les besoins, lorsqu’il y a une vente à conclure.
Selon la théorie en question, les taux d’intérêt bas permettaient à tout un nouveau groupe d’emprunteurs d’accéder au crédit. La réalité, c’est que ce qui rendait le crédit accessible à des emprunteurs indignes de confiance, c’était le genre de corruption qui est dissimulée lorsqu’on prend ses désirs pour des réalités, mais que les miroirs… et l’histoire… révèlent.
"Ce qui a nourri le cycle mené par l’immobilier n’était pas le coût du crédit ", note David Rosenberg, de Merrill Lynch, "mais plutôt sa large accessibilité, quelle que soit [la capacité à rembourser]… seul un tiers de la hausse exponentielle du ratio prix/loyer immobiliers était dû aux taux d’intérêt bas. Les deux autres tiers reflétaient d’autres influences n’ayant pas de lien avec le prix, comme les politiques de crédit laxistes des banques et des organismes de prêt".
A présent, malgré un taux de chômage à 4,6% aux Etats-Unis, et un rendement de 4,7% sur les bons du Trésor US à 10 ans… le secteur des prêts à risque chute en piqué. Nous apprenons du comté d’Orange, en Californie, que New Century Financial s’échange pour moins de 5 $ l’action… une chute vertigineuse depuis son sommet de 66 $ en décembre 2004. Au prix actuel, en théorie, le prêteur est vraiment l’affaire du siècle, avec un rendement en dividende de 167%. Mais, à nouveau, la réalité est différente. Les journaux nous apprennent également que la société sera sans doute contrainte de se mettre en faillite.
Alors que les prêteurs subprime tentent de s’extraire des décombres, les emprunteurs subprime, eux, sont encore en plein vol. En théorie, les fonds de couverture demandent des commissions extraordinaires pour des performances extraordinaires — 2% du capital et 20% de la performance. Pour quoi ? Pour en revenir à l’alphabet grec, ils aident les investisseurs à obtenir de "l’alpha" — un rendement qui dépasse le "beta", produit par le marché dans son ensemble.
Warren Buffett, qui est probablement le plus grand investisseur de l’histoire à ce jour, déclare que toute cette idée est "grotesque". Dans la lettre qu’il a adressée à ses actionnaires il y a quelques jours de ça, il explique qu’on peut investir dans son "hedge fund" — alias Berkshire Hathaway — sans payer un seul frais de gestion.
Le gain moyen annuel composé de Berkshire Hathaway entre 1965 et 2006 est de 21,4%. Que fait le hedge fund moyen ? En 2006, les fonds de couverture ont produit un rendement de 14%, doublant quasiment leur moyenne de 2005, qui était de 7,6%, et dépassant les 10% qu’ils avaient engrangés en 2004. Sur le long terme, les hedge funds montrent un rendement annuel de 7% environ.
Mark Gilbert, qui résume la situation pour Bloomberg News, conclut que les hedge funds "prélèvent des frais démesurés en prétendant générer des tonnes d’alpha — alors qu’ils ne font que s’emparer du beta accessible à tous".
En d’autres termes, en pratique, les gestionnaires de fonds de couverture — comme les entrepreneurs dot.com et les prêteurs subprime — ne sont pas du tout des génies. Ils gagnent leur argent simplement en se montrant au bureau… comme tout le monde. Et ils obtiennent le même rendement. Ou pire.
De nombreux fonds et hedge funds se sont rués sur le Japon après que ce marché a grimpé de 40% en 2005. L’année suivante, 2006, a été décevante. C’est à peine si le Nikkei Dow a grimpé de 4%. Comment s’en sont sortis les fonds de couverture ? Comme le déclarait Merryn Somerset Webb il y a quelques jours, "loin de prouver leur capacité à engranger des rendements quelles que soient les conditions de marché, [les hedge funds] ont enregistré des performances particulièrement mauvaises ; ils ont tous perdu entre 5% et 20% sur l’année".
Les prêteurs subprime n’ont pas couvert le risque inhérent aux prêts accordés à des emprunteurs défaillants. Au lieu de cela, ils ont recherché le risque, et l’ont utilisé pour faire jouer l’effet de levier. Les fonds de couverture semblent avoir fait la même chose — allant un soupçon trop loin pour grappiller quelques points de rendement supplémentaires. A présent, nous nous demandons qui possède les 23 milliards de dollars de dette de New Century Financial… et à qui appartient le reste de la dette dans le secteur subprime ? Nous nous demandons également qui possédait les 2 500 milliards de dollars de valeurs boursières qui ont disparu ces derniers jours. A coup sûr, un "gros impact" guette quelque part là-dehors… attendant encore de bondir sur quelqu’un.
Nous regardons le miroir, en espérant que ce ne sera pas nous.