▪ Nous sommes redescendu de notre ranch argentin. Notre dernier jour sur place a été à la fois triste et joyeux.
La vie là-bas vous endurcit. C’est du moins ce que nous aimons à dire. C’est une vie difficile par bien des aspects. Il n’y a pas de supermarché. Pas de médecin. Pas de pharmacie. Impossible de commander une pizza quand on a faim. Impossible d’appeler quiconque, en fait — il n’y a pas le téléphone !
La température passe désormais sous le zéro la nuit ; les canalisations gèlent. Nous n’avons pas le chauffage central… et pas de chauffage du tout dans la majeure partie de la maison.
Des cals se sont formés sur nos mains. Nous nous sommes aussi endurci dans d’autres domaines : les gens du coin nous demandent des choses, nous sommes en train d’apprendre à dire non. Nous entaillons les oreilles des vaches et les marquons au fer rouge sans trop y penser. La poussière fouette, balayée par le vent ; le soleil tape ; les nuits nous raidissent comme des buissons sous la gelée blanche.
Mais hier, nous avons fondu comme neige au soleil.
Hier, Elizabeth a donné sa dernière leçon d’anglais. Les petites filles se sont assises et ont préparé des cartes, pour Elizabeth… et quelques-unes aussi pour Don Bill. Il y a trois mois, elles étaient sur la réserve… trop intimidées pour prononcer un mot en espagnol, sans parler d’anglais. Là, elles ont toutes crié "bonjour Don Bill" et ont couru dans la cour.
"Je ne m’attendais vraiment pas à ça", a dit Elizabeth. "J’ai commencé à enseigner à l’une d’elle, Fatima, parce qu’elle voulait parler à sa tante à New York. Et puis les autres se sont rajoutées. Je n’ai rien fait de spécial, mais les petites semblaient s’éveiller".
Quoi qu’elle en dise, Elizabeth a accompli quelque chose de spécial |
Quoi qu’elle en dise, Elizabeth a accompli quelque chose de spécial.
"Allez les filles", l’avons-nous entendue dire. "On va revoir les jours de la semaine et les mois de l’année… et puis je vous montrerai comment faire un gâteau au chocolat".
"Youpiiii !"
▪ De l’importance de la littérature
Elizabeth leur enseigne des chansons et des comptines, leur raconte des histoires et leur montre comment faire des choses. Elle a fait venir des cartons de livres depuis Buenos Aires et les a prêtés à des enfants qui n’ont quasiment jamais rien vu d’autre que leurs manuels d’école.
"Elles ont l’habitude de vivre à la dure, mais elles-mêmes ne sont pas dures pour autant. Il ne s’agit pas simplement d’être sans eau courante ou sans chauffage. La plupart de ces filles n’ont pas de père, ou ne le connaissent pas. La vie de famille, par ici, peut être très fluide et précaire. Mais ces filles sont très innocentes", a conclu Elizabeth. "Elles ne sont ni blasées ni gâtées. Elles n’attendent pas grand’chose. Quand je leur raconte des histoires ou que je leur lis de l’anglais, elles semblent vraiment ravies".
"Elles aiment particulièrement les livres. Tous les livres — même si elles sont trop âgées pour certains et pas assez pour d’autres. J’ai même trouvé Les quatre filles du Docteur March en espagnol. Mais elles les aiment tous. J’ai donc installé une bibliothèque dans la maison, où elles peuvent venir chercher des livres. J’en attends une nouvelle livraison de Buenos Aires la semaine prochaine".
Les petites filles avaient toutes fait des cartes pour Elizabeth. "Vous nous manquerez", disait l’une. "Amusez-vous bien en Amérique", souhaitait une autre. "Nous vous aimons", disait une troisième.
Il y avait des cartes très élaborées, avec des coeurs découpés… de vraies fleurs collées… des découpages et des pochettes… certaines grandes, d’autres petites.
▪ Un petit scarabée…
Nous étions en train de travailler dans notre bureau tandis qu’à l’extérieur, le joyeux désordre montait en volume. Nous venions de trouver une étude fascinante, démontrant le coût des réglementations imposées par le gouvernement sur l’économie. Selon les professeurs Dawson et Seater, tels que cités par Marc Faber dans son Doom, Boom & Gloom Report, les réglementations fédérales ont enlevé 2% par an à la croissance du PIB sur une période de 50 ans. Si les réglementations n’avaient pas bougé depuis que nous sommes nés, en d’autres termes, un nourrisson né aujourd’hui arriverait dans une économie faisant plus de trois fois la taille de l’économie actuelle. Encore une manière dont nous — notre génération — avons volé nos propres enfants. Si nous avions laissé les choses en l’état, nos enfants pourraient avoir trois fois plus d’opportunités d’emploi et un salaire trois fois plus élevé.
un visage est apparu à la fenêtre : la petite Mili, sept ans |
Nous avons étudié la manière dont les seniors — pas plus vieux que votre correspondant — ont mis en place un gigantesque transfert de richesse, de l’avenir vers le présent. Nous nous demandions comment il était possible de prélever de la richesse réelle depuis l’avenir quand un visage est apparu à la fenêtre : la petite Mili, sept ans.
Elle est entrée avec un grand sourire, nous a présenté sa joue pour un baiser, puis a pris Don Bill par la main, l’amenant dans la cour où le reste des filles était en train de gambader.
Don Bill a pris une photo des petites, reposé l’appareil puis s’est remis en route vers son bureau. Alors que nous nous éloignions, Mili nous a couru après, a pris notre main et nous a donné une carte.
Elle avait collé les pétales d’une fleur rouge sur un morceau de papier. Elle avait également écrit (pardonnez-nous les quelques libertés prises avec la traduction) :
Don Bill
Je vous écris cette lettre. Je vous donne une poésie.
Du haut de la montagne
est descendu un petit scarabéeIl est tombé par-dessus les rochers
et a eu un petit baiser.I love you much, Don Bill.
Mili
Snif, snif. A demain.
1 commentaire
Merci pour ces magnifiques chroniques, intelligentes, émouvantes et pleines d’humanité