** Votre correspondante regarde son petit-déjeuner d’un autre oeil, le matin. Les pétales de maïs me remplissent d’angoisse, le lait dans lequel ils flottent me culpabilise et le jus d’orange qui accompagne le tout n’est guère plus rassurant.
Emeutes alimentaires, flambée des cours, G7 inquiet, médias alarmés… il va falloir s’y habituer : on trouve plus de monde se faisant concurrence pour la même quantité de ressources. Cette situation est déjà assez grave en soi — mais quand on y ajoute le facteur humain, la mauvaise gestion et l’appât du gain… on se retrouve avec des déséquilibres colossaux. Et nous assistons actuellement aux débuts du processus de correction de ces disparités.
"Comme d’habitude, les gens en marge sont les premiers touchés quand le surplus se transforme en manque", expliquait Dan Denning mercredi dernier. "Malgré tous les signes quotidiens d’abondance ici, en Australie, nous n’oublions pas que près de quatre milliards et demi de personnes dans le monde ont peu ou pas de marge d’erreur dans leur vie quotidienne. Si le prix des denrées alimentaires augmente, ces gens vont mourir de faim".
"Les gens disent souvent que les guerres de ressources seront quelque chose de banal dans le siècle (ou la décennie) à venir. Mais ils parlent généralement de pétrole et d’énergie, pas de riz ou de blé. La nourriture est le carburant du corps. Si vous n’avez pas accès à des calories bon marché, à quoi bon avoir du carburant bon marché ?"
Jean-Claude Périvier se pose le même genre de questions dans le dernier numéro de sa lettre, Défis & Profits : le moment est-il venu de "mourir pour se nourrir ?"
Tout comme Dan, Jean-Claude souligne les disparités dans le monde : "entre les pays qui ont un sous-sol riche en matières premières et ceux qui n’en ont pas, entre les zones où il ne pleut pas et celles où il pleut trop, le déséquilibre a généré des tensions, lesquelles tournent d’abord autour des besoins vitaux des populations. Par ailleurs, il y a l’élévation du niveau de vie de nouveaux pays industrialisés qui consomment de plus en plus de viande et importent des céréales pour nourrir le bétail. La Chine en particulier exerce une influence grandissante sur les marchés mondiaux, elle aspire déjà 5% du total des échanges mondiaux dans le secteur céréalier".
"La production agricole doit doubler dans les dix ans, si l’on veut éviter les famines dans les pays pauvres et nourrir tout le monde dans les pays industrialisés et les pays émergents (qui auront d’ailleurs émergés)", continue Jean-Claude. "Oui, mais à quel prix ! La rareté relative et le coût des matières premières ont conduit ces derniers mois à un retour important de l’inflation du panier de la ménagère. Là où les habitants des pays développés souffrent, c’est insoutenable d’un point de vue économique pour ceux des pays pauvres".
Si l’espèce humaine doit se perpétuer, il va falloir faire des ajustements radicaux — bon gré mal gré. Les pays développés vont devoir consommer moins, tandis que les pays en voie de développement devront consommer mieux (je pense notamment à la Chine, dont les pratiques, en matières d’environnement, ne méritent pas exactement le label "développement durable").
Ce sera très long et très douloureux. Comme le disait Churchill, il y aura "du sang, de la sueur et des larmes". Mais il y a aussi de l’espoir, des solutions et des perspectives encourageantes ; il ne fait aucun doute à mes yeux que l’humanité pourrait ressortir bien meilleure de ce combat pour la survie.
Et d’ici là, votre correspondante passe aux tartines bio, pour son petit-déjeuner.