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DE LA PSYCHOLOGIE DES MARCHES
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Par Jean Chabru (*)
Il y a des gens qui voient mieux, plus vite et plus loin que les autres. [Quelques heures avant] la décision de la Fed sur la hausse des taux qui [semait] le doute depuis plus d’un mois sur les marchés actions de la planète, je me suis rappelé ce que disait Robert Schiller, éminent professeur l’économie à l’université de Yale et auteur de L’Exubérance irrationnelle, dans un article du Financial Times de février dernier à propos du nouveau président de la Fed : "Ben Bernanke n’est pas habitué à l’une des grandes innovations de notre temps : introduire la psychologie dans l’économie".
Il est vrai qu’au vu du parcours depuis la nomination du nouveau président de la Fed qui n’a eu de cesse de souffler le chaud et le froid sur les marchés, cette simple phrase avait quelque chose de prophétique. Et avec le recul, nous aurions dû davantage nous intéresser à la personnalité et à la psychologie de l’homme qui dispose d’un pouvoir colossal sur les marchés financiers.
Robert Schiller avait repris à son compte une expression d’Alan Greenspan, l’ex-président de la Banque centrale américaine, pour analyser le phénomène de prophétie autoréalisatrice responsable de la surévaluation des marchés boursiers. Cet universitaire a démontré la nature complexe des marchés en s’appuyant à la fois sur l’observation de facteurs externes (démographie, nouvelles technologies) et culturels (notamment le rôle joué par les médias) : la valorisation des actions et des marchés n’est pas le pur produit d’une analyse mathématique et parfaitement rationnelle des agents économiques.
En effet, si on a essayé d’objectiver depuis 50 ans le fonctionnement des marchés financiers grâce au recours aux théories mathématiques, ils restent avant tout le résultat du comportement de millions d’hommes et de femmes qui réagissent à un ensemble d’éléments plus ou moins conscients. Autant dire que toute modélisation précise est impossible. Il n’est alors pas étonnant de constater que parmi les grands fonds mondiaux qui gèrent des centaines de milliards d’actifs, l’objectif — afin de maximiser les performances — est de limiter au maximum la participation de l’homme dans les processus de décisions. Car l’homme, mû par des éléments psychologiques qui sont, par essence, des facteurs imprévisibles, est le maillon faible de la chaîne.
La dernière crise que nous venons de traverser n’en est qu’une nouvelle et parfaite illustration. Ben Bernanke a réussi à instiller le doute dans la tête des investisseurs quant à la solidité des fondamentaux de l’économie américaine (qui représente cinq fois celle de la Chine) en annonçant des choses qui sont apparues contradictoires. Il a ainsi fait de la maîtrise de l’inflation son cheval de bataille, soulignant à maintes reprises une surchauffe potentielle de la première économie mondiale tout en prédisant un ralentissement à terme. Ce qui ne l’a pas empêché de prendre une décision dont le but est clairement de freiner l’expansion de cette économie en renchérissant le coût de l’argent avec une hausse de 0,25 point des taux directeurs.
En même temps, on peut légitimement penser que cette pause dans la progression des Bourses mondiales était nécessaire ; mais ce qui a réellement surpris, c’est l’ampleur et la rapidité de la correction. Certains "vieux de la vieille" ont très vite fait le parallèle avec le krach d’octobre 1987 où les marchés, après avoir sévèrement corrigé, avaient continué sur une pente baissière jusqu’en décembre mais avaient retrouvé leurs niveaux d’avant crise en mai 1988. Comme à chaque mouvement d’ampleur, le phénomène s’est trouvé accentué par le rôle des hedges funds (ou fonds alternatifs) qui utilisent beaucoup l’effet de levier en empruntant une partie importante des sommes qu’ils jouent sur les marchés financiers, comme le permet par exemple le SRD.
Leurs modèles fonctionnent sur une analyse du risque et de la volatilité : plus cette dernière est basse, plus ils prennent des positions à découvert importantes, compensant les moindres variations par un effet de volume. A l’inverse, lorsque la volatilité s’accroît, ils protègent leurs performances en soldant les positions sur lesquelles ils étaient positifs. Or la prise de conscience des effets du renchérissement des matières premières et de la baisse du dollar a augmenté graduellement la volatilité. Les hedges ont concomitamment réduit encore plus leurs positions, ce qui a eu pour effet d’autoalimenter la baisse.
Mais la question que vous vous posez aujourd’hui est de savoir si la volatilité, très élevée actuellement, va se poursuivre, rendant difficile toute détermination à moyen terme du sens du marché. Pour ma part, je pense que les déclarations de Ben Bernanke sur la poursuite ou non du resserrement de la politique monétaire de la Fed seront déterminantes et l’impact majeur sur la psychologie des investisseurs. Et sur ce point, le communiqué de jeudi est apparu plutôt rassurant. Car si la Fed ne doit pas se voir dicter sa politique monétaire par les marchés financiers, il est clair qu’elle ne doit pas non plus sacrifier la croissance américaine et mondiale sur l’autel de la maîtrise de l’inflation, réelle ou supposée.
Meilleures salutations,
Jean Chabru
Pour la Chronique Agora
(*) Depuis plusieurs années, Jean Chabru est à la tête de Stratégie Small Caps, une lettre d’information consacrée uniquement aux petites valeurs. S’appuyant sur l’une des plus grandes bases de données françaises sur les petites valeurs, Jean Chabru déniche les pépites cachées des marchés pour le plus grand profit de ses lecteurs. Sa dernière trouvaille pourrait d’ailleurs faire parler d’elle… Pour plus de détails